jeudi 17 septembre 2020

IMAGES ET IMAGINAIRES URBAINS

 INTRODUCTION

L'urbain: une réalité incontournable et inquiétante

L’humanité à notre époque a presque totalement quitté les campagnes. La ville et l’urbain sont les deux grandes réalités qui dominent notre monde à l’entrée du 21è siècle.

Les statistiques officielles de l’ONU signalent que près des 2/3 des hommes habitent dans des villes.

Les campagnes tendent petit à petit à disparaître même si elles continuent à exister en tant que paysage. Bien des ruraux sont désormais tout autre chose que des producteurs agricoles. Les villes sont, en particulier dans les PVD, le symbole de la modernité, des évolutions technologiques économiques et sociales, le rêve qui fait voyager et les imaginations et les corps.

Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, notre civilisation est urbaine. C’est un changement qualitatif qui a débuté à partir du 19è siècle et qui a petit à petit touché la face de la terre entière.

Ce changement touche aussi bien la taille que la physionomie ou les fonctions de la ville. Il a pour corollaire les problèmes de plus en plus graves et redoutables qui affectent d'une façon indistincte  les villes de notre planète.

Les dysfonctionnements qui concernent la ville  ou l’urbain sont de plus en plus nombreux. Parmi les plus importants, on peut citer:

*Ceux qui relèvent de la rénovation et de la réhabilitation des tissus anciens et des centres historiques;

*ceux qui touchent à la ségrégation sociale, aux quartiers, à la distribution spatiale de ses fonctions;

*et ceux qui ressortent de la circulation, du stationnement, de la voirie, des réseaux de toutes sortes.

 

La ville, objet de recherche

Réalité tout à la fois complexe et stratégique pour le devenir des hommes. La ville constitue de longue date un important champ de recherche des sciences humaines. Toutes ou presque l'ont successivement investi à partir de la fin du XIXè siècle en donnant naissance à des sous-disciplines : la "sociologie urbaine", la "géographie urbaine" dont les premiers manuels paraissent dans l'après-guerre à l'initiative de G. Chabot (Les Villes, 1958), sans oublier l'"ethnologie urbaine", l'"histoire urbaine", l'"économie urbaine"...

Ajoutons à cela le développement d'un corpus législatif sur la ville qui a favorisé la publication d'ouvrages de "droit urbain" tandis que l'évaluation de politiques urbaines a suscité l'intérêt de la science politique.

Enfin les philosophes et les sémiologues font également un retour remarqué. En témoigne la publication récente de la "Troisième ville", du philosophe Olivier Mongin, la réédition régulière du manuel de F. Choay, "Le Sens de la ville" ( Seuil, 1972 ).

Ces dernières années, l'heure est à la pluridisciplinarité qui associe des spécialistes de différents horizons disciplinaires et professionnels (chercheurs, travailleurs sociaux, élus, consultants...), et privilégie une approche transversale des enjeux urbains.

La ville actuelle dans ses dimensions symbolique, sociale, écologique et fonctionnelle nous interroge tout en faisant jouer à la sociologie urbaine un rôle particulièrement important et délicat. Celui d'une discipline qui aspire à être le discours scientifique de l’organisation de la société et de la cité.


 

 

"Envisagé de façon descriptive, le concept de ville s’organise autour de divers éléments. Il évoque tout d’abord une certaine densité d’habitat et une dominance du bâti sur le non-bâti ; c’est un espace dans lequel la nature peut certes plus ou moins s’inscrire mais qu’en tout cas elle ne structure pas.

En outre, cet espace essentiellement bâti s’articule à travers plusieurs types d’oppositions : l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur de la ville, particulièrement nette lorsqu’elle était marquée par des remparts, par un mur d’enceinte percé de portes ; l’opposition entre un centre, généralement doté d’une architecture relativement monumentale, et des quartiers, à la trame et au bâti plus ou moins distincts ; l’opposition encore entre des espaces « privés », c’est-à-dire à accessibilité limitée ou réservée, et des espaces, publics - places, rues, parcs ... - ouverts à tous et à chacun. Considérée dans cette perspective morphologique, la ville tire sa spécificité du fait qu’elle est non pas le lieu d’exercice d’une fonction spécifique (comme c’est le cas pour une maison, une école, un hôpital, une entreprise ...), non plus le lieu où se juxtaposent ces fonctions spécifiques, mais bien le lieu qui met ces diverses fonctions en interrelation, à travers le rapport à l’espace. Insistant sur ceci, nous prenons d’emblée distance par rapport au fonctionnalisme qui, pendant près de trois quarts de siècle, a voulu réduire la ville à une somme d’espaces monofonctionnels et, par exemple, limiter la rue a  n’être qu’un axe de circulation, distinguant en outre la circulation piétonne des circulations mécaniques. La ville est pour nous, au contraire, le lieu où les interrelations sont décisives et se traduisent dans la morphologie elle-même...

Si l’on veut, par ailleurs, caractériser la ville comme concept interprétatif, il convient alors de définir le lien existant entre un type d’appropriation de l’espace et une dynamique collective. La ville apparaît dès lors comme étant une unité sociale qui, par convergence de produits et d’informations, joue un rôle privilégié dans les échanges - qu’ils soient matériels ou non -, dans toutes les activités de direction et de gestion et dans le processus d’innovation. C’est par excellence le lieu où des groupes divers, tout en restant distincts les uns des autres, trouvent entre eux des possibilités multiples de coexistence et d’échanges à travers le partage légitime d’un même territoire, ce qui non seulement facilite les contacts programmés mais surtout multiplie les chances de rencontres aléatoires et favorise le jeu des stimulations réciproques. Lieu à partir duquel se structure le champ des activités  sociales, la ville donne aussi une dimension systématique à la culture régionale environnante ; elle peut aussi, au contraire, être, à certains moments, un lieu de rupture et d’innovation.

Une autre approche interprétative se centre sur la dimension socio-affective, s’efforçant de percevoir le lien entre une exploration des possibilités et des potentialités offertes par les échanges immédiats... Par ailleurs, la ville stimule la formation de réseaux relationnels à partir des échanges aléatoires qu’elle suscite." 

Jean REMY Liliane VOYE,

 La ville: vers une nouvelle définition, L'Harmattan, 1992

 

 


Qu’en est-il de la définition de la sociologie urbaine ?

Commençons d'abord par définir ce qu'on entend par sociologie, bien que Raymond ARON ait eu à ce propos la phrase célèbre suivante:“Sur un point et peut être sur un seul, tous les sociologues sont d’accord : la difficulté de définir la sociologie”.

Pour rester à un niveau de généralité et sans prétendre à la scientificité de l’énoncé, on dira que la sociologie est la discipline des sciences humaines qui a pour objet l’investigation de la réalité sociale.

Dans cette réalité sociale, la sociologie s’intéresse tout particulièrement à l’étude des acteurs sociaux, c’est-à-dire des individus, des groupes, des classes sociales, des sociétés qui, engagés avec d’autres acteurs, s’activent pour, d’une part produire les biens indispensables à leur existence, d’autre part donner un sens à la place qu’ils occupent dans la société, la culture, l’économie... de leur époque.

La conception de l’homme qui dérive de cette dernière définition est celle d’un “être social” qui serait doté d’une autonomie relative parce que limitée par des systèmes plus ou moins cohérents de normes, de règles, de signes, de symboles, de valeurs, économiques, politiques, éthiques, religieux, etc.

Ainsi comme le disait Georges Gurvitch : "la sociologie c’est la science de la liberté et des obstacles qu’elle rencontre constamment".

Cette réalité sociale sur laquelle la sociologie jette un éclairage particulier, gagne en complexité et en diversité au fur et à mesure de la généralisation de la civilisation technique et industrielle. En conséquence, le développement et l’organisation des connaissances à l'intérieur du champ sociologique se diversifie en donnant naissance à plusieurs sous-disciplines.

La sociologie urbaine est une de ces subdivisions qui a pour objet l’analyse et la compréhension des différents aspects sociaux, psychologiques et écologique de l’urbanisation.

En abordant l’étude de l’espace des villes, la sociologie urbaine s’intéresse aux différences manifestations de leur existence collective. Elle est donc amenée à aborder les phénomènes tels que la distribution et les mouvements de la population dans l’espace, les comportements et les attitudes des hommes insérés dans l’urbain. Tous ces phénomènes, pour être analysés et maîtrisés, doivent être mis en relation avec la structure et la dynamique de la collectivité urbaine dans son ensemble.

Cette façon d’appréhender l’urbain a été poussée à son extrême par les théoriciens de l’Ecole de Chicago, qui cherchèrent à construire des configurations urbaines typiques en mettant en relation espace et collectivités urbaines caractérisés par leur appartenance sociale, régionale ou culturelle.

Sur les origines et les fondateurs de la sociologie urbaine, il y a aussi énormément de débats et de polémiques. Ce qu’on peut aisément avancer c’est que c’est aux Etats-Unis qu’ont vu le jour les premières études qui se sont assignées comme objectifs, la solution des problèmes engendrés par l’urbanisation dans les grandes villes avec pour finalité la mise au point de recettes qui serviraient aux pouvoirs publics de remède à certains maux sociaux qui risqueraient de déstabiliser le bon fonctionnement de la ville et de la société.

L’instrumentalisation de la sociologie trouve son explication dans la forte expansion urbaine contemporaine qui suscitait des inquiétudes et posait le problème des moyens à mettre en oeuvre pour la maîtrise de la croissance urbaine.

La tendance pragmatiste et opérationnelle qui guida la sociologie urbaine dans ses premiers pas, ne fut pas toujours favorable à l’épanouissement de la réflexion théorique sur la ville et l’urbanisme.

Cependant et avec le temps, des tentatives de théorisation ont cherché à combler ce déficit en proposant des modèles explicatifs à l’urbanisation, sa genèse et son développement historique, social et culturel.

Dans ce mouvement de constitution de la sociologie urbaine en tant que champ de la connaissance à part entière, l’analyse des facteurs qui président à l’organisation des complexes urbains et, en particulier, l’examen des modalités, des causes et des effets qui agissent sur la structuration de l’espace social urbain, sont deux activités primordiales pour la sociologie urbaine.Une question se trouve souvent au centre des préoccupations des penseurs et des chercheurs: Qu’est ce que la ville ?

 

Les tentatives de définition de la ville

L’urbanisme ayant pour objet la ville, il est d’une certaine manière naturel que les spécialistes de la question tentent de définir leur objet d’étude, c’est-à-dire la ville.

 

Mais comme on peut s’en douter dans un monde en mouvement perpétuel et en mutations rapides, toute définition stable et rigide risque d’être rapidement inadaptée à la réalité. La solution résiderait donc dans une définition évolutive, dynamique et reposant sur une multiplicité des critères.

 

            1.Le paramètre statistique

            C’est le plus simple et le plus facilement utilisable pour définir la ville : une certaine quantité d’hommes sur une certaine superficie de terre. Le principe est clair mais son application pose beaucoup de problèmes.

            En France, on appelle ville toute commune dont la population agglomérée (les habitations ne devant pas être distantes de plus de 100m) dépasse 2000 habitants.

            Aux USA, les choses sont plus complexes. On définira une population urbaine par la négative, c'est-à-dire ce qui n’est pas rural. (une page de définition). Dans les autres coins du monde, les chiffres adoptés comme critères de l’existence d’une ville varient considérablement : on va de 1500 (aux Pays-Bas) à 5000 en Inde.

 

"Les critères de définition de la ville varient considérablement d'un pays à l'autre. Le nombre d'habitants agglomérés est le critère le plus répandu, mais il peut couvrir des différences : en France, une ville est, au sens de l'Insee, une commune de plus de 2000 habitants ; au Danemark, le seuil minimal est fixé à 200 habitants, au japon à ... 50.000. Dans d'autres pays - au Royaume Uni, en Union sud-africaine, en Tunisie... - c'est l'organisation administrative qui sert de principe de définition. Certains pays combinent les deux critères : c'est le cas des Etats-Unis, du Canada, de la Turquie ou de la Norvège. Le facteur économique n'est pas toujours absent : en Italie, par exemple, les communes dont la population active est majoritairement agricole ne sont pas des villes. Au risque de rendre encore plus difficile les approches comparatives, des pays prennent en considération l'"aspect urbain" (Israël) ou modifient leur classification (les Etats-Unis, dans l'après-guerre)."

Rev. Sciences Humaines, Au coeur de la ville, n°70 - Mars 1997

 

Évidemment, comme on peut s’en apercevoir, ce critère purement arithmétique est largement inadéquat. Il a pour conséquence de classer comme ville des ensembles de populations dont les réalités sociales économiques et culturelles sont  très différentes d’un pays à un autre. Il faut donc chercher d’autres critères, que l’apparence statistique, comme ceux de la fonction pour définir d’une manière plus précise la ville.

 

            2.Les critères fonctionnels

Une ville ne peut normalement se passer d’un minimum de fonctions. Certaines peuvent être plus vitales que d’autres, mais il en est surtout de nécessaires : ce sont les fonctions de relations  qu’on désigne aussi sous le terme de tertiaires.

            En effet, la ville est un espace d’échanges de toute nature, un endroit où des services sont rendus, soit à la population résidente, soit à celle de l’extérieur.

Ces fonctions de relations sont celles du commerce de toutes tailles, des activités de service aux citoyens et aux entreprises (Banques, bureaux, administration, équipements de santé, équipements culturels et de loisir etc.).

            D’autres fonctions peuvent coexister avec celles-là, comme la présence d’industries mais elles ne peuvent, à elles seules, constituer une ville.

 

3.Le rythme urbain

            Il  y a un autre critère qui est plus ou moins la conséquence des activités de service, c’est ce qu’on appelle : le rythme urbain. C'est-à-dire cette activité continue dans les rues, cette animation journalière (et parfois nocturnes dans les grandes villes) de certains quartiers. A l’inverse, dans les zones rurales ou les cités exclusivement d’habitation, les rythmes vitaux sont de type discontinu et rare. L’impression de vitesse, d’accélération de la vie est une des images les plus caractéristiques de la ville dans la psychologie collective.

 

            4.Autres critères

            On peut encore trouver d’autre critère pour dire qu’on est en présence d’une ville comme l’architecture, la densité, la hauteur des bâtiments. Cette dimension est vérifiable dans beaucoup de ville modernes ; mais certains grandes villes du Tiers-Monde et même les villes occidentales très étendues ne remplissent pas ce critère. Pourtant, on ne peut douter un instant que ce soit des villes au sens fort du terme.

            La constatation qu’on peut faire est que la définition d’une ville qui serait valable en tout lieu et en tout temps, est difficile à établir. Cette définition ne peut être que vague et réductrice de la réalité urbaine, c’est pourquoi il vaut mieux parler des villes plutôt que de la ville. 

 

"Comme partout se pose d’abord le problème de la définition : comment définir le phénomène urbain ? Et le caractère plus ou moins strict de cette définition conduit tout naturellement à faire reculer ou avancer les dates du début du phénomène urbain lui-même. Les critères pour définir la nature urbaine d’un peuplement humain peuvent être très nombreux.

C’est ainsi que Thomlinson (Thomlison R., « The Nature and Rise of Cities ») propose quinze critères. Et si l’on reprenait systématiquement tous les critères proposés par les divers auteurs, on pourrait probablement atteindre le nombre de 25-30.

En ce qui concerne le phénomène urbain, à son origine, à ses débuts, la plupart des auteurs ont surtout insisté sur un ou plusieurs des cinq critères suivants :

·         L’existence de fortifications, d’enceintes, par opposition au village qui reste ouvert ;

·         La taille est surtout la densité de peuplement ;

·         La structure urbaine de l’habitat : maisons en dur, rues, etc. ;

·         La durabilité de l’agglomération par opposition au campement

Il est évident qu’aucun de ces critères ne saurait être en lui-même absolu et suffisant. Il est certain qu’il a existé des villages où une fraction de la population se livrait à plein temps à l’artisanat. Et, plus loin, nous verrons que dans maintes sociétés beaucoup  de paysans habitaient la ville. Une enceinte ? Certes, c’est là un critère important ; et, d’ailleurs, en Chine le même mot traditionnel désigne à la fois une ville et une muraille. Tout comme le mot russe pour désigner la ville (gorod ou grad) signifie, en ancien slave, citadelle. Mais les villes égyptiennes - et même au début Rome - n’avaient pas de fortifications, pas d’enceintes, alors que l’on est en présence de maints villages fortifiés dans diverses régions du monde. La taille ? La densité ? Il existe de réels villages, notamment au Tonkin, dans les Pouilles, en Campagnie et en Hongrie, qui comptent plus de 10 mille habitants, voire (dans certains cas) bien davantage. La structure urbaine de l’habitat ? Il existe des villes non structurées et des villages qui le sont avec des rues aux maisons attenantes, etc. La durabilité ? Il a existé des villes éphémères et des campements très durables. En définitive, comme c’est souvent le cas, il faut combiner maints critères et les moduler. Quand on prend, par exemple, celui de l’artisanat à plein temps, on peut y adjoindre l’importance relative de celui-ci. De même, il faut combiner la taille et la densité. Et, dans la combinaison de ces cinq critères, l’artisanat est sans conteste le plus important, l’essentiel même du phénomène urbain étant une spécialisation des tâches où le paysan échange ses surplus pour des produits manufacturés (et aussi des services). Mais, là aussi, ceci n’est pas nécessairement partout ni surtout toujours une règle absolue."

Paul Bairoch, Cinq millénaires de croissance urbaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

L’URBANISATION DANS L’HISTOIRE

 

Les établissements humains préhistoriques

Il est toujours difficile de parler d’urbanisme quand on examine des établissements humains durant la préhistoire. Cette époque dès qu’on cherche à l’analyser et à identifier les premières manifestations sociales et formes urbaines qu’elle a connu,  provoque souvent controverses et polémiques. Ceci est loin de nous surprendre car toutes les disciplines sont en butte à cette difficulté quand il s’agit de parler et d’approfondir la recherche sur « les origines ».

 

            Concernant la chronologie historique de l’urbanisation, les éléments qu’on peut avancer avec les réserves scientifiques de rigueur sont les suivants :

 

Le Paléolithique ( 300.000 à 40.000 av. J.C.) 

            La famille humaine des origines ne nous est pas connue. Là encore, nous en sommes réduits à des hypothèses dont certaines peuvent être très proches de la réalité de l’époque :

- l’existence des noyaux stables familiaux autour de la mère et ses enfants ;

- un échange de géniteurs (jeunes mâles ou femelles) entre communautés proches ;

- une réglementation de la vie sexuelle (très probablement le tabou de l’inceste) ;

- la division du travail entre hommes (la chasse) et femmes (cueillette et élevage des enfants).

On assiste donc durant le paléolithique à la stabilisation des premières formes de vie sociale. Phénomène concomitant à l’apparition des premières formes d’habitat préhistorique : les cavernes.

Ces dernières témoignent d’une véritable explosion culturelle qui se manifeste dans tous les domaines : productions techniques, économie, habitat, rites funéraires. Progressivement le « troglodytisme » ou habitat sous forme de cavernes naturelles et artificielles s’étend et touche des groupes de populations de plus en plus importantes. On assiste alors à la formation d’un agglomérat de cavernes réparties en fonction de terrassements superposés, nous sommes face aux premiers villages rupestres. Mais on trouve aussi des cabanes groupées dont le dessin a été retrouvé dans certaines peintures pariétales.

 

Le Néolithique :( 40.000 à 10.000 av.J.C.)

 

"Commençons par ce qui peut être presque qualifié d’évidence, à savoir le rôle primordial joué par la révolution néolithique dans la naissance du phénomène urbain. Révolution néolithique qui fut, sans aucun doute, un préalable indispensable à cette naissance. En effet, la composante essentielle de la révolution néolithique est le passage d’une économie basée sur la cueillette, la chasse et la pêche à une économie basée sur l’agriculture et l’élevage. Somme toute, il s’agit ni plus ni moins de l’invention de l’agriculture et c’est pourquoi le terme de révolution n’est pas trop fort. D’emblée on voit les conséquences très importantes d’une telle évolution, la plus importante consistant en une forte augmentation de la production alimentaire par unité de superficie de terre. Ceci rend possible, d’une part, un surplus alimentaire échangeable et, d’autre part, un accroissement des densités de population. Et cela implique aussi une sédentarisation : adopter l’agriculture signifiant abandonner le nomadisme. Donc trois facteurs qui peuvent conduire à l’amorce d’une civilisation urbaine.

Et surtout il convient ici de souligner ce point capital, à savoir que l’existence d’un centre urbain véritable présuppose non seulement un surplus agricole, mais aussi la possibilité d’échanger ce surplus. Et les possibilités d’échanges sont directement déterminées par l’importance des surplus par superficie, car la distance réduit la valeur économique de surplus. Ici apparaît ce que les Australiens ont appelé la « tyrannie de la distance », qui s’ajoute ainsi à la tyrannie de l’agriculture.

D’ailleurs, il apparaît de plus en plus que, à terme, l’agriculture entraîne quasi inéluctablement un processus d’urbanisation. Dans pratiquement tous les cas où l’on est en présence d’une agriculture, quelques millénaires plus tard apparaît le fait urbain. Rares sont les régions où, 2 000 ans après l’existence d’une véritable agriculture, on ne constate pas l’apparition des villes.

La durée de ce délai, somme toute très court dans une perspective historique, est certes conditionnée par un ensemble de facteurs, parmi lesquels la fertilité des sols et l’efficacité des systèmes agricoles jouent des rôles importants. Plus substantiel est le surplus agricole, plus forte est la densité des terres, et plus précoce est le fait urbain. L’existence d’un réseau de voies de communication naturelles (rivières notamment) constitue également un élément qui semble précipiter la réaction ; car il ne faut pas oublier cette « tyrannie de la distance » qui, en fait, régnera jusqu'à l’introduction de la machine à vapeur dans l’économie des transports."

