Chers collègues, Chers amis,
L’APERAU et
l’ENAU s’honorent de vous accueillir pour une Rencontre à Tunis.
J’aimerais,
tout d’abord, remercier toutes les participantes et tous les participants, dont
certains sont venus de fort loin, d'avoir répondu à notre invitation.
Je tiens
aussi à remercier, tout particulièrement, l’Institut Français de Coopération,
représenté ici par M. Alain Sauval, M. Aberraouf MAHBOULI Président de
l’Université de Tunis I et M. Chaabani Directeur l’Ecole Nationale
d’Architecture et d’Urbanisme de Tunis. Car sans leur soutien cette première
Rencontre de l’APERAU hors de l’Hexagone n’aurait pu voir le jour.
Mesdames
Mesdemoiselles Messieurs,
Je vous
invite dans cette salle, la salle Carthage, Carthage l'héritière de
« Quart Hadesht » la punique dont le nom évoque pour vous et pour
nous une aventure urbaine vieille de
plus de 20 siècles ... je vous invite à une journée de réflexion sur les
politiques du logement et la planification urbaine.
Sans doute,
certains penseront : encore un colloque sur la ville et le logement,
encore des universitaires qui défilent au chevet du grand malade de cette fin
de siècle : l'urbain ; avec leurs conférences, leurs diagnostics et
leurs remèdes-miracles.
Une pensée
qui est en partie vraie, car tout discours universitaire sacrifie une part de
son sens, de sa pertinence à la rhétorique
Mais c’est en
partie faux, car débattre de la ville et de son futur, c'est le signe que nous
avons toujours l’espoir que notre horizon urbain ne dérive pas inexorablement
vers les ghettos ethniques et sociaux. Et c'est il me semble important pour
ceux qui ont la responsabilité de former
les futurs urbanistes et aménageurs de la ville.
Notre
rencontre d’aujourd’hui, je la vis personnellement - si vous le permettez -
comme un désir d'en savoir plus sur les recherches des collègues qui se sont
penchés sur la question du logement et de l'urbanisation. Mais c'est un
désir qui est fait d'un mélange
singulier de curiosité intellectuelle et d’inquiétude existentielle.
Pourquoi ce
sentiment, pourquoi cette posture intellectuelle ?
Peut-être
parce qu’un demi-siècle d’expériences en matière d’habitat urbain nous lègue
peu de certitudes sur les politiques efficaces.
Peut-être
aussi parce que "la fin des idéologies" s'accompagne de
l'obsolescence de la pensée urbanistique et de ses instruments opérationnels,
de notre savoir et de notre savoir-faire sur la ville.
En effet, les
héritiers de Yalta, à l’Est comme à l’Ouest, ont longtemps cru, et nous ont
fait croire, qu’ils avaient trouvé la solution : des cités Radieuses qui
vont fleurir le paysage urbain d’une Europe à reconstruire.
De l’autre
côté de la Méditerranée, les héritiers de Bandoeng rêvaient d’effacer les
traces de l’occupant d’hier, de phagocyter bidonvilles et gourbivilles par des
villes nouvelles, des cités populaires, sociales, confortables, propres et
modernes.
Ceux qui ont
aujourd’hui mon âge, se souviennent encore des années 60 et 70 vécues au rythme
des fanfares, les inaugurations et des cérémonies de remise des clés. Rien
d’étonnant à ce que les clés des « machines à habiter » de Le
Corbusier représentent souvent, à cette époque, les clés du bonheur pour
« les damnés de la terre » de Fanon - puisque tout a été étudié:
fonctionnalité du logement, plus zoning,
plus modernisation et standardisation de la production, plus crédits à
faible taux d'intérêt ... Tout a été prévu pour que la politique du logement et
de la ville réussisse à être le meilleur relais de la politique du
développement global.
Personne
n’aurait pu soupçonner, à l’époque, que les cités Radieuses des uns, et les
cités du développement des autres, allaient ranger leur accoutrement
toponymique dans les placards de l’idéologie - de la mythologie aurait dit R.
Barthes - pour se nommer désormais « cités dortoirs », «cages à lapins »,
« Chicago » ... et j’en oublie.
Au fil des
crises et des émeutes, on se rendit à l’évidence que la politique du logement
public et social pourtant généreuse en hygiène, confort, lumière, soleil,
commerces et écoles ... cette politique pouvait parfois cacher dans les
replis de ses plans d’aménagement, et de
ses idéaux de justice et d’égalité, une programmation froide et
techno-bureaucratique de la relégation et de l’enfermement. Une programmation
qui est souvent le résultat d'un enseignement où le visible tue le sensible.
On assista
donc à une perversion du sens de l’urbanité. Et les Barres les
grands-ensembles, les Banlieues se transformèrent en des espaces où la
métaphore carcérale, le « surveiller et punir » de Foucault
qualifièrent fort bien le sort qui leur a été réservé par la planification
urbaine.