Paul Bairoch, Cinq millénaires de croissance urbaine.

 

C’est une époque qui est plus connue car les découvertes archéologiques nous permettent d’avancer avec certitude que les plans des habitations étaient  de forme circulaire ou ovale chez certains peuples, et quadrangulaire chez d’autres.

On peut aussi dire que les premières agglomérations humaines du néolithique respectaient un certain nombre de critères de distribution dans l’espace répondant aux exigences de l’adaptation à la nature et d’une pratique de l’ordre.

Des recherches sur les deux lacs du Jura en France ont fait l’objet d’une publication intéressante à ce sujet : « Le Néolithique des lacs ; préhistoire des lacs de Chalain et de Clairvaux » éd. Errance, 1988, de Pierre et Anne-Marie Pétrequin.

Cet ouvrage approfondit encore plus les données dont on disposait sur les "cités        lacustres" dont on a retrouvé des traces significatives sur les lacs suisses, bavarois et italiens.

Les villages des petites communautés agricoles des bords du lac de Jura, regroupaient 100 à 200 personnes. Ils étaient de plan linéaire simple durant les périodes d’agriculture itinérante et se complexifiaient pendant les phases de forte sédentarisation.

Plusieurs interprétations ont été avancées pour expliquer la sédentarisation des groupes d’agriculteurs et leur implantation dans les sites lacustres d’une part, et les variations régulières d’installation des villages, d’autre part.

La première hypothèse explicative est que la nécessité de se protéger a joué un rôle primordial. En effet, les constructions étaient légères et la zone de marais et de sols instables d’une centaine de mètres de largeur, jouaient le rôle de défense et d’obstacle naturels. De telles habitations possédaient donc un avantage défensif indéniable pour de petites communautés où la hiérarchisation sociale était quasi-absente.

Une autre explication à ce choix du site lacustre en tant que mode d’établissement humain soutient que « l’urbanisation » du bord des lacs durant le néolithique, s’inscrit dans la dynamique de la grande colonisation agricole partie du proche Orient vers -7000 av. j.c. et scindée en deux branches : danubienne et méditerranéenne.

Dans un premier temps, les communautés agricoles ont choisi de s ‘installer sur les terres les plus fertiles situées dans les vallées. Puis, lorsque les terroirs ont été complètement exploités et se sont appauvris, une partie de la population a dû s’installer dans des zones plus défavorables à l’agriculture en colonisant les litoraux lacustres et les plateaux.

 

L’âge de Bronze (2000 à 1500 av. J.C):

 L’homme, pourvu d’armes métalliques et donc capable de se défendre, s’établit sur la terre ferme. Le nombre de villages, qui s’était réduit à la fin du néolithique, s’est à nouveau accru pour revenir au niveau atteint avant une période de dégradation climatique.

Ce qui est intéressant à relever, c’est la similitude des formes de ces établissements humains européens avec ceux que l’on retrouve en Asie Mineure, en Afrique Occidentale et en Amérique. Ce constat ne peut certainement pas prouver l’existence de normes urbanistiques préhistoriques, mais la permanence d’éléments tels que : le mur d’enceinte pour la défense, le périmètre urbain et la cabane centrale.

 

l’urbanisation dans l’antiquité

Il est difficile de chercher à comprendre les villes de l’antiquité sans s’interroger sur les relations entre le sacré et l’espace.

            La cosmologie, ou récit des origines, ponctue  l’histoire de chacun des peuples de cette époque et révèle combien le sacré préside à la naissance de telle ou telle civilisation.Mais il convient d'être prudent dans l'interprétation de ce phénomène tant la signification des mêmes symboles est différente d’une culture à une autre. On n’a qu’à prendre pour exemple le cercle et le carré qu’on retrouve dans presque toutes les formes urbaines et les civilisations sans pour autant donner lieu aux mêmes interprétations et significations du rapport de ces civilisations au temps et à l’espace.

            En ce qui concerne l’origine du phénomène urbain dans l’histoire, là aussi les certitudes manquent terriblement et chaque nouvelle découverte archéologique donne lieu à une nouvelle date et à un nouveau lieu pour marquer la naissance de l’urbain.

            Ce qui est fortement probable c’est que la ville comme lieu de rassemblement d’une population fixe et nombreuse, nait dans un espace civilisationnel qui comprend la Mésopotamie, l’Égypte, l’Inde et la Chine, au cours d’une longue période allant de 6000 ans à 3000 ans avant J.C.

            Ce ne sont certainement pas les mythes qui ont fondé concrètement les premières villes connues, mais plutôt les mutations sociales et économiques fondamentales qu’ont connu les établissements humains de la fin du néolithique, et qu’on peut résumer dans les traits suivants :

* la sédentarisation et la diffusion de la pratique de l’agriculture et de l’élevage,

* la différenciation sociale au sein des communautés et l’apparition d’une organisation sociale structurée avec ses prêtres, ses guerriers, ses marchands et ses paysans,

* le dégagement d’un surplus agricole permettant l’entretien de groupes sociaux au pouvoir et permettant la production et la reproduction de la ville.

Autrement dit, l’apparition d’une division du travail plus poussée, d’une différenciation des fonctions et l’instauration de nouvelles institutions sociales exerçant ces nouvelles fonctions spécialisées sont les signes annonciateurs de la naissance de la ville et de la disparition de l’espace du clan ou de la famille patriarcale.

            Nous allons examiner les caractéristiques urbaines que nous a légué l'Antiquité en étudiant les trois grandes civilisations qui ont marqué son histoire: l'Egypte, la Grèce et Rome. 

 

1.L’Égypte :

            On pense généralement que la civilisation égyptienne a accordé plus d’attention à l’au-delà qu’à la vie immédiate. Peu de sites urbains de cette époque subsistent encore ; seuls les temples, les tombes et quelques rares traces de palais ont échappé aux eaux du Nil qui ont noyé la plupart des villes (Memphis, Thèbes).

La majesté et la monumentalité des pyramides laissent supposer que la civilisation des pharaons atteignit un degré de vitalité et de richesse extraordinaires. Ces pyramides sont de véritables villes pour les morts construites avec des millions de blocs de pierre, alors qu’à côté les maisons et les palais destinés aux vivants étaient en briques de terre séchée.

            Ce qui est admis aujourd’hui, c’est que la ville égyptienne est réglée selon une orientation fondée sur des concepts religieux. Certaines de ses nécropoles sont d’une géométrie surprenante sans qu’on puisse pour cela affirmer qu’une organisation rituelle, uniforme et constante se trouve à la base de ces tracés géométriques.

On peut néanmoins déduire, du point de vue de la logique, que des plans d’urbanisme ont présidé aux implantations même si ces  plans ne résultent que des tracés de quartiers officiels, religieux ou spécialisés. Les fouilles archéologiques révèlent souvent une parfaite orientation Nord-Sud dans les tracés des voies majeures.

 

"En ce qui concerne l’urbanisme, l’Egypte ancienne connaissait cinq formes différentes de villes, selon leurs fonctions.

Les résidences royales et les villes nouvelles royales.

Ces cités étaient soit d’anciennes grandes villes royales, comme Memphis, soit des cités créées de toute pièce par ordre du roi : la célèbre Telle-el-Amarna (Akhet-Aten en égyptien) ou Hawara près du Fayoum. Leur plan est identique dans son principe, mais soumis à la configuration du terrain, bien entendu.

Les quartiers officiels comprenaient le palais royal, les bâtiments administratifs, le ou les temples.

Les quartiers résidentiels étaient constitués des demeures de courtisans et hauts fonctionnaires ainsi que de cadres moyens : nous avons là affaire à de véritables villas, dans le sens romain du terme.

Ces parties de la ville étaient bâties selon un plan fonctionnel : de larges artères, coupées à angles droits de rues plus étroites, divisaient le terrain et facilitaient la circulation ainsi que la surveillance et la sécurité.

Les quartiers populaires étaient à l’écart des autres et constitués de petites maisons, souvent mitoyennes, donnant sur des ruelles étroites et quelquefois sinueuses.

Dans les anciennes villes royales, les quartiers populaires, groupés également, soit autour du centre administratif, soit à part, accusent une croissance plus anarchiques et pittoresque.

Les villes étaient protégées d’un mur d’enceinte, de même que le temple, véritable ville dans la cité...

Les bourgs et villages d’ouvriers et d’artisans de pharaon

Il étaient une particularité de l’ancienne Egypte attestés depuis le Moyen Empire (environ 2000 ans av. J.-C.) et au Nouvel Empire (environ 1300 avant notre ère, à Kahun) ; Deir-el-Medineh en est l’exemple le plus typique. Ces petites agglomérations étaient en général édifiées sur un sol vierge et en dehors des terres agricoles, afin de loger artisans et ouvriers employés à l’aménagement des sépultures royales. Leur plan était linéaire, les maisons (mitoyennes et très modestes) étaient situées de part et d’autre d’une voie centrale droite. Il est intéressant de noter que ces deux rangées d’habitations, se faisant face, étaient considérées comme les deux côtés d’un navire et appelées bâbord et tribord.

C’est dans ces agglomérations particulières qu’éclatèrent les premières grèves connues de l’histoire : les ouvriers protestaient à cause du non-paiement de leurs salaires en nature.

Les villes-harem

Elle constituaient une autre particularité urbaine de l’Egypte ancienne et ceci d’autant que le harem pharaonique n’était pas comparable au harem moderne des pays d’Orient.

Le harem égyptien était la résidence des épouses secondaires de pharaon et de leur suite, certaines reines douairières y habitaient et même, temporairement, la « grande épouse royale » - ou reine en titre - qui assurait la fonction de « régente du harem ». Ses occupantes pouvaient changer de résidence : plusieurs demeures étaient à leur disposition et elles n’y étaient pas prisonnières. Ces ensembles constituaient de véritables cités autonomes, regroupées autour d’une cour-résidence. Ils disposaient d’un personnel administratif nombreux avec chancellerie et scribes, majordomes, chambellans, portiers, police, etc. : de même technique (artisans de toute sorte) et domestique aussi bien féminin que masculin ( il n’y avait pas d’eunuques). Tout ce monde avait une économie complexe à gérer : terres, bétail, esclaves, récoltes, produits raffinés divers à vendre : lin fin, très connu et très apprécié dans tout le Moyen-Orient, bijoux, verres multicolores, médicaments, produits de toilette, etc.

Les enfants étaient élevés près de leurs mères qui nourrissaient pour eux des ambitions dans cette concentration humaine propice aux tensions et intrigues.

Les villes funéraires : les villes des pyramides et des nécropoles royales ou civiles

Le roi, dieu incarné, se devait de rejoindre non seulement ses ancêtres divins, mais aussi terrestres. Afin que ceux-ci et lui-même puissent continuer leur existence et protéger le pays, toutes précautions devaient être prises à ce sujet. D’où la création de fondations funéraires, comprenant, outre la tombe - ou la pyramide - un temple d’accueil, un temple du culte, des annexes et toute une ville pour le clergé et le personnel séculier affectés à la fondation. Des domaines assurant les revenus nécessaires au culte en faisaient également partie. Ces villes étaient implantées hors des terres fertiles, selon un urbanisme strict et fonctionnel ; les terres agricoles en étaient évidemment séparées."

Ruth Schumann-Antelme, La cité égyptienne à l'époque pharaonique,

in Rev. La Documentation Française, Paris 1995.

 

Une analogie avec la direction du Nil dont on connaît l’importance, n’est pas à exclure.

La civilisation urbaine égyptienne eut certainement une grande influence dans le bassin méditerranéen. Son aspect monumental et son pittoresque ne laissent indifférents ni nos contemporains ni encore moins les peuples voisins de l’époque.

 

2.La Grèce

            2.1. La société et la cité aristocratiques :

            Il y a près de 25 siècles, apparaissent les premières villes grecques. La cité ou « polis » est à la base de toute la civilisation grecque classique. Elle est formée d’un nombre limité d’habitants (autour de 10.000) qui, en échange de devoirs, acquièrent le privilège de vivre sous la protection de l’État et de ses lois.

            Socialement, la cité grecque est fortement inégalitaire : esclaves, affranchis, étrangers et même les hommes libres du peuple occupent une position fort différente de celle des aristocrates qui possèdent ce bien par excellence qu’est la terre.

 

"Toute cité grecque comprend une population importante de non-citoyens, notamment d’esclaves. Mais seules les cités portuaires, populeuses et plus ou moins prospères, attirent de nombreux étrangers. Tel est le cas d’Athènes.

Parmi ces étrangers (xénoi), les uns ne font que passer, les autres s’installent plus durablement et deviennent, au bout d’un mois, des « métèques » : obligés d’avoir un citoyen comme prostatès, sorte de garant, ils acquittent une taxe modique de résidence. Soumis aux lois de la cité, ils sont protégés en droit (avec certaines restrictions par rapport aux citoyens). On estime qu’à Athènes, au IVè siècle (en période de paix), il y avait quelque 10 000 métèques (pour environ 30 000 citoyens)...

Relativement bien intégrés sur le plan économique, social, culturel, les métèques athéniens sont, à bien des égards, des citadins comme les autres. En ce sens, on peut dire que la ville grecque est ouverte. En revanche, ils n’ont pas accès (sauf exception rarissime) à la citoyenneté. Communauté attachée à sa terre et à ses traditions, la cité, elle, reste fermée."

Philippe Gauthier, Les cités grecques,

in Rev. La Documentation Française, Paris 1995.

 

            Le prince - en tant qu’institution politique - et la garnison - en tant qu’institution militaire - assurent la protection du pays, maintiennent l’ordre de la collectivité et protègent l’empire des propriétaires terriens.

L’ordre social est du type oligarchique basé sur la subordination du peuple : « la masse de ceux qui n’ont point de part au conseil (représentants de l’aristocratie) »  comme dit Homère.

            L’organisation urbaine des premières cités grecques jusqu’à la fin du 6ème siècle se présente sous la forme de deux entités distinctes :

* la « cité basse » constituée essentiellement de quartiers d’habitation, aux rues étroites et tortueuses, s’étendant au pied ou au flanc d’une colline. A l’intérieur de celle-ci, on trouve une structure urbaine essentielle, la place publique ou « agora », qui est le lieu de réunion de l’assemblée du peuple.

* la seconde entité est située en hauteur et au dessus de la ville et est représentée par « l’acropole » qui est un lieu fortifié, siège et symbole du pouvoir politique et religieux de la cité.

 

2.2. L’urbanisme grec des 5è et 4è siècles av.j.c. :

            Les cités grecques présentent, après la chute des aristocraties, des traits qui la font fortement ressembler aux cités bourgeoises du Moyen-Age.

            L’affaiblissement du pouvoir de l’aristocratie terrienne aide à l’établissement d’un gouvernement démocratique. Les marchands et artisans deviennent les notables de la ville. Sans doute aussi il se forme un grand nombre d’associations qui jouent le rôle d’instances intermédiaires nécessaires à l’intégration collective.

Ce type d’associations n’a pas généré sur le plan urbain une spécialisation des quartiers sur le plan professionnel. On observe rarement une unité du local, du professionnel et du social qui se manifeste si nettement dans les villes du Moyen-Age.

La démocratisation de la vie publique dans la Grèce post-aristocratique n’a pas pour autant effacé les inégalités sociales qui sont restées assez fortes. Révoltes et émeutes ponctuaient le rythme social des villes et coexistaient avec une démocratie du « compromis ». 

            Cette période historique est importante pour l’urbanisme car elle vit la naissance des premiers tracés urbains orthogonaux. C’est avec la reconstruction de la ville de Milet détruite par les Perses en 494, que l’on assiste véritablement à la mise en oeuvre du quadrillage régulier de la ville.

            Le plan en échiquier caractéristique de Milet traduit la relation intime qui commence à s’établir entre une pensée philosophique à caractère mathématique appliquée à l’organisation de la vie politique de la cité, d’une part, et la recherche de la forme et structure urbaines correspondantes, d’autre part.

 

2.3. Réflexion philosophique et modèle urbanistique:

            C’est une tradition en Grèce antique que les penseurs s’intéressent à la ville. Le souci était d’imposer une création et une organisation de la cité sur les bases scientifiques et rationnelles : hygiène, circulation et défense alliées à un aménagement du territoire même s’il n’était qu’élémentaire.

Hippocrate fut le précurseur dans l’étude des effets de l’environnement urbain (site, exposition, nature du sol, régime des vents...) sur les habitants aussi bien sur le plan physique que moral.

Mais ce n’est qu’au 4è siècle, avec Platon et Aristote, qu’on assiste à une réflexion approfondie en matière d’urbanisme. « La cité idéale » d’Aristote est la traduction urbaine des principes édictés de ses traités de philosophie. Cette cité idéale qui compte 10000 citoyens, serait installée sur un site qui doit répondre à des conditions précises de salubrité, avoir des  potentialités économiques morales et psychologiques et bénéficier des qualités défensives. La structure urbaine respectait la spécialisation des quartiers qui assureraient des fonctions commerciale, artisanale, administrative, religieuse et résidentielle.

            On ne peut parler de réflexion sur la ville dans la Grèce antique en omettant de citer Hippodamos de Milet  qu’Aristote présente comme un philosophe, mathématicien et politicien et à qui on attribue la réalisation du Pirée et de Rhodes.

Même si des doutes persistent sur cette dernière information, il est intéressant de noter que ces deux villes comportaient une maille viaire et une division en 12 quartiers. En outre, on y a suivi sur le plan de l’organisation urbaine des règles précises :

a/ Un plan régulier à dominante orthogonale

b/ Une Agora fermée par des portiques

c/ Un ensemble urbain harmonieux intégrant des édifices publics

d/ Des terrasses aménagées à flanc de colline et articulées grâce aux gradins et aux escaliers.

           

2.4. L’urbanisme spectaculaire de la période hellénistique

            C’est à Pergame, capitale du royaume attalide, qu’on va tenter de concrétiser les principes et les règles de l’organisation de la cité énoncés par les philosophes grecques. C’est aussi dans cette ville qu’on voit s’affirmer une recherche du grandiose et du monumental fort caractéristique de l’époque hellénistique.

Les souverains de la cité ont, dans ce paysage austère, réalisé une composition architecturale inspirant la puissance et la gloire du Prince et faite d’un immense théâtre, de murs et de contreforts aux dimensions prodigieuses, de portiques aux longues colonnades et d’un ensemble de sanctuaires et de monuments publics jouxtant l’acropole au sommet de la colline.

C’est aussi durant l’époque hellénistique que l’on remarque la réalisation de rues avec des largeurs variant de 7 à 20m comme à Alexandrie. Dimensions qu’exigeaient les grands défilés et les grandes parades. On note de même la généralisation du système d’égouts faits de canalisations maçonnées positionnées sous les larges dalles de pierre de la chaussée. Les fontaines publiques qui recevaient l’eau grâce à des aqueducs souterrains complétaient ce système d’équipement déjà perfectionné pour des villes de l’antiquité.

 

Il est à remarquer qu’à la recherche de la  monumentalisation systématique des édifices publics et religieux hellénistiques s’associe la tendance au somptueux et au luxe dans des habitations privées.  Cela n’empêche point l’édification de grands immeubles locatifs et de maisons simples dans les villes hellénistiques.

En conclusion, notons qu’il existe dans la Grèce antique, une législation urbaine à laquelle est soumise la population citadine. Ainsi pour les grands travaux publics, on a mis en place un droit d’expropriation exercé par l’assemblée du peuple et des jurys chargés de déterminer le montant des indemnités. On voit aussi apparaître à Athènes des fonctionnaires de voirie ou « astynomes » qui doivent veiller au respect de la voie publique (hygiène, salubrité, construction...) par les riverains.

 

3.Rome

            La société romaine se présente d’abord comme une combinaison de trois groupes sociaux : les esclaves qui occupent le bas de l’échelle sociale ; les patriciens, riches propriétaires qui exercent le pouvoir politique, et la plèbe, formée de paysans, de petits commerçants et d’artisans ne participant pas au pouvoir.

            La longue lutte des plébéiens finira, sous la République instaurée en 509, par les faire accéder à l’égalité politique et à la magistrature.

La vie publique et politique des Romains était rythmée par la réunion du « populus romanus » en comices et l’élection annuelle des magistrats chargés de gouverner le pays : questeurs (finances), édiles (administration) et préteurs (justice). Au sommet de la hiérarchie politique républicaine, on trouve deux consuls qui dirigent les armées et font office de chefs d’États. Enfin, à la fin de leur carrière les magistrats pénètrent au « Sénat » dont le rôle est le contrôle de la politique intérieure et la direction de la politique extérieure.

            Les conquêtes coloniales des Romains leur ont permis de constituer un empire qui fut un réservoir intarissable de main-d’oeuvre grâce aux contingents de soldats et d’esclaves que les peuples soumis étaient tenus de leur fournir.

C’est d’ailleurs grâce à ce système que la civilisation romaine put réaliser des grands travaux et édifier des monuments prestigieux : construction de temples, de routes, d’aqueducs etc.

            La République romaine ne sut malheureusement pas quelle solution apporter aux injustices sociales et à l’exacerbation des contradictions entre patriciens et plébéiens dont les troubles et les guerres civiles s’étendaient sur tout le territoire.

Cette longue période d’instabilité politico-sociale aboutit en 31 av. J.C. à la création d’un empire par Auguste, neveu de Jules César. Inaugurée dans le faste et la puissance, cette nouvelle ère, se termine, 6 siècles plus tard, dans la décadence (Bas-Empire). La société romaine quant à elle se transforma ; elle se divisa en 3 nouvelles strates : des citadins dont le nombre diminue, des grands propriétaires terriens et des colons qui s’occupent d’agriculture. On est là en présence des signes annonciateurs du féodalisme.

 

3.1Fonder la ville :

            Les Romains, comme les Grecs anciens, pensaient sûrement que le site d’une ville devait faire l’objet d’une intercession auprès de la divinité qui en indiquait l’emplacement. Ajoutons à cela que la cité étrusque -dont l’influence sur l’urbanisme romain est plus que probable- a pour origine un acte de fondation religieux emprunté à l’Orient.

            Cette cité qu’on trouve souvent située sur une colline, se caractérise par une acropole, une maille à trame orthogonale, un habitat fruste et des nécropoles implantées sur les collines environnantes. Une morphologie qui va avoir une continuité dans le monde romain qui en adopta les principes.

            C’est le même rituel qui préside, ça et là dans le monde romain, à la création d’une ville:

            - l’« inauguratio » : c’est la consultation des augures afin de s’assurer que les dieux ne sont pas opposés à la création de la ville ;

            - le « limitatio » : il permet la localisation de la future cité grâce au sillon qu’on trace au moyen d’une charrue et interrompu seulement aux emplacements prévus pour les portes ;

- l’« orientatio » : c’est la détermination des deux grands axes de la cité qui constitueront les deux rues principales ;

- le « consécratio » : il consiste en la célébration d’un sacrifice favorisant la cohésion des habitants sous la protection des mêmes dieux.

 

3.2Les fondements de l’urbanisme romain

 

            1. Le plan       

On considère que « De architectura » est le traité le plus complet de l’antiquité sur les problèmes que posent les villes. Son auteur Vitruve fut un contemporain d’Auguste ; il s’appliqua dans ses écrits à énoncer un certain nombre de règles à observer dans l’édification des villes de façon à garantir le bon fonctionnement des services, le décor, l’hygiène et les commodités résidentielles sans porter préjudice à l’esthétique. L’une des préoccupations majeures de Vitruve consistait en la salubrité du site et en la direction des vents qui devait déterminer le tracé des rues.

La ville idéale, selon Vitruve, doit avoir une forme circulaire avec des voies courbes ou carrés et ceci pour des motifs de défense militaire. Cette typologie urbaine radio-concentrique contredisait la conception traditionnelle de l’organisation urbaine des Romains.

En fait, le choix du site et l’emploi systématique du tracé orthogonal concernant les villes romaines répondent à des considérations souvent plus pratiques que religieuses : salubrité, accessibilité, direction des vents, sécurité et stratégie militaire ...

Le modèle de la ville romaine quand on examine celles créées à la fin de la République et du Haut-empire, se caractérise par la forme du carré ou du rectangle traversés par des médianes : le « Décumanus » et le « Cardo ». Le premier est orienté Est en Ouest et a une largeur qui varie de 14 à 30m dans certaines villes. Le second est orienté du Nord au Sud et ne dépasse pas 7 à 8m de largeur. Les autres voies sont parallèles au Cardo et au Décumanus et ont au moins 2,5m de largeur ; elles délimitent des ilôts carrés ou rectangulaires de 60 à 70m de côté.

            Cette conception géométrique du plan de la ville, nous en trouvons des traces aussi bien chez les Étrusques que chez les Grecs.

 

            2. Enceinte et rues

            La construction de l’enceinte est, comme on l’a vu précédemment, empreinte d’une signification religieuse puisqu’elle est la matérialisation du rite de limitation de la ville. Elle est aussi liée au climat d’insécurité qui régnait durant les périodes d’instabilité sociale et politique et qui obligeait les villes à se resserrer derrières des murailles.

            Les rues romaines témoignent de la bonne qualité des équipements d’infrastructure ; elles sont dallées et la plupart du temps bordées de trottoirs. Leurs dimensions ont varié d’une ville à une autre tout en indiquant qu’elles avaient connu une circulation active et supporté de grands défilés militaires.

Les sites archéologiques romains nous montrent de même que la rue à portiques était fortement prisée.

Sous les colonnades fastueuses s’ouvraient boutiques et commerces de toutes sortes que des piétons pourraient admirer tout en étant protégés de la pluie et du soleil.

 

3. Le Forum

C’est l’espace de rencontre par excellence de la ville romaine : marché, lieu de réunion et centre de la vie publique. Il a la forme d’une place qu’entament des édifices publics situés dans la majorité des cas à l’intersection du Décumanus et du cardo.

Cette dernière règle eut des applications diverses ; c’est ainsi que dans les villes maritimes on rencontre le forum à proximité du port.

            Dans la province romaine, les « fora » sont dotés généralement d’un temple consacré à la triade capitoline, d’un bâtiment servant aux réunions de la curie et de la basilique pour traiter aussi bien de commerce que de justice.

 

            4. Les équipements

            L’urbanisme romain a fortement développé ce qu’on appelle généralement les « services » et les équipements de loisir.

On dénombrait vers 312 après J.C. à Rome près de 930 établissements de bains, 18 places publiques, 2 arènes, 2 amphithéâtres, 3 théâtres, 28 bibliothèques, etc. La ville de Rome accueillait à cette époque environ 1 million d’habitants.

            Parmi les équipements caractéristiques d’une ville romaine, on peut citer :

* Le théâtre romain : généralement bâti en plaine et s’inspirant du théâtre grec ;

* Le cirque : c’est une longue piste destinée aux courses de chars et entourée de gradins ;

* L’amphithéâtre : il ressemble au théâtre ; c’est un édifice de pierre et de maçonnerie -le Colisée en est la forme  la plus évoluée- qui permet aux romains d’assister à leur spectacle favori : les combats de gladiateurs ;

* Les thermes : Ils sont devenus un véritable complexe à activités multiples durant l’époque impériale. On y trouvait regroupés, outre un établissement de bains, des salles consacrées à la promenade, un gymnase, une bibliothèque, des salles de lecture.

La liste des équipements ne s’arrête pas à ce qui précède car on doit y ajouter les palais, les temples, les casernes, les prisons, les châteaux d’eau, les nymphées (fontaines), les arcs de triomphe, etc. La dimension monumentale et le faste de l’organisation et du décor urbain furent l’objet d’une attention particulière de la part de tous les Empereurs Romains.

 

5. Les logements :

On peut les classer en deux types : les « Domus » et les « insulare ». La première catégorie regroupe ce qu’on appelle communément les maisons particulières qui accueillent la famille et son personnel. Les domus n’ont généralement qu’un étage et occupent un terrain plus ou moins grand selon le statut du propriétaire.

Certaines domus sont des habitations simples et modestes, par contre d’autres constituent de véritables palais. Les insulare sont, quand à eux, des constructions véritables, des immeubles en quelque sorte, divisés en appartements locatifs. Là aussi, le standing varie en fonction de la clientèle à laquelle on s’adresse.

 

            6. La législation urbaine romaine :

L’administration des villes romaines continue en quelque sorte la tradition grecque qui assignait à chaque ville des services chargés de la voirie et des bâtiments.

L’adjudication des travaux relèvent des censeurs, tandis que les édiles se voyaient confier le nettoyage et l’entretien.

La législation sur la construction prescrivait une distance de 1.5m entre une maison et une autre. Cet intervalle nommé « ambitus » servait à lutter contre la propagation des incendies comme il faisait également office de rue.

L’accroissement du prix du sol urbain à Rome ne tarda pas à faire disparaître ce système au profit de la mitoyenneté. Et ce sont les grands incendies de Rome qui firent renaître la législation impériale imposant cette fois un intervalle de 3m entre les constructions.

D’autres exemples de ce code urbain romain peuvent encore être cités : l’interdiction d’installer des balcons au dessus des rues, l’utilisation de la tuile et non du bois pour la couverture des toitures, la servitude d’alignement des maisons, la limitation de la hauteur des bâtiments, etc.

 

            On ne peut conclure ce chapitre sur l’urbanisme du temps des romains sans signaler le cas particulier de Rome. La capitale de l’empire qui à son apogée nous donnait une idée des problèmes des futures villes modernes. Rome, avec son million d’habitants, était en effet une ville polluée, encombrée avec une circulation très difficile et dangereuse du point de vue de la sécurité de ses résidents. La spéculation y sévit et exceptées quelques demeures luxueuses de privilégiés, la population s’entasse dans des immeubles inconfortables et mal entretenus.

Face à cette situation, les empereurs engagèrent un certain nombre des travaux pour l’élargissement et le redressement des rues, la délimitation d’espaces réservés aux piétons, la création de nouveaux fora et d’autres équipements tels que théâtres, thermes, basiliques et temples. On pouvait dire que le régime impérial fait de Rome une véritable capitale impériale que plusieurs cités provinciales cherchèrent à imiter.

 

Réalités sociales et urbaines du moyen âge européen

La fin de la période antique et la chute de l’empire romain au 5ème siècle marquent l’entrée de l’Europe dans une nouvelle ère importante par les transformations sociales et urbaines.

            La famille patriarcale qui était la référence de base pour l’organisation de la société et de l’espace perd sensiblement de son hégémonie. La civilisation urbaine prend le pas sur la civilisation rurale aidée en cela par une très forte poussée démographique, l’amélioration des conditions de sécurité, le perfectionnement des techniques agricoles.

            Cet essor urbain s’accompagne d’une spécialisation des métiers et des tâches, et d’une différenciation sociale qui va aller en s’accentuant du haut Moyen Âge à la fin de la féodalité.

 

1.La Corporation, la commune et la municipalité :

            La grande variété des métiers durant l’époque médiévale va avoir pour institution fondamentale : la corporation, c'est-à-dire le groupement d’artisans ou commerçants qui appartiennent à un même métier et à une association ayant sa propre charte.

La corporation a longtemps représenté l’agent urbain principal de la ville médiévale en lui assurant son essor économique et sa cohésion sociale. La représentation politique émanait elle aussi des corporations qui désignaient leurs représentants au sein du gouvernement de la ville.

Le territoire urbain reflète cette structure en assignant à chaque corporation de métier un quartier spécifique. La coopération entre les diverses corporations doit permettre de définir les responsabilités et les charges communes à accepter par chaque quartier pour la bonne marche de la cité dans son ensemble.

            La forme sociologique qui traduit cette collectivité formée non de familles ou d’individus, mais de corporations, se nomme la commune. La forme politique de cette dernière est la municipalité au sens du gouvernement de la ville désignée par le « peuple » ou les habitants du bourg. La tâche de la municipalité est de préserver et de gérer cette commune qui se fonde sur la communauté des corporations.

            Comme l’a déjà fait remarquer Max Weber, la commune urbaine médiévale est caractérisée par l’« autocéphalie » ou autonomie. Toutefois, cette autonomie est relative puisqu’il n’y avait aucune liberté pour l’individu en tant que tel, mais un ensemble de garanties et de sécurités assurées au niveau collectif et au sein de la cité.

Chaque cité a sa propre « milice » ou police, formée de tous les citoyens aptes à porter les armes ; elle possède également sa juridiction, ses tribunaux et sa municipalité lève des impôts pour son propre compte. En outre, chaque ville avait ses cérémonies, ses saints patrons, ses fêtes, qui avaient pour rôle de cimenter la commune et de marquer sa différence.

            D’autres transformations ont de même touché le mode de vie urbain en cette époque médiévale tout particulièrement après le XIè siècle : On a de plus en plus recours à la monnaie dans les échanges et le commerce, des écoles urbaines font leur apparition, l’art et l’architecture urbaine commencent à prendre de l’importance. Une culture urbaine médiévale est née.

 

2.Mode de formation des cités médiévales

On va assister durant le Moyen Âge à deux processus différents dans la formation des villes. Pour le premier, il s’agit du développement ou de la réactivation d’un site ancien, en général d’origine romaine ; tandis que le second processus consiste en la création d’un noyau urbain nouveau.

Les villes anciennes concernées par cet essor urbain médiéval, déplaceront leurs remparts pour englober l’entité suburbaine qu’on appelle « bourg abbatial » ou « bourg monastique », selon qu’il s’agit d’une édification à partir d’une abbaye ou d’un monastère.

Le second processus d’urbanisation et de formation de villes nouvelles a touché des régions qui ont été peu urbanisées durant l’époque romaine. Dans ce cas, c’est une abbaye isolée ou un château fort qui vont constituer leur pôle d’attraction pour des habitants intéressés soit par la création de marchés, l’octroi de privilèges, la sécurité des fortifications ; soit par la protection d’un seigneur féodal puissant. On appelle ce type de cités médiévales : « villes d’accession ».

Les « villes neuves », les « sauvetés » et les « bastides » sont quant à elles des créations urbaines nouvelles, au vrai sens du terme. Souvent, en effet, les autorités ecclésiastiques ou laïques et parfois même le pouvoir municipal, dans le cadre des opérations de défrichement, concédèrent à la main d’oeuvre employée des lots de terrain et des avantages de statut pour les encourager à venir travailler et à s’installer dans les nouvelles agglomérations.

Il est très difficile de donner un chiffre exact des populations urbaines des cités médiévales. On pense généralement que la majorité d’entre elles ne dépassaient pas quelques milliers d’âmes. Les villes les plus importantes de l’époque étaient Paris, Milan et Venise qui accueillaient environ 200.000 habitants ; venaient ensuite Florence, Gênes, Naples et Palerme avec 100.000 habitants. Par contre Bruges, Londres et Cologne atteignaient environ 50.000 personnes.

 

3.La morphologie urbaine :

            Il n’existe pas à proprement parler un modèle particulier de la cité médiévale vu la variété si considérable des morphologies. Toutefois, on peut isoler les composantes et éléments spécifiques suivants pour mieux comprendre cette morphologie :

 

                        3.1.  Les formes planéaires :

            * Le plan irrégulier : il caractérise aussi bien des « villes d’accession» que des « bourgs abbatiaux » ou « monastiques ». Ce sont la plupart du temps les contraintes du site et les sinuosités des parcours ruraux qui lui octroient cette forme particulière en totale rupture avec la trame orthogonale romaine.

            * Le tracé linéaire : La ville se développe dans ce cas le long d’une route ou d’une rivière en prenant pour point de départ la porte de la vieille cité.

* Le plan radioconcentrique : Les « villes d’accession » ont souvent connu une croissance urbaine sous la forme circulaire. L’église, le monastère ou le château ont été entourés et enveloppés graduellement par cercles concentriques d’habitations que séparaient des rues, dont certaines formaient les rayons du cercle urbain.

* La trame orthogonale : souvent utilisée lors de la création de « villeneuves » à partir du milieu du 12è siècle.

 

            3.2. Les équipements urbains :

            * L’enceinte : elle joue un rôle principalement défensif, mais elle sert aussi à intégrer dans le périmètre urbain des espaces en principe « ruraux » tels que les jardins et les champs, et à protéger les puits et les citernes d’eau.

* Les rues : elles sont généralement tortueuses et peu larges dans les vieilles villes. Les villes plus récentes ont bénéficié de rues droites et larges atteignant 8 à 10 m. Le pavage et le dallage se généralisent à partir du 14è siècle ; par contre seule une rigole au milieu de la rue assurait l’écoulement des eaux usées.

            * L’église : on l’associe à un cimetière

            * La place : espace d’accueil des activités ludiques, religieuses et commerciales, elle est entourée de maisons à arcades ou à piliers.  La « halle » en est un élément essentiel puisqu’elle abrite le marché comme le gouvernement de la cité ou la « maison de ville ». On accède à la place en arrivant par des rues qui débouchent aux angles de celle-ci.

En conclusion, on peut dire que la cité médiévale semble reposer sur un ordre statique, respecter un certain immobilisme social. Le collectif transcende cette société divisée en nobles, bourgeois et paysans selon une hiérarchie destinée, croyait-on, à survire à l’usure du temps et de l’histoire.

En effet, les remparts de la ville du Moyen Âge sont des limites aussi bien matérielles que symboliques. Ils protégeaient de l’étranger, de l’agresseur, mais ils s’élevaient aussi comme des barrières aux changements sociaux.

C’est sous l’impact de l’industrie , de la circulation des marchandises, des hommes et des idées que cet édifice immobile et statique va connaître ses premières fissures. La féodalité entre en crise, la suprématie du collectif est contestée par les droits et les revendications de l’individu , et la raison bouscule le règne des croyances religieuses et de l’obscurantisme. La ville va, là-aussi jouer un rôle essentiel dans l’éclosion de la nouvelle société, la société de la renaissance.

 

Les principes de l’urbanisme de la Renaissance

La « Renaissance » est un terme qu’on pourrait facilement associer à d’autres termes tels que rénovation, résurrection, réveil, etc. Et c’est à un phénomène de ce type que va assister l’Europe au cours du XVè et XVIè siècle. Période réellement exceptionnelle pour les révolutions d’ordre philosophique, artistique, social et économique qui toucheront les moeurs des citoyens et la vie des nations occidentales, l’aventure commençant  en Italie.

            Si la Renaissance est un mouvement qui s’attache à découvrir le nouveau, il le fera, paradoxalement peut être, en reconstruisant le pont qui le lie à l’Antiquité et en mettant entre parenthèse la période du Moyen Âge.

La civilisation Antique fut considérée comme le seul creuset de la sagesse et de la beauté. Écrire en latin devient courant ; dans les universités on enseigne le grec ; l’art antique constitue la référence et le modèle à suivre pour les architectes ; et la mythologie grecque et romaine inspirent peintres et sculpteurs de la Renaissance.

Mais il faut préciser que l’initiation et le retour à l’Antiquité ne signifiait point copier l’Ancien. C’était un point de départ pour fonder une oeuvre originale.

            Si le Moyen Âge a mis au centre du monde Dieu, la Renaissance va le remplacer par l’individu ou l’homme qui va entrer d’une manière presque définitive, dirons-nous , sur la scène de l’Histoire occidentale. Cette mutation extraordinaire a eu pour corollaire l’humanisme en tant que mouvement littéraire et philosophique caractéristique de la Renaissance.

            Cette position centrale conquise par l’Homme dans la Renaissance pousse des artistes comme Raphaël, Michel-Ange, Botticelli, Titien, François Clouet, Dürer ou Bruegel à accorder un intérêt particulier à l’homme et à la nature. Dans leur peinture la réalité quotidienne, la campagne, l’anatomie du corps humain et le portrait deviennent sources d’inspiration et objet de représentation.

            La découverte de la perspective comme science et son application à l’art, en Italie et en Flandre, répond à ce désir nouveau des artistes d’imiter la nature et de rompre avec un art d’illustration d’un univers mythologique ou religieux.

            En 1443, l’architecte florentin Alberti, énonce, le premier, une théorie de la perspective dans son « Trattatto della pintura ». Et à partir du XVè siècle, les traités se multiplient, et la perspective, avec Mantegna par exemple, atteint la perfection dans l’art du trompe-l’oeil.

            L’homme de la Renaissance libéré du joug de la commune médiévale, du poids de la collectivité, est désormais isolé dans une société urbaine qui commence à se diviser d’une manière assez sensible et profonde. Le capitalisme commercial fait son apparition.

Grâce aux progrès de la navigation, Christophe Colomb, Vasco de Gama peuvent explorer de nouveaux continents et favoriser donc l’essor du commerce international.

            Une classe dominante de riches marchands s’affirme pour prendre en main les affaires d’une cité où affluent or et argent et où les banques se multiplient. Mais cette richesse matérielle n’a pas que des répercussions économiques, elle va introduire dans la société du XVè siècle un mode de vie et un mode de pensée fortement influencés par la logique du calcul et la recherche du profit. Quant aux préoccupations sociales, elles vont disparaître progressivement des préoccupations des autorités, de la haute bourgeoisie financière et marchande.

            Cette époque de transformations sociales et de bouillonnement artistique et philosophique, va avoir également son impact sur l’urbanisme qui va bénéficier aussi des progrès de l’architecture et de la technique.

 

Les premières théorisations de l’urbanisme de la Renaissance

            On ne peut parler d’urbanisme de la Renaissance sans revenir sur Léon Battista Alberti (1404-1471) qui, dans la continuité de Vitruve, repose la question de la « cité idéale ».

Il en énonce les deux principes directeurs : volupté (voluptas) et commodité (commoditas). La ville ne doit pas seulement être confortable, facile à vivre, comme ce qu’exigeait déjà la cité médiévale, mais, en plus, elle doit être belle.

            Alberti réintroduit l’esthétique urbaine comme souci et exigence de l’urbanisme et renoue donc avec la tradition grecque et romaine. Son appel à une « composition » de l’espace de la ville, à la manière d’une oeuvre picturale, va bouleverser conception et réalisation des villes de l’époque.

            Le second théoricien qui a aussi marqué la période de son empreinte est Filarete, de son vrai nom Antonio Averulino, dont les tracés urbains en étoile ont provoqué l’admiration des princes et aristocrates de la Renaissance. C’est, d’ailleurs, un condottiere italien François Sforza, duc de Milan, qui lui donne l’occasion de concevoir sa ville idéale, « Sforzinda », avec un plan radiocentrique.

Au milieu se trouve la place centrale et le palais vers lesquels convergent les huits branches de l’étoile.

            Nos deux théoriciens de « la ville idéale » n’ont, en réalité, fait qu’inaugurer un moment de l’histoire de l’urbanisme où la gymnastique de l’esprit s’exerçait à jouer des formes et des dessins géométriques avec pour seule fin : le plan urbain idéal. Rues, places, palais, maisons se combinaient de mille et une manières sous le crayon des architectes de la Renaissance pour aboutir à des figures de polygones de 4, 6, 8 et plus de côtés.