Dans les pays
dits du sud, la problématique était encore plus complexe, et les errements
d’une pensée urbanistique nourrie des principes de la chartes d’Athènes, n’ont
pas donné des résultats plus heureux.
Très vite,
les décalages entre la ville programmée et la ville habitée ont chassé
l’Universel pour permettre au culturel et au cultuel de revenir au galop.
Et, beaucoup
d’entre nous, à l’époque jeunes étudiants ou jeunes enseignants, firent la
merveilleuse découverte de L. Strauss, de Bourdieu, du Pessac de Boudon, et de
l’inoubliable architecte-urbaniste égyptien Hassen Fethy.
Beaucoup
d’entre nous, grâce au village Bororo, à la maison kabyle, et au village d’El
Gourna au sud de l’Egypte, saisirent, qu’en matière d’habitat et d’espace
urbain, la vigilance scientifique et culturelle est de rigueur ; car toute
manipulation des espaces est, en dernière instance, une manipulation des hommes
et de leurs croyances.
Tout cela a
tissé la trame culturelle et académique de notre passé proche.
A présent,
que l’on fait nos premiers pas dans, ce qui est convenu d'appeler, l’ère de la
mondialisation. Nous sommes un peu inquiets et un peu envoûtés à la fois.
Envoûtés par
cette explosion extraordinaire de richesses et de moyens que l’époque met à
notre disposition.
Mais inquiets
aussi devant l’extrême fragilité des hommes, du temps et de l’espace.
Car cette
mondialisation, pour ce qui concerne notre domaine de préoccupation, a souvent
pour corollaire la fragmentation sociale et la fragmentation urbaine. Une
double « fracture » qui se diversifie et dont personne n’est plus à
l’abri.
Dans ce
contexte, je me suis souvent posé la
question suivante: peut-on encore parler de politique du logement au sens
classique de la politique ?
N’y a -t-il
pas plutôt dans la cité une autre exigence, une sorte de préalable : le
désir d’une transmutation de la politique en une Ethique de la polis (au sens
de la cité grecque), en une morale pour une ville, où l'opulence voisine la
détresse, où des milliers de logements vides côtoient des milliers de
sans-domiciles-fixes.
N’y a-t-il
pas là un message différent véhiculé par les nouveaux mouvements sociaux pour
qui la crise du logement redonne une actualité au « droit au
logement ». Un « droit au logement » qui devrait avoir la prééminence sur le « droit de
propriété », sur la spéculation immobilière.
Ce phénomène
de la fragmentation croissante du social à l’égard du droit au logement - comme
du droit à la ville et du droit au travail - devrait probablement aboutir à une
reformulation des termes de la problématique, c'est à dire à repenserl
’articulation entre politique du logement et planification urbaine.
Ajoutons à
cela, que dans les pays dits en voie de développement, la fameuse directive qui
pendant 30 ans a prôné « l’habitat
pour le plus grand nombre » n’a pas empêché l’émergence des quartiers
d’habitat spontané et de la ville "illégale".
30 Ans de
planification urbaine qui, paradoxalement, s’achèvent par la reconnaissance du
statut de plein droit des franges urbaines qu’on a considéré jusque-là
hors-normes et hors-villes.
Ici aussi, on
constate une réorientation dans l’approche de la ville. une prise de conscience
par les pouvoirs publics et les institutions internationales que l’urgence est
dans le traitement de la ville, dans la mise en œuvre des travaux
d’infrastructures urbaines, plus que dans la recherche d’une réponse directe à
la question du logement.
Voilà,
quelques remarques par rapport au contexte actuel de la politique du logement
et de la ville.
Il est vrai,
qu’en parlant de ce qu’on appelle la mondialisation ou la globalisation, j’ai
un petit trop accentué ces aspects négatifs en ayant mis en exergue surtout les
aléas et les avatars de cette nouvelle réalité internationale.
Pour que mon
propos soit un peu plus objectif ; je dois reconnaître que la disparition
progressive des frontières nous soumet, bon gré pour certains, mal gré pour
d’autres, à quelque chose que j'aime beaucoup et que les spécialistes désignent
souvent par le concept de :métissage.
Métissage
urbain, d’abord, puisque la dérive des frontières fait que les villes du sud
s’installent au Nord, et réciproquement.
Mais surtout métissage académique et scientifique , puisque,
mondialisation oblige, l’APERAU a décidé l'année dernière à Tours de
s'internationaliser. Et c’est une chose pour nous très agréable et trés
enrichissante, car elle permet au
Département d’urbanisme, à l'ENAU et à l'Université de tunis de s’ouvrir, durant
une journée, à vos intelligences, à vos curiosités et aux compétences des
collègues qui vont vous entretenir de « la politique du logement et de
ses incidences sur la planification urbaine » d’une manière sûrement plus
approfondie que mon exercice de rhétorique que vous avez eu la gentillesse et
l’amabilité d’écouter.
Encore une fois
merci.