            La ville idéale était d’abord une ville idéelle, une image. Et la condition nécessaire et suffisante pour réaliser la ville idéale consistait en sa conception « planéaire », c'est-à-dire en sa figuration en tant que totalité spatiale. La planification urbaine à la Renaissance faisait donc ses premiers pas, et la ville devient l’objet d’une étude scientifique, d’une réflexion a priori. Tout en étant l’oeuvre d’un prince, la cité était aussi devenue le projet d’architectes, d’ingénieurs et d’artistes.

 

La planification de la ville idéale

            Les règles de la planification spatiale de la ville n’ont pas eu l’occasion d’être concrétisées, en ce début de la Renaissance, si on excepte la construction de quelques villes nouvelles de taille modeste. L’aménagement de villes existantes en application d’un nouveau plan urbain, ne fera son apparition qu’au XVIIIè siècle.

            Quels sont donc les structures fondamentales et principes directeurs de la ville-modèle de la Renaissance ? on peut citer les suivants :

            * Le tracé urbain : Il est essentiellement basé sur la figure géométrique, en particulier les polygones réguliers qui symbolisaient le canon de l’esthétique urbaine. La géométrie permettant en effet la rectitude des rues, la symétrie dans la composition urbaine, la centralité et la possibilité d’une liaison organique entre les différentes parties du plan ou de la ville.

            * La monumentalité : Elle se réalise grâce à l’existence d’un centre ville vers lequel convergent regards et rues, et qui est en même temps le point où se rejoignent des rues en perspective.

Dans cet espace central, on édifiait généralement un monument qui peut tout aussi bien être une porte qu’un obélisque.

Participent de même à cette monumentalité les places publiques qui ne désignent pas le centre de la cité, mais un espace de la ville que la géométrie ou la composition urbaine mettent en valeur : pour les places circulaires on optera pour des rues rayonnantes et pour les places carrées, les rues déboucheront au milieu des côtés.

Toute cette scénographie urbaine est confortée par des statues, des portiques, des fontaines, et surtout des façades monumentales classiques, caractéristiques de la Renaissance italienne, percées de fenêtres dont la thématique est basée sur la recherche du rythme.

 

La naissance de la ville moderne

            Dans l’histoire de l’humanité, l’explosion urbaine fut assez soudaine. Elle se situe au début de la révolution industrielle quand une majorité d’espaces s’urbanisent. Jusqu'alors la taille des villes était soumise à des contraintes qui relèvent des ressources alimentaires, du transport, des sources d'énergie et de la sécurité.

            Ces obstacles vont être surmontés grâce en particulier:

            - Aux progrès agricoles qui ont permis à une population  de moins en moins nombreuse de nourrir un nombre toujours croissant d’individus;

            - Au transport des denrées et à la circulation des personnes qui furent rendus plus aisés par la création d’un réseau routier;

            - A la découverte de sources nouvelles d'énergie telles que le charbon et l’acier, pour remplacer la force animale;

            - Aux progrès dans les techniques militaires qui ont fait éclater les murs d’enceinte des cités médiévales dans lesquelles s’agglutinaient les habitations.

            Au début du 19è siècle, la limite du million d’habitants est franchie dans de nombreuses villes :Londres, Tokyo, New York, Philadelphie, Calcutta, Buenos-Aire. L’explosion urbaine est alimentée par l’explosion démographique et les migrations des campagnes vers les villes devient importante. En un siècle, la population européenne passe de 180 M à 400 M d’habitants et c’est dans les villes que se concentre la majorité de cette croissance.

            Le 19è siècle se caractérise aussi par l’apparition de véritables espaces de la misère à l’intérieur des villes. Certains types de pauvreté semblent vraiment liés à l’explosion urbaine et contredisaient l’idée dominante à cette époque  qui associait la pauvreté à la déchéance physique et morale.

            Le 20è siècle confirme la croissance démographique et urbaine du 19è, et population et villes ont des courbes de croissance à allure exponentielle. En 1960, 99 villes comptent plus de 1 million d’habitants ; en 1983, ce chiffre est multiplié par 20.

Dans tous les pays, il existe au moins 1 ville de plus d’1 million d’habitants. Aujourd’hui, ce chiffre caractérise des villes moyennes en Europe.

            La croissance urbaine a été moins importante sur le plan du chiffre de population que sur le plan de l’étalement de l’espace.

Ex. : Paris est passée, entre 1830 et 1960, de 1 à 7 millions d’habitants; son espace bâti s’est multiplié par 15.

             La ville apparaît comme « dévoreuse » d’espace étant donnée sa force d’attractivité et ses mouvements centrifuges qui dépeuplent le centre et rejette les populations vers des zones de moins en moins dense de la périphérie.

            Ainsi, le processus d'extension d'une ville répond à un schéma assez simple, celui de la tâche d'huile : la ville progresse par la périphérie en donnant naissance à la banlieue, l'ensemble ville/banlieue constituant l'agglomération.

           

 

            1.La métropole :

             Elle marque une nouvelle étape dans l'extension de la ville. A l'origine, la notion désigne le résultat d'un phénomène spécifique à la société américaine : la transformation des centres-villes en centres d'affaires, et le départ des couches les plus aisées de la population vers les banlieues (suburbanisation). En France, la métropole revêt un autre sens : dans les débats relatifs à l'aménagement du territoire, elle désigne les organisations urbaines régionales qui peuvent faire contrepoids à Paris (les "métropoles d'équilibres").

 

            2. Les banlieues :

            Dans le passé, la ville était entourée de villages qui lui fournissaient les ressources alimentaires, l’artisanat nécessaire tout en gardant le caractère villageois autonome avec une population active qui y vivait et travaillait.

            Actuellement, les faubourgs sont totalement englobés par la ville. Ils ont été transformés en banlieues assurant des fonctions strictement résidentielles ou industrielles.

 

"Aujourd'hui, nous avons du mal à nommer les choses. Les quartiers "difficiles", ceux qui sont au centre des politiques de la ville, ne sont pas aisément définis. Faut-il parler de banlieues?

     C'est absurde en raison même de la diversité des populations et des conditions, au sein du même grand ensemble parfois. Pouvons-nous parler de ghettos? Ce serait encore plus inacceptable car ces quartiers sont ouverts, on y circule, en raison de leur hétérogénéité, ne sont nullement des quartiers ethniques. l'assimilation avec les ghettos noirs des grandes villes américaines sert soit à nous faire peur, soit à évoquer un processus. Faut-il alors parler de quartiers de marginaux ? Malgré des taux de chômage élevés et l'isolement géographique, leurs habitants participent de la culture de masse, et l'Etat ne les a pas abandonnés. Devons-nous parler de pauvreté? Le mot est vague lui aussi, et la fragilité économique ne correspond guère aux formes traditionnelles de la pauvreté et de sa culture."

Rev. Sciences Humaines, Au coeur de la ville, n°70 - Mars 1997

 

            Il existe différents types de banlieues :

- Banlieues proches à l’habitation dense assez bien assimilées à certaines vocations (portuaire, marchande...) et en continuité absolue avec la ville.

- Les moyennes banlieues à vocation résidentielle plus affirmée. On y voit dans certains cas survivre un certain caractère rural.

- La grande banlieue-dortoir des pendulaires dont on ne connaît pas exactement les limites.

 

            3. Les mégapoles :

                        A partir d'une certaine importance spatiale et/ou démographique (une dizaine de millions d'habitants), agglomérations et métropoles peuvent acquérir le statut de mégapole. Celle-ci fait plus que suggérer l'idée de gigantisme. Elle exprime aussi le caractère boulimique et désordonné que revêt l'extension de l'espace urbain. On en trouve des exemples aussi bien dans  les pays en développement : dans un cas comme dans l'autre, il s'agit souvent des capitales économiques."

 

            4. Les mégalopoles :

            Des agglomérations séparées initialement se rejoignent par le comblement progressif des espaces interstitiels. Ce phénomène récent est le plus souvent lié à la concentration de puissance, de capitaux  et de pouvoir dans une "grappe de villes" proches.

            Trois ensembles peuvent aujourd'hui prétendre au statut de mégalopole : les villes qui relient Boston et New York, le long de la façade Atlantique du Nord-Est des Etats-Unis ; la "banane bleue" européenne que matérialisent  le "semis" de villes qui s'étend de l'Angleterre du Sud-Est à l'Italie du Nord en passant par l'axe rhénan; enfin, en Asie, la mégalopole centrée sur Tokyo, et, à moyen terme, l'arc urbain courant de Séoul à Singapour en passant par Pékin, Changhaï, Canton.

 

Idées anciennes et nouvelles de la ville

            L’explosion urbaine est un problème qui se pose actuellement différemment qu’autrefois.

            A la fin du 19è siècle, la croissance urbaine était synonyme de progrès et en corrélation avec le bien être d’une population, son développement culturel, intellectuel et artistique. La ville était « désirable » et ce caractère était très clair pour les jeunes générations qui fuyaient la campagne pour s’établir en ville.

            Actuellement, et tout particulièrement en Europe, cette croissance ne va plus vers une densification des espaces mais plutôt vers un étalement qui traduit un refus de la ville, une fuite de la ville. Le dépeuplement des centres est très important: entre 1970 et 1975 aux USA  les centres villes perdaient chaque année 1.400.000 habitants.

            Une autre conception ancienne voulait qu’on sépare population urbaine et non urbaine pour affirmer la distinction entre les activités commerciales, industrielles et les activités agricoles.

            Cette idée reposait sur deux hypothèses : les activités non agricoles doivent se situer en ville ; les personnes y travaillant doivent habiter en ville.

            Ces deux hypothèses sont aujourd'hui infirmées : les entreprises émigrent des villes et même certains services (universités, laboratoires, technologie de pointe) se situent actuellement en espace rural ; et le lieu de résidence se trouve de plus en plus dissocié du lieu de travail.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


PASSE ET PRESENT DES VILLES MUSULMANES

 

            Un grand nombre des analyses et des conclusions que nous avons énoncées ne recouvrent que les réalités historiques, sociales et urbaines occidentales. La civilisation et les formations sociales arabo-musulmanes ont suivi un itinéraire différent qui nécessite qu'on aborde leur contexte urbain d'une manière distincte aussi bien du point de vue analytique que méthodologique.

           

Les ancêtres :

            La civilisation islamique est une civilisation essentiellement urbaine. Les premiers siècles de l’Islam sont en effet marqués par une intense urbanisation. Mais ceci ne doit pas nous faire oublier que cette tradition urbaine remonte loin dans l’histoire des Arabes et de la « Jazira arabia » (l’« île arabe »).

            En effet, il existait dès l’origine, chez les arabes, une tradition urbaine fondée notamment sur le commerce caravanier et pastoral dont la cité d’« Al Batra » (PETRA) capitale des Nabatéens située au sud de la Jordanie, a constitué un exemple frappant.

            Les Nabatéens, tribu nomade du nord de l’Arabie, ont commencé à s’établir dans la région de Pétra à la fin du 7ème siècle  av.J.C. Ils furent certainement attirés par les abondantes ressources d’eau et par la position privilégiée d’un territoire entouré de montagnes.  Les vestiges actuels de la ville et la majesté des constructions faites dans la roche laissent supposer une activité et une vie urbaines intenses. L’explication la plus probable à cette prospérité des Nabatéens est à rechercher dans la place stratégique que Pétra occupait au carrefour des routes de l’encens, de l’épice et de la soie qui liaient la Chine, l’Inde et le Sud de l’Arabie à l’Égypte, la Syrie, la Grèce et Rome. En tant que cité des caravanes, Pétra était une place idéale pour s’arrêter, faire le plein d’eau, et utiliser les entrepôts immenses pour les marchandises qui venaient de partout. Les habitants devinrent riches en imposant des taxes sur les marchandises de passage et en offrant en retour une protection pour les caravanes contre les voleurs et les brigands.

            On remarque donc que plusieurs siècles déjà avant l’islam, le commerce caravanier et la sédentarisation partielle ou totale des tribus nomades sont deux facteurs qui ont joué un rôle important dans la formation des premières entités urbaines de la civilisation arabe pré-islamique.

 

L’essor urbain musulman  

            Avec l’apparition de l’islam et son expansion, la tradition urbaine se renforce puisque la conquête arabo-musulmane va entraîner la création de ville nouvelles, de villes-camps comme Kufa ou Kairouan, d’une part ; et le développement de centres anciens, en Syrie ou en Iran, pour en faire de nouvelles villes musulmanes, d’autre part.

            Entre le 7è et le 11è siècle ap. J.C., l’espace islamique offre, par rapport au reste du monde, le spectacle de villes énormes qui ne peuvent être comparées aux minuscules petites villes de l’Occident chrétien.

Tout en étant prudent sur les chiffres, on peut aisément imaginer que Bagdad dépassait le million d’habitants, que le Caire (au 9è et 10è siècle) et Samarkande (au 10è siècle) atteignaient 500.000 habitants.

            Les capitales du califat musulman assuraient plusieurs fonctions: administrative, militaire, judiciaire, culturelle, commerciale et religieuse.

            La formation sociale musulmane ne fut certainement pas identique dans tous ses traits à travers l’ensemble des régions de l’empire. Toutefois, on peut reprendre la typologie proposée par Louis Gaudet dans «Les hommes de l’islam », qui parle de « milieux » sociaux en proposant la répartition suivante : « milieu des cours et des palais, milieu des « hommes de religion », milieu des lettres et des savants auquel peut être joint tout fonctionnaire de rang élevé, milieu des propriétaires terriens et des grands marchands ; viennent ensuite les étudiants, les petits commerçants et artisans des souks et le peuple. »

            D’une manière générale, les non-musulmans furent bien acceptés par la société musulmane sans qu’il y ait eu à proprement parler égalité dans les droits. On permit par exemple à des chrétiens ou des juifs d’occuper des postes administratifs importants. De même, les nouveaux convertis (mawali) d’origine non-arabe jouèrent un rôle non-négligeable dans l’administration et dans la vie intellectuelle du califat musulman.

            En allant plus dans le détail des composantes essentielles de la société urbaine musulmane, on peut distinguer deux grands ensembles : l’aristocratie dirigeante ou « al’khâssa » (élite) et le peuple ou « Al’âmma »(le commun des mortels). Le sommet de la hiérarchie est donc formé par l’entourage du calife ainsi que les grands commerçants et les intellectuels.

            Le prince et son entourage vivent relativement isolés dans des palais qui ressemblent à de véritables petites villes. Les effectifs de la cour califale étaient nombreux puisqu’on y comptait les grands officiers, le vizir, le commandant en chef de l’armée, le préfet de police, le grand cadhi et enfin le personnel domestique constitué d’hommes libres et d’esclaves.

            Sous les drapeaux, on trouvait essentiellement des turcs possédant une culture musulmane très légère et vivant à l’écart de la population dans des quartiers séparés.

            Les « ulémas » et les « fukahas » avaient en charge les questions de la religion et de la loi et servaient d’intermédiaires entre le pouvoir califal et le peuple. Ils étaient généralement admirés et respectés pour leur connaissance du Coran et de la « chariâ ».

            Les commerçants sont généralement tenus à l’écart du pouvoir politique malgré leur poids économique et leur richesse. La plupart possédait d’ailleurs des propriétés foncières autour des grandes villes et faisaient acte de bienfaisance en construisant à leur charge des édifices religieux.

            Le vocable « Al’âmma » désignait le groupe social où peuvent être rangés les artisans qui n’occupaient pas tous le même rang social. Leur position dépendait souvent du type d’activité qu’il exerçait ; étant entendu que les orfèvres occupaient le sommet des corporations artisanales, et les tanneurs le bas de l’échelle.

D’autres métiers urbains étaient exercés par les couches modestes de la population : porteurs d’eau, portefaix, gardiens de hammam, masseurs, conteurs, acrobates, etc.

            Signalons aussi que l’esclavage a continué à exister en Arabie comme dans tous les pays islamisés bien que l’islam ait recommandé l’affranchissement des esclaves et leur a conféré un statut d’égalité quand ils adoptaient la religion musulmane. Selon leur ethnie, les esclaves assurent des fonctions diverses : les noirs pour les services domestiques, les slaves pour les métiers du divertissement et la garde du harem, et enfin les turcs pour la fonction militaire.

 

La typologie urbaine musulmane

 

            1. Le premier modèle médinal

            Le fait historique et le récit mythique fondateur désignent Médina ou « Madinat En-Nabi » (la ville du prophète) en Arabie comme le type idéal de la cité musulmane que tout musulman doit respecter. Cette recommandation ne surprend point car c’est là où le prophète Mahomet se réfugia et vécut, c’est là où les espaces ont été modelés en respect des préceptes du Coran et de la « Charia »: des habitations introverties qui enveloppent la Grande Mosquée (ou mosquée du vendredi).

 

 

            2. Des villes aux origines multiples

            En dépassant la dimension mythique et en examinant les facteurs qui ont présidé à la naissance des villes islamiques ; l’on s’aperçoit que ces villes ont des origines multiples qui peuvent néanmoins être ramenées à quatre variantes principales:

            En premier lieu, le site naturel a joué un rôle non négligeable. Dans ces contrées désertiques, la présence d’un point d’eau, d’une oasis favorisaient souvent le regroupement d’une communauté et l’implantation d’une ville. Les conditions climatiques et hydrologiques dans ces lieux devaient constituer un pôle d’attraction pour les caravanes à la recherche de villes-étapes et de marchés au cours de leur longue pérégrination sur les routes commerciales de l’époque. C’est le cas de Samarra (Irak).

            En second lieu, nous trouvons des constructions militaires dénommées Ribats (citadelles ou forteresses) qui ont vu le jour au cours de la guerre sainte menée par les troupes des « moujahidines », et qui avaient pour rôle de surveiller et d’assurer la possession  des nouvelles terres islamisées. Ces « Ribats » ont par la suite engendré de véritables cités telles que Sousse, Monastir (Tunisie) et Rabat (Maroc).

            Le troisième facteur qui a joué dans la création d’implantations urbaines au cours des premiers siècles de l’islam, sont les sites de villes anciennes grecques, romaines ou phéniciennes. Ces dernières ont rempli la fonction de réserve de matériaux de construction facilement exploitable ou joué le rôle de "fond de plan" pour la trame urbaine de la ville islamique qui venait en « sur-impression » de la trame antique comme à Alep (Syrie).

            La dernière cause d’apparition d’une concentration urbaine est spécifique aux régions rurales où les bâtiments abritant la sépulture d’un saint (wali) ou marabout avaient tendance à développer commerces, habitations et lieux d’hébergement pour accueillir les pélerins de passage.

            Enfin, dans certains cas la création et le développement d’une cité islamique furent motivés par une combinaison des facteurs cités plus-haut. L’abondance et la proximité de l’eau ayant très probablement été un critère principal dans le choix d’un site dans cette zone désertique vu la rareté des pluies.

 

            3. La typologie et la structure urbaines islamiques classiques

            Les premiers voyageurs et les premiers géographes qui se sont intéressés au monde musulman, ont vu dans les villes qu’ils visitaient ou décrivaient un ensemble incohérent et anarchique. Ainsi le géographe français De Planhol écrivait : « Il y a un paysage urbain de l’islam fait d’un enchevêtrement de blocs mal aérés par un labyrinthe de ruelles tortueuses et d’impasses obscures, de maisons basses... Par un paradoxe assurément remarquable, cette religion à l’idéal urbain aboutit à la négation même de l’ordre urbain ».

            Cette vision européo-centriste de « l’ordre urbain » qui ne voit rationalité, cohérence et hygiène que dans les villes à plan orthogonal, a été évidemment bousculée par les transformations politiques et culturelles survenues suite à la décolonisation et à l’émergence d’aires culturelles anciennement dominées.

            La ville musulmane, autrefois traitée d’inorganique et d’anarchique, va petit à petit révéler qu’elle possède une typologie et une morphologie urbaines particulières, qu’elle fonctionne selon une logique et une organisation urbaine tout simplement différente de celles d’autres villes.

            De toutes les cités islamiques avec chacune sa particularité régionale, son histoire et son site, on peut affirmer faire ressortir des composantes urbaines qui sont autant de constantes et qui nous font dire qu’il existe un plan-type de la cité islamique dont les éléments essentiels sont les suivants :

            * Enceintes et portes de la cité :

            L’entité urbaine islamique se présente comme un tout bien délimitée et ceinturé à l’extérieur d’une enceinte ou remparts interrompus seulement par de véritables « portes urbaines » qui ouvrent sur un paysage rural sinon semi-rural. La silhouette urbaine de la ville musulmane donne cette impression de l’espace clos et convergeant vers un pôle central.

            * La Grande Mosquée ou mosquée de la « Khûtba » (du vendredi) :

            Toutes les descriptions des villes musulmanes ont mis l’accent sur un aspect ayant trait à la vie religieuse de la cité, c’est la centralité de la Mosquée, qui ne signifie pas nécessairement le centre géographique de l’espace urbain. Autour de la mosquée gravite le monde des lettrés, savants et étudiants.

Université et médersas s’agglutinent à ce pôle religieux pour associer au cultuel le culturel.

La proximité avec la Grande Mosquée confère aux espaces limitrophes des lettres d’anoblissement déterminant ainsi la valeur des localisations et leur ordonnancement.

La contiguïté de tel métier et de tel souk avec la mosquée dépend donc de son degré d’impureté et de pureté, tel que le Coran ou les hadiths le laissent entendre.

            * Les pôles de production (ou souks) et de pouvoir :

            Les souks se déploient donc à proximité de la Grande Mosquée, spécialisés par métiers. Certains métiers « polluants », dévalorisés socialement et économiquement, comme ceux des forgerons, des tanneurs, des teinturiers et des potiers sont relégués à la périphérie. Par contre, les marchands de parfums et d’encens jouxteront le lieu de prière, puis viendront les tisserands de soie et les orfèvres travaillant l’or et les pierres précieuses.

Chaque souk porte le nom de la corporation artisanale qui l’occupe. Cette dernière a ses propres règles, que nul « maâllem » (le maître) ou « sanaâ » (apprenti) n’oseraient enfreindre. L’« amin »(syndic) et le « muhtassib » (contrôleur) dirigent la corporation et veillent à la qualité et à la conformité du produit aux normes. Souvent les corporations entretiennent des relations avec des confréries religieuses, redoublant les liens puissants entre le souk et la mosquée et corroborant ainsi les paroles du Calife Omar qui aurait dit : « En tout, le bazar marche d’accord avec la mosquée ».

 Cette structure urbaine faite de voies principales piétonnes sur lesquelles s’accrochent des pôles d’activité commerciales et artisanales, débouche sur une forteresse ou une Kasbah espace du pouvoir politique, administratif et militaire.

            * L’espace résidentiel :

            L’essentiel de la cité islamique est occupé par un tissu d’habitat alvéolaire et dense qui s’articule à un réseau de rues et de ruelles ramifié et plus ou moins irrégulier.

Les zones vouées à la fonction résidentielle, sont nettement séparées des artères principales, et sont constituées d’unités d’habitations communément appelées : maisons arabes.

Chaque unité est composée d’un patio autour duquel s’ordonnent des pièces. La maison est fermée sur la rue, l’entrée en chicane préserve l’intimité familiale, et les toits-terrasses servent au séchage du linge, des denrées et facilitent les contacts entre voisins.

Ce tissu d’habitat intègre de même des équipements de quartier qui se répètent dans les différentes « Houma » (quartier) : mosquée de quartier (mesjed), fontaines, bain maure (hammam), école coranique (kuttab), moulins, fours, etc...

            * Les jardins et les fondouks :

            L ’importance de l’espace végétal pour la cité islamique s’explique probablement par la tradition coranique  qui associe le jardin à la projection du Paradis sur terre. La recherche du confort climatique dans une zone aride et désertique a dû jouer aussi un rôle dans cette recherche, au coeur et aux abords de la cité, de la présence de la végétation et de l’eau.

            Ces deux facteurs, d’ordre spirituel et matériel, ont favorisé le développement de jardins potagers et maraîchers dans les zones périphériques de la cité d’une part, et de jardins familiaux intra-muros, d’autre part.

            En outre, la ville islamique abrite à proximité de ses portes des « fondouks », à la fois dépôts de marchandises et hôtels.

 

Choc colonial et déstructuration des villes islamiques traditionnelles

 

            1. La désarticulation sociale économique et culturelle

            Le système social dont faisait partie intégrante la ville islamique traditionnelle était resté jusqu’à la fin du 19è siècle relativement cohérent, articulé et orienté vers l’intérieur.

Mais l’Occident et le capitalisme mondial, en phase de développement et d’ascension, n’allaient pas tarder à intervenir dans cette région du monde et imposaient des modèles culturels et socio-économiques qui allaient avoir des conséquences profondes sur les sociétés traditionnelles musulmanes de l’époque.

            La recherche par l’Europe de nouveaux marchés afin d’écouler ses marchandises et de sources de matières premières pour son industrie, allait entraîner des mutations irréversibles dans l’économie urbaine des médinas touchés par le choc colonial.

            L’artisanat qui était organisé sur la base des corporations soumises à une hiérarchie stricte et qui utilisait des techniques rudimentaires et archaïques, se trouvait avec la colonisation en face de la concurrence brutale et sans précédent des produits manufacturés venant des différentes métropoles coloniales occidentales.

Cette irruption des articles et produits européens manufacturés ont eu pour conséquence la ruine et le déclassement de l’artisanat traditionnel, donc le dépérissement du nerf vital de l’économie urbaine de la médina.

            Dans les campagnes, l’économie rurale soumise à des opérations brutales d’expropriation des agriculteurs autochtones et/ou à une modernisation des techniques d’exploitation importées par les colons européens, n’a pas échappé, elle aussi, au processus colonial de désarticulation. C’est pourquoi on voyait s’exacerber un mouvement intense de migrations vers les villes où commençaient à s’installer les premières entreprises européennes. Cette poussée migratoire, due essentiellement à une crise sociale et économique des campagnes, n’allait pas trouver dans les villes, et tout particulièrement dans le secteur moderne de l’économie coloniale, des postes d’emploi suffisants. Cet exode rural eut pour corollaire gourbivillisation des périphéries et la « ruralisation des médinas ».

            La colonisation introduit l’espace urbain des capitales musulmanes à une morphologie nouvelle ségrégative et désarticulée que concrétisent généralement trois aires distinctes : la ville européenne, la médina et les gourbivilles (zones d’habitat précaire ou bidonvilles).

           

 2. La désarticulation urbaine:

            C’est donc à la fin du 19è siècle et au début du 20è siècle que se produisent dans les villes du monde musulman de grandes transformations qui ont accéléré leur désarticulation morphologique et la sclérose de leurs traditions urbaines et culturelles, au bénéfice de l’expansion du modèle urbain européen.

            Associé au modernisme, ce type de développement occidental de la ville et de la société entraîne une confrontation entre le moderne et le traditionnel. Une bipolarité qui s’inscrira désormais dans le processus de développement des villes du monde musulman tout au long de notre siècle.

            Ainsi s’impose inexorablement le germe d’un tissu urbain de nature différente qui s’étend rapidement avec la ville coloniale. Ce premier dédoublement de la ville qui marque la rupture plus ou moins volontaire avec la population indigène sa société et sa culture, amorce le début du dépérissement de la médina.

 

Avenir des villes islamiques et villes islamiques de l’avenir

 

            1. Les premiers aménagements :

            Dans le mouvement de planification urbaine amorcé  au début du 20è siècle dans le monde, les villes musulmanes ont eu évidemment leur part. C’est dans la majorité des cas, à l’initiative des puissances coloniales, qu’on a cherché à faire pénétrer les colonies dans « la civilisation moderne » en leur imposant un réseau urbain organisé de manière à bouleverser l’équilibre et la hiérarchie des médinas traditionnelles.

            Le système urbain islamique possédait une cohérence propre qui ne cadrait point avec la conception et la « rationalité » urbaines des architectes et ingénieurs débarquant de la métropole coloniale. Souvent, la réalité urbaine des médinas a été associée au « désordre urbain » et à l’absence de normes modernes de confort, d’hygiène et de salubrité. On a donc cherché dans les plans d’urbanisme, soit à les éviter, soit à les faire traverser par de grands axes de communication.

            En outre, la dégradation de la vieille ville s’accélera avec la destruction du système social et de l’économie urbaine qui en sous-tendaient l’équilibre.

            Il apparaît donc que les plans d’aménagement proposés pour les villes islamiques durant la période coloniale reposent tous sur le postulat que la seule référence en matière de modèle de ville reste la référence occidentale.

            En effet, considérer le mélange de fonctions, la coexistence de modes de transport hétérogènes, la fourmilière des marchands ambulants, le labyrinthe des rues non comme des signes du chaos mais plutôt comme des réalités urbaines et culturelles spécifiques, signifiait aller à l’encontre de la doctrine urbaine occidentale dominante de l’époque. C’était même mettre en cause, la croisade civilisatrice des puissances coloniales européennes.

 

            2. Un héritage lourd

            A l’indépendance, les pouvoirs autochtones du monde musulman héritent de villes, surtout des capitales, fortement marquées par leur dualisme qui s’exprimait à plusieurs niveaux :

            * La dualité dans la centralité qui a pour résultat l’existence de deux centres-villes distincts. L’un traditionnel centripète, piétonnier et artisanal ; l’autre moderne multipolaire ou linéaire regroupant équipements de loisirs, de commerces et souvent aussi les bâtiments administratifs.

            * La dualité morphologique : du côté du centre historique, le bâti est « introverti », aggloméré, dense et horizontal à l’exception des minarets des mosquées. Par contre la ville européenne, les ensembles d’immeubles et de villas au style architectural occidental irrigués par un réseau viaire automobile, forment un tissu urbain plus lâche et plus tramé que le précédent.

 

            * La dualité démographique et sociale : les médinas ont tout au long de la colonisation assisté à un processus d’interversion démographique et sociale. Les couches aisées, en particulier les familles aristocratiques, ont quitté la ville traditionnelle et se sont dirigées vers les nouveaux quartiers ; les ont remplacées des populations pauvres des régions rurales et victimes de la modernisation de l’agriculture traditionnelle.

 

            * La dualité culturelle et politique : c’est dans les médinas que le patrimoine urbain et architectural se perpétue ainsi que le rythme quotidien que ponctuent le souk et la mosquée, la pratique du commerce et de la religion.

Dans la ville nouvelle, un mode de vie et de consommation résultant d’un mimétisme occidental s’est installé. L’activité politique a elle aussi choisi en général la ville européenne.

            * La dualité fonctionnelle : Concurrencée par les produits et les commerces européens, la médina a vu son artisanat dépérir. Petit à petit dans plusieurs centres historiques la fonction économique traditionnelle a été remplacée par l’activité touristique et le développement d’un secteur informel de petits métiers urbains (revendeurs, réparateurs en tout genres, récupération et recyclage de certains produits...).

 

            3. Que faire des médinas?

            A partir des années 50 les gouvernements des capitales du monde musulman sont devenus, en principe,  maîtres de leurs choix politiques et  de leur urbanisation. Ils ont donc été confrontés à des médinas densifiées, sur-occupées et sous intégrées socialement et fonctionnellement.

            En un premier temps, la réaction des élites nationalistes ne se distingue pas de l’approche européo-centriste qui a associé l’inertie et les dysfonctionnements des villes islamiques à l’arriération et au sous-développement.

            Et ce n’est que plus tard, au cours des années 70, qu’on a enregistré un renversement de la problématique et de la méthodologie d’approche de la réalité urbaine du centre historique islamique. Cette nouvelleoptique, expérimentée au cours des trois dernières décennies, va envisager trois options majeures d’aménagement des médinas :

            *La restauration et la conservation qui accordaient la priorité aux édifices de valeur historique et architecturale. La critique souvent avancée à ce type d’intervention est le risque de « muséification » des médinas et de transfert de la population résidente.

            * La réhabilitation du tissu traditionnel en le dédensifiant c’est-à-dire en relogeant une partie de la population présente. On reproche à ce traitement son illusion de voir renaître des modes de vie et des pratiques sociales séculaires et disparues à jamais.

            * La requalification fonctionnelle : consiste en une intervention sur ce qui fait la centralité de la ville tout en repensant le rôle de la médina au sein du fonctionnement global de l’agglomération contemporaine. Introduction d’activités nouvelles, désenclavement et réaffectation de certaines édifices de la médina sont proposés dans ce sens.

            En conclusion, on peut affirmer qu’en dépit des problèmes qu’a rencontré et que rencontrent les centres historiques des villes du monde musulman, il apparaît que ceux-ci présentent, encore souvent, certaines conditions et certains atouts susceptibles de favoriser leur réanimation et leur revalorisation.

            Mais, un tel choix, s’il est pris, nécessite la mise en oeuvre rapide de moyens budgétaires importants et des décisions politiques et administratives courageuses et délicates afin d’enrayer le processus de dégradation qui frappe les médinas.

            Dans cette direction, la définition d’une politique d’aménagement et de ses modes d’application n’est pas aisée même si elle est nécessaire et urgente. La complexité du milieu urbain des villes du monde musulman exige des mesures qui doivent en effet être adoptés aux exigences nationales et locales des pays concernés qui n’ont pas tous ni la même sensibilité au problème, ni les mêmes moyens pour le résoudre.

 

 

 

 

 

 

 

 


Les courants classiques de la sociologie urbaine

 

            Bien que le phénomène urbain plonge ses racines très loin dans l’histoire de l’humanité, l’urbanisme en tant que théorie et réflexion reste un domaine d’étude relativement récent. Cet état de fait est dû au fait que les penseurs, d’avant la révolution industrielle, considéraient la ville comme une image de la société et non comme une forme particulière de vie sociale.

            Cet obstacle d’ordre théorique et épistémologique finit par disparaître sous l’impact des transformations profondes qu’ont connu les villes avec la révolution industrielle. La croissance urbaine n’est plus provoquée uniquement par la simple augmentation de la population résidente, mais elle est de plus en plus déterminée par l’exode des paysans attirés par le travail et le mode de vie citadin.

            La sociologie urbaine, dans son acception large, peut être ramenée à trois grandes écoles : allemande, française et américaine.

Pour donner une idée concrète du contenu des analyses urbaines représentatives de chacune de ces écoles classiques, on étudiera tour à tour les théoriciens et penseurs suivants :

* Max Weber et Karl Marx pour l’Allemagne ;

* Louis Wirth, et l’ « École de Chicago » ;

* Enfin, Émile Durkheim et Henri Lefebvre pour l’école française.

 

L’École Allemande :

            On peut dire que Max Weber fut l’inaugurateur des écrits sur la ville grâce à son livre intitulé « La cité ».

           

            1.Weber et la ville médiévale :                                 

            Weber définit la sociologie comme étant « une science dont l’objet est de comprendre par interprétation l’activité sociale pour ensuite expliquer causalement le développement et les effets de cette activité ». Les sciences de l’homme, dans sa conception, procèdent par interprétation, c’est-à-dire qu’elles s’emploient à mettre en relief les relations significatives entre les phénomènes. Cette recherche du sens, c’est ce qu’on dénomme « la méthode compréhensive ».

            L’objet propre de la « méthode compréhensive » est de saisir le sens d’une activité et plus particulièrement celui qu’un acteur individuel ou collectif donne à son action.

            Afin d’éviter le psychologique, Weber recommande la construction de « types idéaux : « on détient un idéal-type, en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en enchaînant une multitude de phénomènes isolés, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre, qu’on ordonne selon les précédents points de vue choisis unilatéralement pour former un tableau de pensée homogène ». Le véritable rôle donc d'un idéal-type est d’être un facteur d’intelligibilité.

            La ville médiévale intéresse Weber dans la mesure où elle constitue un maillon important dans le développement de la « rationalisation » et de la « bureaucratisation » du monde occidental. La ville médiévale est définie comme « un rassemblement de maisons attenantes en rang serré, qui forme une agglomération d’un seul tenant, tellement vaste que le groupement ordinaire et spécifique de voisinage, caractérisé par la connaissance personnelle et réciproque des habitants, y fait défaut ».

            Weber ajoute en plus les caractéristiques suivantes pour définir la ville médiévale :

* Au niveau politique « la ville constitue un centre administratif où des représentants du pouvoir central exercent diverses fonctions politiques, de police, judiciaires et autres ». C’est aussi « une place-forte militaire où réside une garnison ».

 

* Au niveau économique, « la ville est la localité où se tient un marché, lieu d’échanges commerciaux avec la campagne environnante ou éventuellement avec d’autres villes, parfois lointaines... elle est le lieu d’une activité artisanale ou industrielle variée ».

            Weber distingue par la suite les « ville de consommation » des « villes de production » : les premières étant essentiellement des villes de fonctionnaires ou de personnes vivant quasi exclusivement de leur rente foncière. Comme il établit aussi une différence entre « villes-princières » et « villes-forteresse ».

            Pour quelles raisons, Weber voit-il dans la ville médiévale une entité particulière?

 

"Bien avant que Ferdinand Tönnies ne systématise l'opposition entre communauté (Gemeinschaft) et société (Gesellschaft) comme "catégories fondamentales de la sociologie pure" -c'est le titre de son ouvrage de 1887 dont l'audience dut attendre la réédition de 1912 -, l'emploi du terme communauté était courant en philosophie politique, de Hobbes à Rousseau notamment. Communauté offrait déjà une référence organique d'appartenance comme membre d'une collectivité de fait (communauté paisible) alors que société suggère une participation contractuelle (association économique, société civile) ; la société pourra ainsi être anonyme, la communauté au contraire confère l'identité et se trouve chargée d'affectivité (pathos dans le lexique de Max Weber). Communauté fonctionne comme définition de l'endogroupe qui marque le partage d'appartenances et d'identification entre "eux" et "nous", place donc les "autres" hors de la communauté et peut même servir à l'exclusion (ex-communion / excommunication). l'usage ordinaire renvoyait plutôt à la multiplicité des communautés rurales qui étaient en même temps des communautés religieuses, et en ville, aux communautés de statut confessionnel des minorités religieuses.

Parallèlement à "société", la laïcisation marchande et urbaine a promu le terme de commune qui affirmera un intérêt commun et une revendication de participation civique. Un glissement peut s'opérer de commune (le mouvement des communes) à communauté ; il est en effet remarquable que cette acception juridique et politique soit transposée de la communauté urbaine, à la communauté nationale, et aujourd'hui aux communautés multinationales, Communauté économique européenne notamment, communauté d'Etat indépendants.

Les enjeux de rivalité et de différenciation se pratiquent notamment dans le développement urbain qui s'effectue par migration en recoupant ou recouvrant les stratifications du travail et de l'habitat. Il se produit des effets de stigmatisation des logements et des quartiers, de cloisonnement des pratiques culturelles, d'exhibition ou de dénonciation des signes d'appartenance communautaire, qui s'exercent certes en ville et dont rend compte la sociologie urbaine ; mais la détermination de ces relations inter-ethniques ne s'en situe pas moins dans le partage entre les nationaux et les étrangers selon une hiérarchie complexe et mobile des immigrations et des jugements de valeur sur les différentes communautés."

Rev. Puriel - recherches, Vocabulaire historique et

critique des relations inter-ethniques, L'Harmattan, n°1 1993.

 

            L’originalité de la ville occidentale réside, selon lui, dans le fait qu’elle constitue « une commune urbaine », au sens plein du mot, puisqu’elle ne jouait pas uniquement le rôle d’un marché et d’une forteresse, mais elle jouissait d’une indépendance ou du moins d’une autonomie, que Weber nomme « autocéphalie ».

            L’autocéphalie  signifie que le dirigeant, ou la direction du groupement, est désigné par une réglementation propre au groupement, et non par une autorité qui lui est extérieure.

            La ville médiévale pour qu’elle puisse bénéficier de l’autonomie doit remplir les trois conditions suivantes :  la liberté de choix de ses autorités, une constitution qui lui est propre et un droit de propriété.

            En résumé, Weber caractérise la commune urbaine médiévale par les cinq traits suivants

1. Les fortifications ou remparts,

2. Le marché,

3. Un appareil judiciaire propre et, au moins partiellement, un droit propre,

4. Le caractère d’un groupement,

5. Et par conséquent, l’autonomie et l’autocéphalie.

            D'autre part, Weber attribue une importance énorme aux luttes sociales, dont le rôle, selon lui, a consisté à faire passer la ville du joug des notables à la ville plébéienne.

            Les classes sociales en présence dont la confirmation va produire la commune urbaine médiévale sont :

* L’aristocratie ou la noblesse qui tire sa puissance des possessions non urbaines, car elle repose en général sur les immenses terres situées en dehors de la ville, de sorte qu’ils ne tiennent pas leur rente d’une entreprise ou métier citadins.

* Le peuple formé essentiellement par des artisans.

 

            Notons qu’au Moyen-Age, on assiste à une véritable lutte des classes au cours de laquelle « les couches inférieures de la ville trouvèrent souvent un appui chez les paysans de la campagne environnante, soumis aux nobles et seigneurs terriens, habitant la ville, et qui aspiraient à certaines libertés, par exemple, celle de chasser. La commune libre, après sa victoire sur les grandes familles, a très souvent brisé la domination foncière dans son propre intérêt politique, libéré les paysans et introduit un libre mouvement de la terre au profit de spéculateurs disposant de fonds nécessaires pour en acheter ».

            Weber pense que cette vive tension sociale fit naître dans les villes un type de démocratie basée sur des liens professionnels et économiques, et parfois politiques en cas de conjuration révolutionnaire.

            L’étude de la commune urbaine médiévale  fut pour Weber une étape dans sa tentative de compréhension et d’analyse de la nature de la ville. C’est-à-dire qu’il s’agit pour lui d’aboutir à un schéma global et rationnel de ce que doit être la cité, en dehors de ce qui existe effectivement, tout en référant à l’histoire des villes et à l’expérience humaine.

            Ainsi, Weber a voulu dépasser la simple approche descriptive et historique des faits sociaux, pour la constitution d’un modèle de vie sociale. On le critique souvent pour n’avoir pas pris en considération le décalage en quantité et/ou qualité qui existe entre les systèmes urbains concrets et la construction théorique qu’il en fait et qui n’est en définitive qu’une image de l’esprit.

 

            2. Marx et l’espace urbain

            Karl Marx est un penseur qui est loin d’être confiné à la sociologie, et son oeuvre concerne aussi bien l’économie, la philosophie, la morale et la politique.

            Il est difficile, si on ne veut pas tomber dans une présentation réductrice, de résumer l’apport de Marx et les concepts fondamentaux de sa théorie. Toutefois, on tentera dans cette partie de présenter ce en quoi l’analyse de Marx est intéressante pour la sociologie de la ville et du phénomène urbain.

            La ville est saisie par Marx d’abord dans ses rapports, dialectiques et contradictoires avec la campagne. La séparation de ces réalités historiques, sociales et écologiques est considérée comme la plus grande division du travail matériel et intellectuel. La ville est l’espace où on trouve l’administration, la police, les instruments de production et les équipements de consommation. Par contre, la campagne met en évidence le fait opposé, l’isolement et l’éparpillement. Cette situation explique que la ville domine la campagne et que leurs rapports prennent l’allure d’une lutte de classes.

            Marx insiste en outre sur le fait que c’est dans la ville que se forme l’antagonisme bourgeoisie-prolétariat, caractéristique des sociétés capitalistes et élément moteur de leur dynamisme historique et social. En effet, la bourgeoisie se forme progressivement à partir des petits noyaux de bourgeoisies locales, en lutte contre la noblesse, et un prolétariat embryonnaire.

            Pour illustrer ce processus, K. Marx écrit dans « L’idéologie allemande » : « Avec la liaison entre les différentes villes, les conditions communes se transformèrent en conditions de classe. Les mêmes conditions, la même opposition, les mêmes intérêts devaient aussi, grosso modo, faire naître les mêmes moeurs partout. La bourgeoisie elle-même ne se développe que petit à petit, en même temps que ses conditions propres; elle se partage à son tour en différentes fractions, selon la division du travail, et elle finit par absorber en son sein toutes les classes possédantes préexistantes... ».

            A l’autre pôle de la formation sociale la classe ouvrière subira, elle aussi, l’influence décisive de la ville. C’est grâce à cette dernière que les ouvriers commencent à sentir qu’ils constituent une classe sociale. Un processus de constitution en classe à partir de serfs évadés, de paysans dépossédés par les guerres, les révolutions et les expropriations.

Cette masse de miséreux que les corporations et les manufactures naissantes étaient incapables d’absorber, saisit l’occasion du développement du machinisme pour former une véritable classe sociale : « ... le développement de l’industrie, non seulement accroît le nombre de prolétaires, mais il les concentre en masses plus considérables; la force des prolétaires augmente et ils en prennent mieux conscience. » (Le Manifeste).

            Enfin, pour Marx, la ville est importante parce qu’elle concentre la main-d’oeuvre, la rend disponible, améliore la division du travail et stimule donc la productivité. Étant un vaste marché et carrefour, la ville est un élément indispensable à la réalisation de la « plus-value » et à sa répartition : elle est le fondement même des disparités régionales d’une société.

            Une remarque s’impose c’est que K. Marx n’a en fait que peu disserté sur le phénomène urbain d’une façon directe et spécifique. La ville intervenait dans la théorie marxiste comme un facteur explicatif, une variable parmi d’autres dans la construction théorique du matérialisme historique et dialectique. Mais à la suite de Marx de nombreux chercheurs ont utilisé sa problématique pour la développer et l’enrichir.

 

            C’est en particulier le cas depuis ces trente dernières années en France, où se sont multipliées les publications traitant des problèmes de transformations du tissu urbain dans la société industrielle avancée. Le centre l’intérêt de l’école marxiste concerne avant tout les agents de l’urbanisation et les actions qu’ils développent par rapport à la ville.

            Les questions centrales posées par les chercheurs marxistes sont du type : Quels sont les acteurs qui par leur poids économique et politique pèsent sur le phénomène urbain ? Quels sont leurs modes d’interventions ? Quelles stratégies utilisent-ils ? Quel sont les choix et les enjeux de l’urbanisation ?

            En réponse à ces questions, se sont développées des études où le phénomène d’urbanisation apparaît directement lié à la formation de groupes sociaux qui se différencient les un des autres dans les rapports qu’ils entretiennent avec l’espace. Des travaux ont de même cherché à démontrer tout le poids considérable des intérêts industriels et financiers dans les opérations d’urbanisme et d’aménagement du territoire. (voir aussi les paragraphe sur H. Lefebvre dans la partie « l’école française »).

            On peut citer pour le courant marxiste français spécialisé en sociologie urbaine les auteurs et ouvrages suivants :

* Henri Lefebvre : « Le droit à la ville »

* Manuel Castells : « La question urbaine »

* Nicole Haumont et H. Raymond : « Les pavillonnaires » ; ainsi que la revue « Espace et Société », J. Lojkine, E. Preteceille, C. Topalov...

 

L’Ecole Française :

            Commencer la présentation de l’école française par un auteur comme Émile Durkheim peut paraître étrange et inadéquat pour les sociologues de l’urbain. Pourtant Durkheim, qui ne fut pas célèbre pour ses écrits sur la ville, parla et analysa plus d’une fois les rapports particuliers qui lient espace et société.

 

            1. La méthode Durkheimienne :

            C’est dans « Les règles de la méthode sociologique » (1895) que Durkheim explicite sa démarche en postulant que la sociologie est l’étude des faits sociaux dont l’explication ne peut provenir que des faits sociaux eux-mêmes. Et pour pouvoir identifier « le fait social », il note : « Est fait social toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure ou bien encore qui est générale dans l’étendue d’une société donnée, tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations individuelles ». A cette définition, Durkheim ajoute qu’« il faut considérer les faits sociaux comme des choses » dont le sens ne peut être découvert que par une explication de type objectif et scientifique.

            C’est sur ces fondements que Durkheim va bâtir tous ses écrits et analyses. Quant à l’étude du phénomène urbain, elle n’a été développée dans la sociologie de Durkheim qu’implicitement selon deux axes relativement indépendants l’un de l’autre.

            Le premier consiste en un ensemble de travaux mettant en relief le rôle fondamental de la ville dans l’apparition de nouvelles formes de relations sociales.

            Le second axe s’intéressa à faire la sociologie de l’habitat dans ses aspects physiques et matériels. L’habitat étant dans la terminologie de Durkheim un des aspects de la morphologie sociale.

            Mais il faudra la parution du livre de Durkheim « La division du travail social » pour trouver les éléments les plus intéressants de l’étude de la ville.

            L’ouvrage commence par définir deux types de solidarité : l’une est dite « mécanique » et l’autre « organique ». Les sociétés archaïques se caractérisaient par le premier type de solidarité ; par contre les sociétés modernes sont régies par le second type.

 

            Durkheim complète les attributs de ces deux types de solidarité par le concept de « conscience collective » qui serait un système de croyances et de sentiments largement partagés par les membres d’un groupe social.

            Dans les sociétés archaïques, la conscience collective englobe et domine la majeure partie des consciences individuelles. Ce n’est qu’à la suite de la différenciation sociale et de l’émergence de la solidarité organique, que cette situation va se transformer. S’impose alors la conscience individuelle en même temps que se développent l’autonomie et la liberté des individus.

            Dans quelle mesure la ville joue un rôle dans cette mutation sociale ?

Durkheim voit d’abord dans la division du travail le facteur qui explique le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique. La division du travail étant le résultat d’une combinaison de l’augmentation du volume, de la densité matérielle et de la densité morale de la société. Le volume correspond au nombre d’individus appartenant à une collectivité, la densité matérielle au volume sur une surface donnée, et la densité matérielle à l’identification des échanges et des communications entre individus.

            En d’autres termes, et sans que Durkheim l’énonce d’une manière explicite, la ville est pour lui l’espace où s’est développé cette densité dans ses aspects matériels et moraux. C’est donc le lieu où s’opère l’actualisation ou la concrétisation de la solidarité organique.

            Par conséquent, plus une société est pénétrée par l’urbain, plus l’individu s’affranchit d’un certain joug collectif, plus il émerge comme une personne. Cette analyse de Durkheim lui a permis de développer un autre concept important pour l’étude des villes contemporaines, c’est celui d’« anomie ». Étymologiquement, anomie signifie troubles, anarchie et absence de lois. C’est le cas quand la solidarité organique vient à manquer dans les sociétés modernes, quand l’ordre social est déréglé et bousculé.         .

            Durkheim pense implicitement que ce sont les villes contemporaines qui apparaissent comme les espaces privilégiés d’expression de l’anomie, cela en raison de leur développement extrêmement rapide et de la concentration brutale de masses humaines extrêmement hétérogènes. Dans de telles réalités urbaines la solidarité est vite concurrencée et remplacée par l’anomie.

Notons que certaines situations récentes dans les grandes villes européennes ou nord-américaines donnent toute son actualité aux analyses de Durkheim vieilles d’un siècle.

            En résumé, la pensée sociologique de Durkheim, quand elle s’attaque au fait urbain, l’analyse principalement dans son rapport à la société globale. Elle est de ce fait dans le prolongement de la sociologie européenne classique qui considère le fait urbain comme une problématique liée à des institutions, à des groupes, à un tout social régi par une loi générale du développement : la ville serait l’expression d’un degré de développement de la civilisation, à mettre toujours en rapport avec un système de valeurs idéales. On perçoit d’ailleurs nettement chez Durkheim une sorte de morale sociologique que dénotent ses développements sur l’urbanisation en tant que facteur d’intégration sociale.

            Une autre tendance de l’école française, a tenté de traiter la problématique urbaine comme une problématique spécifique. Son représentant le plus célèbre est sans nul doute Henri Lefebvre.

 

            2. H. Lefebvre et la théorie de « l’urbain »

            Lefebvre chercha à fonder une théorie de l’urbain dont l’essentiel du contenu fut développé dans son livre intitulé : « La révolution urbaine ».

            Pour H. Lefebvre, la ville est la matérialisation sur l’espace-support, c'est-à-dire le sol, des rapports sociaux. La société contemporaine est pour lui une « société urbaine » générée par le long processus historique d’industrialisation. Auparavant, on assista à l’enchaînement des réalités urbaines suivantes : la ville politique qui gérait un vaste territoire, la ville marchande médiévale où le commerce tient lieu de fonction urbaine, et enfin la ville industrielle où l’on aboutit à une énorme concentration de la population et des moyens financiers techniques et culturels. Ces différents moments de la réalité historique de la ville correspondent à trois époques : le  rural, l’industriel, l’urbain.

            Les dimensions de l’urbanisation contemporaine laisse Lefebvre penser que l’urbain n’est plus seulement le produit d’une autre réalité, d’une autre instance, il devient producteur ou inducteur. C’est lui qui domine et s’impose à une époque marquée par ce basculement vers la mondialisation de l’urbain.

            Parallèlement, H.. Lefebvre n’oublie point ses racines marxistes pour rappeler que les dimensions constitutives du phénomène et de l’espace urbain sont les suivantes : la projection au sol des rapports sociaux, le terrain de confrontation des intérêts et des stratégies des acteurs sociaux, une pratique urbaine. De même il n’omet pas de critiquer l’urbanisme le considérant d’abord et avant tout comme une idéologie qui cherche à occulter la réalité des diverses stratégies dont l’espace est le champ et l’objet.

            Comme nous l’avons signalé au début, l’originalité et l’importance des recherches menées par H. Lefebvre tient au fait que ce sont des tentatives pour faire la   « théorie de l’urbain ». Cette démarche cherche à accorder un statut à l’urbain, dans le champ des connaissances, au même titre que la psychanalyse, la linguistique ou l’anthropologie.

            L’Institut de sociologie urbaine où H. Lefebvre eut à diriger un certain nombre de recherches, poursuivra l’approfondissement de la problématique des expressions idéologiques de l’urbain en abordant les thèmes du mode de vie de quartier. On peut aussi y ajouter les travaux de l’équipe Raymond-Haumont sur l’« idéologie du pavillonnaire ».

 

L’Ecole Américaine :

            L’école américaine est l’orientation la plus ancienne en sociologie urbaine, et l’« École de Chicago » en est une référence incontournable et classique pour le nombre de travaux et les thèmes traités se rapportant à « l’écologie urbaine ».

 

L'Ecole de Chicago, à l'origine de l'écologie urbaine, n'est pas à confondre avec les autres "écoles" de pensée qui ont vu le jour à Chicago. Ainsi, les architectes, qui ont participé à la reconstruction de la ville après l'incendie de 1871, et ont réalisé les premiers gratte-ciel, sont regroupés sous le label "Ecole de Chicago". Les économistes monétaristes, partisans des thèses néo-libérales de Milton Fridman (né en 1912) constituent également une "école de Chicago".

Rev. Sciences Humaines, Au coeur de la ville, n°70 - Mars 1997

           

            L’épanouissement de cette École est à rapporter à l’explosion urbaine toute particulière que connaît Chicago qui, de petite bourgade de 5000 habitants en 1840, devient une capitale provinciale de 3,4 millions en 1930. Dans cette ville pluriethnique américaine en proie aux maux sociaux de l’urbanisme moderne : conflits sociaux, ghettos, misère, prostitution, délinquance juvénile s'inquiètent chercheurs et sociologues et suscitent enquêtes, entretiens et méthodes d’interventions sur le terrain social et urbain pour tenter de résoudre les pathologies de la ville.

           

1. Les modèles urbains de Wirth, Burgess, Hoyt, Harris et Ullmann

                        1.1.Louis Wirth, un des représentants les plus célèbres de l’« École de Chicago », construisit un type idéal de la personnalité urbaine défini par l’individualisme, l’agressivité, l’absence de participation à la vie sociale, la concurrence interindividuelle.

            La ville est pour L. Wirth une collectivité relativement permanente, de grande dimension, dense et formée d’individus socialement et culturellement hétérogènes. Quand la population de la collectivité dépasse un certain seuil de croissance, sa nature et les relations sociales en son sein changent : la différenciation sociale s’accentue, l’anonymat augmente, le sentiment de liberté est plus grand.

            Les travaux de L. Wirth ont certainement suscité l’intérêt des chercheurs mais ont provoqué aussi critiques et controverses. Ce qui a surtout été reproché à cette théorie, c’est l’idée que la ville en tant que telle allait créer une culture nouvelle, que le mouvement d’urbanisation allait donner lieu non pas à des groupes ou des classes sociales, mais à la formation de types culturels.

           

            Une des dimensions intéressantes des recherches menées par l’« École de Chicago » est celle qui assimile la ville à un milieu naturel auquel l’individu s’adapte et qu’il modifie à son tour ; à un champ social où s’exercent des forces humaines et techniques qui remettent sans cesse en cause son équilibre. Ces forces, au fur et à mesure de leur adaptation, aménagent leur espace propre et donnent une configuration à la ville dont les chercheurs de Chicago ont tenté de faire la typologie.

 

            1.2.Le modèle concentrique de Burgess: Pionnier de la sociologie urbaine américaine, Burgess s’affirme dans les années 30 en développant une typologie des zones urbaines en fonction des structures familiales. Selon lui, la croissance des zones urbaines se déroule selon un agencement en zones concentriques à caractères spécifiques et présentes dans toutes les villes.

            Il a décrit un modèle idéal composé de plusieurs zones :

            - La première zone : zone centrale

            C’est là où se positionnent les centres de décision politiques administratifs et d’affaires, ainsi que les équipements de commerces et de loisirs .

            - La deuxième zone : zone d’activités à caractère semi-industriel :

            C’est la zone des marchés, magasins de gros, activités portuaires qui côtoie généralement la zone centrale.

            - La troisième zone : zone de transition :

            Dans le passé, elle était le lieu de résidence de la petite bourgeoisie aisée ; actuellement, elle accueille les populations émigrées et déviantes dont les moyens d’existence sont précaires. C’est dans cette zone également que se concentrent les restaurants, les bars de nuit, les maisons de jeux,...

            - La quatrième zone : zone de résidence pour ouvriers et employés :

            Aux États-Unis, c’est dans cette zone que vit la seconde génération des émigrants.

            - La cinquième zone : zone de résidence de la classe moyenne supérieure.

            C’est la frange aisée de la population qui occupe cette zone. On y trouve de même des immeubles à appartements multiples, des maisons individuelles, des petits centres commerciaux et d’affaires.

            - La sixième zone : zone suburbaine

            C’est un espace caractéristique par sa fonction essentiellement résidentielle.

            Dans sa typologie concentrique de la ville, Burgess fait remarquer que chaque zone tend à envahir la suivante, et qu’il y a une lutte pour l’occupation de l’espace central.  Cet enjeu de l’espace urbain met en mouvement la structure interne de la ville à partir du centre :  « les bureaux chassent les bourgeois, les bourgeois chassent les ouvriers, la ville agit à la manière d’une centrifugeuse qui rejette au loin les éléments les plus légers ».

            Burgess nous montre aussi qu’à chaque type de zone urbaine peut être associé un type de famille. Selon la zone, on se trouve en présence de familles dont l’organisation interne et le rapport de voisinage est différent.

            Dans la zone centrale et de transition, c’est la famille de type traditionnel (autorité paternelle et division stricte des rôles) ouverte sur le voisinage qui domine. Dans les zones plus éloignées, on trouve des familles dont l’organisation interne est beaucoup plus floue, plus souple, des familles de type égalitaire (répartition peu stricte des rôles) à contacts peu fréquents avec le voisinage. Et dans la grande banlieue, c’est la mère qui marque de sa présence le fonctionnement du noyau familial vu l’absence prolongée du père sollicité par le travail et la « navette » quotidienne ou le déplacement « pendulaire ».

 

            Nous constatons donc que pour Burgess, le tissu urbain n’est pas homogène sociologiquement et il existe un rapport complexe et subtil entre le type de famille et la zone habitée.

 

            1.3.Le modèle sectoriel de Hoyt : Il s’inspire des développements entamés par Burgess dans ses travaux, tout en s’en écartant quelque peu. Pour lui, la ville se développe rarement selon des formes concentriques, mais plutôt suivant des secteurs différents découpés en arcs de cercles.

            Le moteur du développement urbain pour Hoyt, c’est la classe dirigeante et le comportement d’initiation qu’adopte les catégories moins aisées à la recherche du prestige social.

            L’auteur s’intéresse principalement aux résidences et aux choix de localisation des familles. Ses conclusions proviennent d’enquêtes empiriques poussées de relevé des loyers qui lui permettent d’établir des cartes en vue de relever les mouvements des loyers, le sens des directions des loyers élevés. Il s’aperçoit qu’au départ de ces choix, se placent des considérations d’ordre écologique.

            Ainsi les zones à loyers élevés se situent généralement dans des terrains situés le long de la mer ou de rivières, dans des zones ouvertes et à proximité d’emplacements « privilégiés », de résidences de notables. La proximité de ces zones des voies rapides de circulation leur permet un accès facile au centre ville.

            D’autre part, Hoyt note que tous les secteurs urbains connaissent des moments d’apogée dont les traits caractéristiques sont : catégories sociales supérieures, population active et jeune, loyers chers, enfants en bas âge. Mais cette situation peut aussi connaître une sorte de dépérissement avec le phénomène de vieillissement de la génération qui se manifeste par le départ de la population jeune, l’entretien moins suivi de l’habitat et la dégradation du cadre bâti. Quand les résidents d’origine disparaissent, ils sont remplacés par des catégories moins favorisées et non par leur descendance.

 

            1.4. Le modèle polynucléaire de Harris et Ullmann : L’originalité de l’apport de Harris et Ullmann réside dans le poids qu’ils accordent aux aspects économiques de la structuration des villes.

La  croissance de la ville selon nos deux auteurs se fait selon plusieurs noyaux ayant chacun sa propre dynamique. En fait, la structure et la lisibilité urbaines deviennent complexes : certaines fonctions se rassemblent, d’autres se dispersent.

            En d’autres termes, dans toutes les agglomérations urbaines, il y aurait des noyaux multiples avec leur propre développement. De cette dynamique, Harris et Ullmann essaient de dégager des lois qui s’inspirent de l’économie politique où le sol est considéré comme une marchandise.

            A partir des lois propres aux localisations des activités dans les villes et du modelage incessant du tissu urbain, les deux auteurs distinguent un certain nombre de noyaux urbains :

- Le noyau central : il subit un compartimentage et une segmentation de plus en plus prononcés de son espace (quartier des affaires, quartier des commerces, quartier des cinémas, quartier des marchés,...)

- Les noyaux des entrepôts, industries, commerces de gros : Ils sont situés à l’origine près des centres villes, mais peuvent se déplacer vers la périphérie.

- Les noyaux des industries lourdes :

- Les noyaux de résidence : ils peuvent se développer d’une façon autonome à l’intérieur du noyau urbain.

 

- Les noyaux mineurs : ils peuvent convenir à n’importe quelle vocation (noyaux universitaire, commercial, récréatif).

- Les noyaux satellites : qui peuvent se développer de façon relativement autonome.

Ce modèle de croissance urbaine est présenté par certains comme celui de l’avenir de nombreuses villes européennes : le travail à domicile rendu possible grâce à l’emploi de l’ordinateur est supposé favoriser la dilution de la ville.

 

 

 

 

 

 

 


L’URBAIN DANS SES INTERACTIONS

 AVEC L’ESPACE ET LA SOCIETE

 

 

Les acteurs de la ville

On peut partir d’une idée toute simple, c’est que l’urbain est un creuset qui accueille une structure matérielle et une société organisée dont les individus véhiculent des idées, des attitudes et des comportements déterminés.

Pour connaître cette population urbaine (regroupement d’individus), on a d'habitude  recours à une série de critères considérés pertinents par les chercheurs : critères démographiques, socioprofessionnels, géographiques, ethniques,... Cette façon d'opérer a l’avantage d'identifier dans la collectivité urbaine ce qui peut se révéler homogène (communauté), par rapport à certains de ces critères, et hétérogène, par rapport à d’autres.

Les individus et les ensembles ainsi identifiés sont simplement situés ou positionnés dans l’urbain. Encore faut-il voir de quelles manières ils entrent en communication et en relation. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là qu’on pourra véritablement parler cohérence et de solidarité de groupes étant donné qu'on aura saisi la nature des liens sociaux privilégiés (alliance, parenté, sociabilité) qui structurent ces groupes.

L’autre aspect qu'il faut aborder lors de l'étude de la population urbaine, c’est son aspect dynamique.

En effet, les groupements urbains changent par rapport à trois données : l’espace, le temps et les rapports sociaux. Il faut donc prendre en considération cette spécificité dans l'étude de chaque collectivité urbaine pour pouvoir ressortir le type de mobilité sociale et spatiale qui la caractérise.

 

L’espace urbain

La première réalité qui se présente à tout observateur de la ville, c'est l'espace qui supporte les acteurs et les activités de la société qui l'occupe. Le poids et le rôle que joue cette réalité spatiale dans la dynamique urbaine ont souvent interrogé tous ceux qui ont cherché à maîtriser sur le plan théorique et méthodologique la problématique urbaine.

On admet généralement que l’espace, quel qu’il soit, porte les stigmates, les traces ou les marques des hommes qui l’occupent. Cette affirmation s’applique également à la ville qui a donc une configuration qui est le reflet de la société qu’elle accueille en son sein.

Mais il faut attirer l’attention sur l’aspect relativement réducteur de ce type d’affirmation qui risque de présenter l’espace urbain comme une surface d’enregistrement totalement neutre des structures et des activités sociales.

Durkheim note d’ailleurs qu’il est préférable de parler de “symptômes” que de “reflets” de la vie sociale lorsqu’on veut définir ce qu’on entend par “structures morphologiques”(la ville est une structure morphologique).

Le même auteur qualifie de “morphologiques” les faits sociaux qui se cristallisent pour former des substrats relativement stables.Dans ce sens, l’espace urbain est un produit social. Mais on négligerait les autres facettes de sa réalité si on ne signalait qu’il est de même:

* un milieu  spécifique qui met en présence les citadins avec leur environnement physique sur lequel ils agissent mais dont ils sont, en quelque sorte, aussi le produit.

* un enjeu entre différents acteurs de la ville qui usent du culturel, du  symbolique ou du politique pour gagner la compétition pour le contrôle du sol urbain.

Les acteurs et les agents de la vie urbaine.

Quand on parle de la dynamique et des transformations de l’espace urbain, on se pose en même temps la question de l'origine de ce phénomène. Et la réponse, on la cherche parmi les individus et les institutions qui sont censés être intéressés par la ville et ses enjeux.

Le terme convenu pour désigner ces animateurs de la "scène" urbaine est celui d'"agents urbains".Ces derniers pouvant être formés d’un regroupement de personnes impliquées dans des relations de rôles avec d’autres intervenants, qu’on appelle acteurs.

Les agents des villes sont donc soit des personnes physiques, soit des entités collectives (ou les deux à la fois) engagés dans un contexte urbain et intéressés par les enjeux et les usages dont ce contexte est l’objet.

On distingue deux types d'agents urbains: les agents privés et les agents publics.

 

1. Les agents privés

Quand une entité collective ou individuelle engage une action dans la ville et entraîne un certain nombre d’effets sur le devenir de celle-ci; c'est un agent privé.

L’exemple le plus courant d’agents privés est donné par les promoteurs et constructeurs qui interviennent sur la ville. Mais ce ne sont pas les seuls puisque, par extension, on peut dire que tout promoteur dans les secteurs industriel, commercial ou tertiaire a des intentions sur l’espace urbain et vise donc à lui donner une forme et un contenu spécifiques.

 

2. Les agents publics

La mission de toute puissance publique est la défense de la collectivité et de l’intérêt général. Elle exige donc que les agents privés se soumettent à son contrôle et à son autorité puiqu'elle est, en principe, l'émanation et la représentation de la volonté générale de la société.

L’action des pouvoirs publics sur la ville est donc double étant donné qu'ils considèrent l’espace urbain comme objet et instrument. Ceci implique que ces agents publics  utilisent la ville pour exercer leur pouvoir et ils interviennent sur la ville pour concrétiser leur politique.

Parmi les agents collectifs publics des villes, on peut citer les agents municipaux qui assurent un contrôle social typiquement urbain et font partie d’institutions qui jouent un rôle d’intégration à la ville.

Il y a aussi les agents des services locaux des administrations centrales qui détiennent leur pouvoir des collectivités locales.

Il existe aussi dans une ville un certain nombre d’autres acteurs qui sont impliqués dans la dynamique urbaine par le biais des compétences, des jugements, des savoirs ou des représentations qu’ils ont sur ou de la ville.

C’est le cas de l’habitant, du politique ou de l’expert qui sont intéressés, chacun à sa manière et en fonction de sa “spécialité”, par les processus et les changements urbains.

Entre les différents types d’agents urbains précédemment cités, il s’établit des relations déterminées qui vont retentir sur le mode de gestion de la ville, les formes d'intégration des comportements et les processus de participation des personnes formant la collectivité urbaine.

Il n’y a pas un agent urbain qui a le privilège exclusif de l’action et de la réaction vis-à-vis de la transformation de l’espace urbain.

Pour bien saisir les modalités de fonctionnement de la ville quand elle est soumise à l'action des différents agents urbains, il importe d'analyser les multiples interactions qui s’établissent entre les trois modes d’existence suivants de la ville: les pratiques urbaines, l'organisation institutionnelle et la structure spatiale.

Dynamique de la population et dynamique de l’urbanisation 

Jamais dans l’histoire les homme n’ont été aussi mobiles dans leur vie quotidienne. Il est donc nécessaire d'engager une analyse de la mobilité si l'on veut connaître les comportements de déplacements et comprendre les déterminants de la mobilité.

 

"De l’après-guèrre au début des années soixante-dix, la représentation dominante de la mobilité est gravitaire : les zones de l’espace s’attirent en fonction de leurs différences de potentiel (résidences ici, activités là) et de la résistance du milieu (les coûts généralisés, monétaires et temporels, de la migration). L’objet n’est ni la personne ni son déplacement, mais le flux. Souvent qualifiée de « physique sociale » par ses détracteurs, l’approche sera aussi critiquée dans ses modes opératoires : caractère exogène de la motorisation et de l’urbanisation, logique causale sans rétroaction.

La fin de l’urbanisation massive, l’émergence de problèmes nouveaux (choc pétrolier, révoltes d’usagers), les succès - dans d’autres domaines - d’un marketing qui intègre les différences d’attentes des consommateurs mettent alors la personne au centre du dispositif.

Un premier courant, dérivé de la théorie du consommateur, d’essence micro-économique et psychométrique, met l’accent sur les attributs fins du déplacement : traitements différenciés des temps de parcours, d’attente, d’accès, échelles de confort, d’attente, d’accès, échelles de confort, de fiabilité, participent à la définition d’une fonction d’utilité qu’il s’agit de maximiser.

Un second courant, celui de la géographie du temps et des programmes d’activités, vise moins à quantifier des relations simples qu’à documenter le champ des relations possibles, leur formation, leur combinatoire : la demande de transport est explicitement reconnue comme dérivée de la réalisation d’un programme d’activités, activités elles-mêmes situées dans l’espace et le temps (rythmes familiaux et temps sociaux). A la logique d’optimisation individuelle de l’approche économétrique répond une logique d’appréhension des univers possibles... et des schémas irréalisables. Les formalisations ici ne sont pas très éloignées des logiques des systèmes à base de connaissance . Stimulante parce qu’elle révèle à la fois des capacités d’adaptation insoupçonnées, mais aussi des contraintes jusqu’alors non prise en compte, cette approche s’avère féconde pour la conception de modifications marginales du système, mais bute sur le passage du microsocial au macrosocial, sur l’extrême diversité des programmes d’activités dans les sociétés modernes. Elle apparaît en outre, comme les approches économétriques, trop statique et trop dépendante de la structure des espaces, elle-même fortement dépendante des capacités de mobilité de la population.

Dans la seconde moitié des années soixante-dix, la question de la transformation de l’urbanisation par la mobilité et de la mobilité par l’urbanisation recevra une réponse théorique. Enoncée brutalement, elle postule que la mobilité évolue de telle sorte que les progrès de la vitesse qu’offrent la technologie et l’investissement sont utilisés par les personnes pour augmenter la portée spatiale de leurs déplacements, dans la limite d’un certain budget-temps (maximum qu’une population considère comme normal de passer en déplacement) et d’un certain budget monétaire (fraction caractéristique du revenu."

Jean-Pierre Orfeuil, L'analyse de la mobilité,

 in LA VILLE, CNRS n°81, 1994.

 

Commençons par dire qu'on peut ranger sous le vocable  de mobilité spatiale "tout déplacement de la population dans l’espace physique, quels que soient la durée, la distance, les moyens utilisés, les causes et les conséquences de ce mouvement. Ainsi définie, la mobilité spatiale englobe les migrations de tous types, les mouvements pendulaires, la mobilité résidentielle, le tourisme, les voyages d’affaires, les déplacements inhérents à la vie quotidienne comme  les achats, la fréquentation deq équipemet (écoles, cinémas, centre socio-culturels, etc.) ou la rencontre d’autres personnes (amis, famille, connaissances, parents, etc.)."

Il est aujourd'hui admis que la mobilité transforme l'urbanisation en même temps qu'elle est transformée par elle.

En effet, la mobilité évolue de telle sorte que les progrès de la vitesse qu’offrent la technologie et l’investissement sont utilisés par les personnes pour augmenter la portée spatiale de leurs déplacements, dans la limite d’un certain budget-temps (maximum qu’une population considère comme normal de passer en déplacement) et d’un certain budget monétaire (fraction caractéristique du revenu).

On constate également que toute entité urbaine contient des éléments fixes et des éléments mobiles qui mettent en relation les diverses parties de la ville.

Parmi les éléments fixes, on peut citer les immeubles à vocation résidentielle, économique ou mixte ainsi que les zones d’activités et d’habitation (fixité relative).

Les éléments mobiles sont représentés par les échanges qui ont lieu entre les différents secteurs de la ville et les mouvements de la population résidente.

Toute organisation urbaine est par conséquent une association de la stabilité et de la fluidité, de l’immobilité et de la mobilité des différentes composantes de la ville.

Les mobilités urbaines

Bien sûr, faire état de la dynamique urbaine ne suffit pas à rendre compte de la dialectique d’une ville. Encore faut-il saisir la logique des acteurs, les intentions des résidents d'une part,   et les déterminants structurels, les tendances objectives et lourdes d'autre part.

Pour cette raison, il est préférable de parler de mobilités (au pluriel) pour signaler qu’elles sont de nature différente. La construction de cette typologie des mobilités est rendue possible grâce à la délimitation des facteurs ou des objectifs qui se trouvent en amont ou en aval de cette mobilité. Facteurs qu'on ramène généralement aux quatre variables suivantes: la migration, le travail, la résidence et le statut social.

 

1.La mobilité géographique

La mobilité géographique est la plus importante parmi les mouvements de populations urbaine. Elle couvre aussi bien le phénomène d’immigration que d’émigration et doit être considérée comme la résultante de ces deux forces.

De ce point de vue, on peut affirmer que la mobilité est un flux total qui laisse stable, durant une période déterminée, une proportion plus ou moins grande de la collectivité urbaine.

Souvent, la populations stable joue un rôle prépondérant dans les affaires publiques et  occupe des positions privilégiées dans la hiérarchie sociale en comparaison avec la population fluide et mobile.

A l'intérieur de cette dernière, on trouve des sujets d’origine rurale qui sont souvent plus jeunes que leurs homologues stables.

Il existe très peu d’échanges sur le plan social et sur le plan géographique entre noyau stable et marge instable de la population urbaine. Les deux types de collectivités s'ignorent et les citadins qui ont de vieilles racines dans la ville sont les plus imperméables, socialement parlant, aux nouveaux arrivants.

 

2.La mobilité professionnelle

Quant on s’interroge sur les flux de mobilité que l’on observe dans un cadre géographique donné, on note souvent que les caractéristiques de l’appareil productif ont une influence notable sur cette mobilité qu’on désigne par mobilité professionnelle.

Le binôme qui est souvent le plus pertinent dans l’analyse des mobilités professionnelles, est représenté par les deux  entités domicile et travail.

En effet, il est indéniable que  les carrières professionnelles interviennent lourdement sur les facteurs de mobilité ou d’immobilisation  résidentielles.

Ce lien entre emploi et domicile est très inégalement marqué selon les groupes sociaux et les contextes locaux.

La délocalisation, la reconversion,  le chômage, la recherche d’emplois sont autant de phénomènes actuels qui infléchissent très directement les mobilités résidentielles des citoyens en les impliquant dans un tissu complexe de déterminants objectifs et subjectifs (caractéristique du bassin d’emploi, opportunités, âge, situation familiale, ...).

 

 

3.La mobilité sociale

Elle signifie la position acquise par une ou plusieurs personnes par référence (ou en comparaison) à celle qu’occupait dans le passé leurs ascendants. Cette translation verticale qui affecte les individus sur l’échelle sociale ne prend donc son sens que lorsqu’elle est rapportée au point de départ, c'est-à-dire au milieu d’origine.

La mobilité sociale ne fait pas intervenir les déplacements dans l’espace physique bien qu’elle induit largement des phénomènes comme la localisation du domicile ; mobilité résidentielle et mobilité sociale sont deux variables à très forte interdépendance.

 

4.La mobilité résidentielle

Elle concerne les positions successives qu’occupent les membres d’une collectivité urbaine en passant d’une unité résidentielle à une autre.

On utilise aussi le terme de « trajectoires résidentielles » pour indiquer que cette mobilité a un sens. La préférence accordée à la notion de trajectoire en lieu et place de mobilité, implique qu’on considère qu’une suite donnée de localisations ou positions successives du domicile dans la ville n’est pas le simple fait du hasard, mais représente un enchaînement logique.

De cette manière, la mobilité-trajectoire résidentielle peut faire l’objet d’une interprétation qui cherchera à mettre en lumière les raisons qui amènent les acteurs à prendre la décision de changer de logement.

 

" La mobilité sociale, même différée d'une génération sur une autre, nécessitée par les changements de composition démographique de différentes catégories de travailleurs dont a besoin la production, institue une dialectique dans laquelle la distinction d'un groupe à l'autre passe non seulement par l'habitat, mais où l'habitat devient un élément de classification. Il doit par conséquent offrir la possibilité d'une maîtrise de l'appropriation des signes distinctifs, condition nécessaire du passage d'une catégorie à une autre. On ne peut comprendre ces différences dans la typologie architecturale, en tant que distribution des signes distinctifs du statut social dans l'habitat, si on ne prend pas en considération le fait capital que la transformation de la morphologie sociale ne peut s'opérer que par le passage d'un mode d'habitat à un autre, à partir du moment où la qualification des sujets sociaux en tant que producteurs industriels est réglée par des éléments du mode de vie et non pas seulement par le type de tâche à accomplir dans la production. Les types d'habitat et la place qu'ils prennent dans l'espace urbain ne sont plus simplement la trace de modes de vie et de conditions d'habitation différents, ce sont aussi des moyens, des instruments de la promotion sociale, et qui supposent à ce titre de devenir des biens arborés, appropriés et capitalisés en vue non plus seulement de signifier sa position statutaire, mais de la constituer.

Classeurs classés par leurs classements, comme le dit Bourdieu, ces différentes catégories de main-d'oeuvre vont user des signes distinctifs dans l'habitat comme d'un moyen leur permettant de se situer les unes par rapport aux autres dans une organisation sociale où la reproduction de la structure sociale n'est possible que dans une transformation de la morphologie, où le changement de position est possible et valorisé en tant qu'ascension sociale. L'habitat doit donc offrir la possibilité, par le rôle qu'il joue dans la production et la signification des statuts sociaux, de se parler et se lire comme un langage à la disposition de tout le monde, ce qui suppose que l'espace urbain et les types d'habitat, tout en évitant une trop nette ségrégation qui créerait des barrières insurmontables d'une catégorie d'une condition sociale à une autre. C'est cet échange pratique et symbolique qui est en jeu dans le rapport entre la morphologie sociale et la morphologie urbaine double lieu des luttes de classement dont les règles ont été fixées au départ par le patronat. Ce que Devillers appelle le "réinvestissement d'un espace urbain" et où s'inaugure la création de nouveaux quartiers organisés de façon rationnelle, correspond à la mise en oeuvre d'un espace programmatique destiné à régler le fonctionnement de la morphologie tant urbaine que sociale.

J.P. Frey, Le Creusot société et urbanistique patronale,

in Anthropologie de l'espace de F. Paul-Lévy et M.  Ségaud, 1983.

 

En matière de mobilité résidentielle comme pour d’autres types de mobilité, la description du phénomène doit être accompagnée d’une analyse qui permet de rendre compte du poids du subjectif et de l’objectif, des projets individuels et des contraintes extérieures qui délimitent la marge de liberté dont dispose autant les individus que les groupes sociaux dans leurs mouvements dans l’espace urbain.

En résumé, on peut dire qu’un type de mobilité urbaine ne peut être envisagé sans les interférences qu’il a avec d’autres formes de mobilité.

Posée ainsi la question des mobilités nous renvoie immédiatement à l’analyse des processus qui mettent en jeu tout à la fois les dimensions subjectives et interpersonnelles, des lieux géographiques et des statuts sociaux. 

Mobilité et intégration

L’un des effets les plus significatifs de la mobilité sur l’urbain nous est donné par le degré et le mode d’intégration collectif des groupes sociaux intéressés par cette mobilité.

Le premier constat qu’on peut faire est que le rapport numérique entre population stable et population mobile et l’intensité de la mobilité ont une conséquence directe sur l’intégration collective.

 

"D'un point de vue étymologique, l'intégration - action ou processus - signifie rendre complet, achever ou rétablir "l'entièreté".

Elle désigne, en philosophie et dans les disciplines scientifiques, l'établissement d'interdépendances étroites entre les parties d'un ensemble, mais aussi le processus intellectuel de réunion, dans une conception et une compréhension uniques, d'éléments séparés ou distincts (théories, phénomènes, faits...). Appuyant la constante métaphore biologique appliquée aux faits sociaux, Lalande la définit comme interdépendance "entre les parties d'un être vivant, ou entre les membres d'une société" (Vocabulaire de la philosophie).

Dans le langage courant, enfin, l'intégration est généralement envisagée comme le mouvement qui fait entrer la partie dans le tout, qu'il s'agisse d'éléments matériels ou d'une démarche intellectuelle. Comme d'ordinaire, la langue de tous les jours ne distingue pas clairement les mots de sens voisins, et tend à rendre équivalents, par exemple, intégration et incorporation ou assimilation."

Rev. Puriel - recherches, Vocabulaire historique et

critique des relations inter-ethniques, L'Harmattan, n°1 1993.

 

La mobilité donne peu de chance aux relations sociales et aux interactions de se développer, étant donné les difficultés rencontrées par le citadin instable pour nouer des contacts. La collectivité urbaine à forte mobilité est une collectivité à faible dynamisme car la frange instable de la population est rarement intéressée par ce qui se passe dans une cité à laquelle elle ne s’identifie pas.

Si la mobilité s’accroît, le risque est de voir une frange importante de la population pratiquant la rémigration dans une ville  se sentir étrangère et parfois même en situation de rupture ou de conflit avec le petit noyau stable et intégré de la collectivité. La cohésion collective et l’ordre social sont alors très profondément atteints, la désorganisation sociale s’accroît, l’individualisme s’installe en même temps que le désintérêt et l’absence de participation aux affaires de la cité.

Si la mobilité est basse, on peut supposer que les petits groupes de migrants vont finir par se stabiliser et aboutir à la « cristallisation » de l’urbain, à la constitution d’une ville capable d’intégrer des populations, des activités et des espaces.

L’intégration serait donc la dynamique qui fait pénétrer une partie dans un tout et l’état de cohérence résultant de cette dynamique.

Le flou sémantique qui entoure la notion d’intégration nécessite qu’on délimite le sens qu’on lui attribue en distinguant les différentes échelles d’organisation sociale (groupe, classe, société, ...) et de structure urbaine (quartier, village, ville,...) concernées par cette intégration.

Quand les collectivités urbaines sont des petits groupes sociaux particuliers, des communautés aux contours bien délimités; nous sommes en présence d’espaces urbains occupés qui servent à la fois de supports et d’instruments pour renforcer l’identité du groupe.

Les pratiques qui se développent dans ces entités urbaines renforcent la solidarité du groupe, son idéologie (références à des valeurs et des normes) et cherchent à véhiculer tous les signes qui aident  à distinguer socialement le groupe de ses voisins.

Certains quartiers de la ville jouent ce rôle quand on y relève un peuplement homogène, des modes de vie qui se rapprochent, une vie de quartier intense et une forte identification territoriale.

Les réseaux des sociabilités et d’entraide ainsi que le contrôle social du voisinage sont fortement développés dans ces espaces qu’on désigne souvent par le terme de « quartier-village ».

Dans la mesure où les migrants en ville retrouvent leurs compatriotes ou leurs coreligionnaires, ils sont protégés du choc culturel « désorganisateur » de la ville « étrangère » qu'ils perçoivent, à tort ou à raison, hostile à leur arrivée.

Ce type de quartier qu'on appelle communément ghetto, va donc jouer un rôle de « relais » qui facilitera l’intégration par étapes de ces populations à la société environnante.

Souvent d’ailleurs, l’émigré « intégré » cherchera plus tard à quitter le ghetto pour s’installer ailleurs et se fondre dans la société d’accueil.

Ce départ est facilité par la mobilité sociale du groupe extra -communautaire et par le changement des comportements et des attitudes de la société autochtone à l’égard de ses « immigrés ».

A l'autre pôle de la société et de la ville, un type de territorialisation urbaine nous est donné par ce que l’on appelle les « beaux quartiers » où se cantonnent des groupes sociaux « privilégiés » qui cherchent à préserver signes de distinction sociale et emplacements urbains valorisants et prestigieux.

Dans tous les cas de figure la mobilité urbaine se traduit par des parcours individuels ou groupaux dans la ville qu’accompagne souvent un remodelage des attitudes, des comportements et des conditions de vie.

L'étude de l'intégration en tant que mise en relation de la société, de l'espace et de l'identité peut se faire dans deux directions:

*Soit en focalisant l’analyse sur un espace (quartier, ville, ilôt ...) fortement marqué socialement et culturellement pour, par la suite, repérer les populations qui s’y fixent ou qui s’en servent comme « relais » ;

*Soit en s'intéressant aux populations dans leurs parcours résidentiels pour comprendre les modes d’appropriation des espaces urbains qu’elles occupent, quittent ou convoitent.

L’intégration urbaine se situe au confluent des deux logiques: la logique sociale et la logique spatiale. Et si toute société urbaine s’alimente de sédentarité et de mobilité, de racines et de ruptures; il est donc juste d'affirmer que, paradoxalement, toute intégration urbaine a pour corollaire une marginalité ou une exclusion urbaine...

Mobilité et socialisation

Dans certains travaux qui analysent les relations entre collectivité, individus et espaces urbains, on utilise la notion de « socialisation » pour décrire cette interaction.

Il existe plusieurs acceptions du terme « socialisation » que l’on peut ramener à deux référents principaux:

*Le premier sens de socialisation désigne les mécanismes d’apprentissage qu’utilisent les individus pour assimiler les valeurs et les normes d’une société ou d’une communauté particulière.

*Le second sens véhicule l’idée que des individus ou /et groupes, mis en présence les uns des autres, interagissent et construisent un tissu de relations psychosociales déterminées.

La première définition a plutôt une connotation conservatrice puiqu'elle donne la primauté à l’ordre et à l’intégration que devraient assurer des systèmes régulateurs associés à des territoires urbains.

La seconde acception de socialisation est plus dynamique vu qu'elle considère que la mobilité et les mutations urbaines constituent la tendance dominante de la ville.

Cependant, tout processus de socialisation a pour finalité l’émergence de « sociabilités », c'est-à-dire de réseaux relationnels (inter-individuels ou inter-groupes) dont l’agencement et la cohésion sont soumis à l’influence d’institutions sociales comme la famille, l’école, la municipalité, etc.

Chaque réseau relationnel ou sociabilité porte la marque d’un groupe social : appartenance sociale, modèles culturels, expérience urbaine...et traduit en même temps un rapport plus ou moins intense au territoire urbain où ce groupe est implanté.

Selon qu’on privilégie telle ou telle échelle spatiale (habitation, quartier, petite ville ... ) nous aurons une forme particulière de sociabilité rattachée à telle ou telle institution sociale.

Par conséquent, la nature du registre de la sociabilité va être différent en passant du foyer domestique au voisinage, et ensuite à la grande ville.

A l’échelle du voisinage, les aspects relevant de la « diplomatie » des rapports (se dire bonjour-bonsoir, échange de services, etc.), du bruit, de la cohabitation pèsent lourdement dans la configuration du réseau des relations sociales.

Par contre, à l’échelle d’une petite ville, on accordera plus d’attention au fonctionnement de la vie publique, aux modes de vie des groupes résidentiels et aux activités associatives, par exemple.

L’espace public occupe une place particulière dans l’analyse des interactions entre socialisation et espaces urbains.

Cette singularité de l’espace public provient du fait que le réseau de relations sociales qu’il accueille est - contrairement  au foyer, au voisinage ou à la petite ville- de caractère instable et éphémère : les différents acteurs sociaux s’y évitent,  s’y rencontrent et s’y séparent.

Les interactions sociales qui se développent dans ces lieux de « libre » usage, se structurent, se déstructurent et se restructurent d’une façon continue sans aboutir à des sociabilités et des identités durables.

 

En conclusion, on remarque que les développements précédents concernant la mobilité, l’intégration et la socialisation montrent à quel point ces phénomènes agissent sur la formation des espaces urbains et sur l’émergence de collectivités urbaines.

L’appartenance à la ville nécessite un niveau et une forme déterminés de participation et d’intégration collective des individus et des groupes sociaux.

La vie collective, pour qu’elle existe, suppose des institutions et des organisation plus ou moins formelles.

Il est donc indéniable qu’un intérêt commun lie les membres d’une collectivité territoriale et fait qu’ils se sentent intégrés à la ville c'est-à-dire qu’ils partagent un consensus et des objectifs quant à la manière avec laquelle conduites et relations sociales prennent place dans l’espace urbain.

Les différents agents et acteurs de l’urbain se chargent généralement d’exercer un contrôle social capable de gérer aussi bien la communauté d’intérêt que le compromis ou le conflit pour assurer la pérennité de la ville.

Comme on l’a vu précédemment, la mobilité est parmi les variables les plus influentes sur le renforcement ou la déliquescence  de l’intégration en rapport avec l’espace urbain.

Uniformité et diversité des hommes et des espaces

L’intégration urbaine considérée comme l’une des conditions de la pérennité de l’espace et des hommes qui l’utilisent, n’a pas que des avantages.

La littérature sociologique a souvent attiré l’attention sur les maux de la ville souvent dus à un excès d’uniformité des collectivités et des lieux, sur la pression et la tension sociales engendrées par la ségrégation des quartiers, leur monotonie et leur homogénéité exagérée.

Les maux de la ville et les situations de tension urbaine sont donc souvent associés à un excès d’uniformité ou, au contraire, de ségrégation des espaces et des populations.

 

On conclut assez rapidement que la position optimale de la ville idéale se situerait à égale distance de l'intégration totale et de la ségrégation, dans une situation d’équilibre urbain où disparaîtraient les tensions et les contradictions.

On parle d’uniformité quand on relève qu’un caractère  de l’entité urbaine pèse fortement sur sa dynamique interne et sur ses relations avec le reste de la ville.

Ce manque de variété qu’on risque d’observer à l’intérieur d’une collectivité ou d’un secteur urbain, peut revêtir plusieurs formes et nous permet alors de parler de plusieurs uniformités possibles.

Les uniformités:

 

1.L’uniformité morphologique et typologique

Souvent décriée par les analystes et les observateurs de la ville, elle signale un espace urbain où l’architecture est répétitive, monotone et où la structure urbaine se présente souvent comme un modèle standard reproduit plusieurs fois. C’est souvent le cas dans les quartiers des grands ensembles et les cités de logements sociaux résultats d'une logique industrielle de production du bâtiment et d'une conception techno-bureaucratique des organisations spatiales architecturales et urbanistiques.

Plusieurs travaux ont insisté sur les avatars d’une architecture et d’un urbanisme moderne inspirés des théories fonctionnalistes et de la Charte d’Athènes.

Cette uniformité typo-morphologique de l’espace entraîne des pratiques de la ville et du quartier où les parcours génèrent une « image de la cité » (Cf. les travaux de Kevin LYNCH) très peu suggestive pour l’usager.

A contrario, on estime qu'une production de l’architecture et de l’urbanisme diversifiée peut faciliter une personnalisation de « l’habiter » et une appropriation réelle des espaces par les habitants.

 

2.L'uniformité sociale

Elle est le résultat d’une contrainte et d’un contrôle exercés par la collectivité sur ses membres.

Elle est d’autant plus mal vécue que les individus concernés la ressentent et la considèrent comme un acte de coercition illégitime.

La densité de la population et son appartenance à des catégories sociales proches ou similaires (couches moyennes, populaires ...) favorisent l’émergence de ce type d’homogénéité et de ses conséquences sur le plan du vécu de l’espace par les citadins.

Ces cas de figure de l’uniformité s’accompagnent souvent de relations difficiles, de conflits et d’attitudes d’hostilité entre les membres de la collectivité.

On peut prendre l’exemple des rapports de voisinage quand le voisin est considéré comme un « voleur de chez soi » et son regard une intrusion dans l’intimité du foyer.

 

3.L'uniformité démographique et professionnelle

Cette situation, nous la rencontrons dans les quartiers où certaines classes d’âge et catégories socioprofessionnelles sont fortement représentées.

Parties de la ville où les jeunes ont presque disparu (quartiers du 3ème âge), cités ou quartiers dont les habitants travaillent dans une seule entreprise sont la matérialisation dans notre urbanité contemporaine de cette espèce d’uniformité.

 

4.L'uniformité fonctionnelle

Elle désigne souvent les quartiers de la ville qui assurent presque exclusivement une fonction de résidence. Les quelques équipements de service d’usage courant ne modifie en rien l’aspect monotone et ennuyant de ces espaces où manquent l’ambiance de quartier, les activités culturelles et les lieux de rencontre et d’échanges.

On désigne souvent ces quartiers par le terme « cités dortoirs ».

La diversité:

A l’opposé de l’uniformité, nous trouvons les espaces urbains qualifiés de complexes, diversifiés ou hétérogènes. Comme dans le cas des espaces uniformes, la diversification des résidents, des lieux et des fonctions est une affaire de degré et de nature.

Mais l’on considère que la tendance à l’hétérogénéité interne du corps urbain favorise la communication entre les différentes parties de la ville et à l’intérieur de chaque partie.

Diversifier chaque composante de la ville évite, semble-t-il, la ségrégation urbaine découlant de l’excès de l’homogénéité (ou identité) en complexifiant le tissu urbain et en enrichissant les relations entre ses différents secteurs,  eux-mêmes hétérogènes.

Le quartier animé se distingue souvent par une pression sociale faible et par une structure qui aide au développement de la vie publique et des échanges.

Ce qui vient d’être énoncé ne doit pas nous conduire à penser que l’uniformité débouche indubitablement sur la ségrégation et la diversité sur l’harmonie de l’urbain.

En réalité, la cohabitation de populations hétérogènes dans une même ville ne préjuge pas des formes et de la nature des rapports qui vont s’établir entre elles.

Pour aborder la question de l’intégration ou de la ségrégation  susceptibles d’être pénétrées par l’uniformité ou la diversité des habitants et des espaces ; il nous faut analyser ce phénomène aux trois niveaux de manifestation suivants:

*Les positions sociales objectives occupées par les acteurs et les groupes au sein de l’entité spatiale ;

*Le poids et la qualité des rapports qui se tissent entre ces acteurs et ces groupes ;

*Les configurations spatiales qui interagissent avec ces positions et ces rapports sociaux.

A chaque fois que se pose le problème de la « gestion » de la distance et de la proximité entre groupes sociaux au sein de la ville, on est amené à parler d’ « effets de classe »  (Y. Grafmeyer) c'est-à-dire des positions, des relations sociales et des contextes spatiaux susceptibles d'influer sur les « modes d’ajustement » plus ou moins durables entre regroupements humains et espaces résidentiels.

 

"La notion de distance sociale, en général, suppose qu'une collectivité donnée (un Etat national ou un ensemble international, une région, une ville, un quartier, etc.) soit définie comme un espace au sein duquel les divers groupes (classes sociales, catégories socio-économiques, groupes ethniques, religieux ou "raciaux") sont représentés comme plus ou moins proches ou plus ou moins distants les uns des autres, en fonction de critères tels que les revenus, les modes de vie, le statut social, le prestige. etc.

Les expressions "distance culturelle" ou "distance ethnique" pourraient, à l'image de la "distance sociale" faire apparaître les sentiments de différence, tels qu'ils sont ressentis dans les contacts entre groupes ethno-culturels."

Rev. Puriel - recherches, Vocabulaire historique et

critique des relations inter-ethniques, L'Harmattan, n°1 1993.

 

 

La ségrégation urbaine

 

"D'origine latine, et signifiant "séparation d'avec le troupeau", la ségrégation est une séparation physique des groupes dans l'espace. le terme désigne à la fois des pratique sociales, des politiques institutionnelles ou des mesures juridiques conduisant à la séparation totale ou tendancielle, et leurs effets dans la répartition et les usages de l'espace. Selon les auteurs, elle peut être appréhendée comme un état, comme une pratique ou comme un processus.

On distingue généralement la ségrégation sexuelle, la ségrégation sociale - qui isole des groupes socio-économiques - et la ségrégation ethnique ou "raciale", qui vise des groupes étrangers ou d'origine étrangère, ou des groupes minoritaires diversement définis (culture, religion, langue...)

L'étude empirique de la ségrégation sociale ou ethnique pose de nombreuses difficultés instrumentales, telles que la détermination de l'échelle à laquelle elle doit être appréhendée (pays, région, ville, quartier, îlot, immeuble...), le choix de critère pertinents (localisation géographique, environnement, densité et qualité des équipements, type des logements, degré de confort, degré de défectuosité...), la construction d'outils de mesure, etc. C'est souvent en termes de "dissimilarité" (différences significatives sur plusieurs dimensions) qu'elle a été appréhendée, notamment par la géographie sociale (écologie factorielle...)."

Rev. Puriel - recherches, Vocabulaire historique et

critique des relations inter-ethniques, L'Harmattan, n°1 1993.

 

On a vu que l’uniformité ou l’homogénéité dans ses manifestations architecturales, urbaines, sociales, démographiques, socioprofessionnelles et fonctionnelles, quand elle est poussée à l’extrême, favorise l’isolement et le désarticulation de la partie urbaine du tout de la ville. Pour cette raison, on considère que l’uniformité et la ségrégation s’alimentent l’un de l’autre et se renforcent mutuellement.

Cela a amené la sociologie urbaine à accorder un intérêt particulier au phénomène de la « ségrégation urbaine ». Les mouvement sociaux qu’ont connus divers parties des villes occidentales, américaines et parfois même du tiers-monde n'ont fait que confirmer l'urgence d'une réflexion théorique et de mesures pratiques autour de la question de la ségrégation urbaine.

Quand on use de la notion de ségrégation urbaine on cherche la plupart du temps à nommer et à interpréter une ou plusieurs formes fortement contrastées de la division sociale de la ville.

Mais si le terme ségrégation signifie, au sens étymologique, séparer et mettre à l’écart, ceci ne veut nullement dire qu’un accord existe entre chercheurs et théoriciens de la ville sur l’usage et la sémantique de cette notion.

Le fait que la ségrégation spatiale soit un objet d’analyse théorique, d’une part, et une référence pour l’action, d’autre part, n’aide pas à la clarification et à la précision du concept.

Au contraire, il a fait de la ségrégation urbaine un concept à « polysémie élevée ».

On peut toutefois avancer que parler de ségrégation urbaine conduit à aborder deux aspects liés à ce fait urbain : les formes revêtus par la ségrégation et les processus qui la génèrent.

Dans cette optique, Y. Grafmeyer distingue trois formes de ségrégation urbaine :

 

1.Les différences de localisation

Cette perspective donne la priorité au repérage des écarts qui existent entre les groupes sociaux quant à leur localisation dans la ville.

On considérera ainsi qu’un groupe bien défini, sociologiquement ou culturellement, est plus « ségrégué » qu’un autre à partir du moment où sa distribution résidentielle est moins favorable que celle qui est accordée à l’ensemble de la population de la ville.

Ce contenu de la ségrégation a toutefois l’inconvénient de se confondre avec le sens qu’on attribue également à la simple différenciation sociale de l’urbain.

 

2. L’accès inégal aux espaces et aux services urbains

Une seconde perspective autorise l’usage du terme de ségrégation urbaine à partir du moment où les groupes sociaux n’ont pas les mêmes chances d’accès aux biens matériels et symboliques existant dans une ville.

Les travaux du Centre de Sociologie Urbaine en France ont développé cette approche en abordant des questions relatives aux équipements collectifs, à la situation et à la qualité de l’habitat et à l’impact des distances entre lieu de résidence et lieu de travail.

 

3. la " ghettoisation"

On qualifie couramment de ghetto toute manifestation d’un regroupement d’individus, appartenant généralement à des couches sociales modestes ou défavorisées, dans une partie bien délimitée de l’espace urbain.

 

"Les Juifs, comme on l'a déjà montré, sont entraînés vers le ghetto, pour les mêmes raisons qui poussent les Italiens à vivre dans une Little Sicily, les Noirs dans un Black Belt et les Chinois dans les Chinatowns. Les différentes aires qui composent la communauté urbaine attirent le type de population dont le statut économique et les traditions culturelles sont le mieux adaptés aux caractéristiques physiques et sociales de chacune d'elles. Chaque fois que la population s'accroit d'un nouvel apport d'individus, celui-ci ne se fixe pas n'importe où au hasard, mais il entraîne un nouveau filtrage de toute la masse des habitants au terme duquel chacun finit par s'enraciner dans un milieu qui, à défaut d'être plus désirable, est en tout cas le moins repoussant.

Il convient toutefois de signaler à ce sujet que l'important n'est pas l'endroit où chaque groupe se fixe, mais le fait que chacun d'eux trouve, semble-t-il son propre emplacement distinct en dehors de tout projet manifeste. Une fois installé dans son quartier, chaque groupe tend à reproduire, aussi fidèlement que le permettent les nouvelles conditions, la culture à laquelle il était habitué dans son ancien habitat. C'est cette tendance qui explique les changements soudains d'atmosphère qu'on peut observer parfois quand on passe d'une rue à une autre, dans cette mosaïque de petits ghettos qui composent les grands quartiers d'immigrants de nos grandes villes. A la différence des ghettos de l'Ancien Monde, ces nouveaux ghettos n'ont pas besoin de murs ni de portes pour maintenir à part les différents groupes humains. Chacun de ceux-ci, à l'instar des plantes et des animaux du monde naturel, recherche son propre habitat ; chacun a son propre genre de nourriture, de vie familiale et de distractions.

La distance physique qui sépare ces quartiers d'immigrants de ceux qu'occupe la population d'origine constitue à la fois une mesure de la distance sociale et un moyen de la maintenir."

 

L.Wirth, Le Ghetto.

 

Cette définition du ghetto ne permet toutefois pas de faire la différence entre quartiers où dominent un mode de vie et des valeurs populaires et traditionnels, zones urbaines où se concentrent des populations de diverses origines mais partageant une situation d’exclusion et de précarité et « ghettos », au sens anglo-saxon du terme, qui regroupent des franges sociales d’origine ethnique identique et de statuts sociaux et professions différents.

 

"Le terme, d'origine italienne, n'a pas une étymologie parfaitement établie. Il désigne, en son sens originel, l'institution médiévale de quartiers urbains où les Juifs étaient regroupés et contraints de résider.

Les quartiers d'assignation à résidence des Juifs se sont développés progressivement en Europe depuis le 13è siècle à partir de recommandations de l'Eglise (4è Concile de Latran, 1215) pour s'institutionnaliser et se systématiser au cours du 16è siècle, après l'encyclique Cum nimis absurdum du pape Paul IV. Auparavant, on trouvait généralement en Europe comme en Afrique du Nord ou en Asie, des regroupements de Juifs (appelés, en France, "juiveries"), dont la toponymie des grandes villes garde encore souvent la trace. Pour ne pas risquer l'anachronisme, il faut rappeler qu'à cette époque, les concentrations par corps de métier ou catégories socio-culturelles constituaient la norme. Mais, d'une part, la résidence dans ces secteurs n'était pas obligatoire, et, d'autre part, les Juifs n'en étaient pas les seuls habitants. Ils cohabitent avec des Chrétiens, souvent de haut rang.

En France, depuis quelques années, la notion de ghetto est utilisée pour désigner des phénomènes divers : quartiers centraux des villes à forte proportion d'étrangers, aires péri-urbaines de regroupement de populations laissées pour compte de la croissance économique et de son modèle de carrière résidentielle ascendante, victimes de la crise et de l'accroissement du chômage. Certaines cités ou grands ensembles, en particulier dans le secteur social du logement, voire certaines communes entières de banlieues excentrées, sont ainsi souvent baptisés "ghettos"...

Quoiqu'il en soit, l'élargissement du sens du terme "ghetto" entraîne la perte de vue des traits essentiels du phénomène. La confusion entre le sens propre, même si l'on tient compte des évolutions historiques, et le sens figuré comporte le risque d'induire des confusions dans l'analyse des réalités elles-mêmes."

Rev. Puriel - recherches, Vocabulaire historique et

critique des relations inter-ethniques, L'Harmattan, n°1 1993.

 

Cette confusion qui risque de s’introduire à chaque fois qu’on cherche à identifier une « forme » socio-urbaine particulière, peut-être atténuée en analysant les « processus » qui produisent la ségrégation urbaine.

Thomas Schelling (in "la tyrannie des petites décisions", Paris, PUF, 1980) indique qu’il y a trois processus fondamentaux de ségrégation :

 

1 . Le premier processus est présenté comme étant le résultat d’une « action organisée, légale ou illégale, par la force ou simplement par l’exclusion, subtile ou criante, directe ou indirecte, aimable ou malveillante, moraliste ou pragmatique ».

On constate que dans ce cas,  la ségrégation peut bien être justifiée juridiquement, moralement, politiquement ou socialement ; elle n’en garde pas moins son caractère ségrégatif de séparation physique.

2 .La ségrégation est induite par les inégalités dues aux différences sociales sans qu’il y ait, au départ, action consciente ou une intention dans ce sens.

3 .Le troisième processus intéresse les formes de ségrégation qui sont le résultat de comportements individuels basés sur une perception discriminatoire. Le rejet de l’autre est, dans ce cas, soutenu par une perception négative, consciente ou inconsciente, du sexe, de l’âge, de la religion, de la couleur, ou de n’importe quel autre facteur qui justifie et rationalise la ségrégation.

Cette perception a un impact sur les choix opérés par les individus en matière de quartiers de résidence, de voisinages souhaités, etc.

Elle ne débouche pas automatiquement sur des formes ségrégatives de la localisation urbaine, mais peut, sous l’influence d’autres facteurs, favoriser la discrimination et son corollaire la ségrégation entre acteurs et espaces urbains.

En réalité, les trois processus de ségrégation ne fonctionnent pas de façon isolé et singulière. Au contraire, la ville et les conjonctures historiques, économiques et culturelles font que ces trois processus s’associent ou se combinent et produisent des effets cumulatifs sur l’espace urbain.        

 


Habitat : usages et contenus

 

Les outils théoriques et méthodologiques proposés à l’étudiant devront lui permettre de saisir les rapports qu’entretiennent l’habitat avec les usagers. L’hypothèse qui sous-tend cette approche est que la médiation entre l'espace et les acteurs sociaux  se fait par les pratiques, les discours et la symbolique de l’objet architectural: l’habitation.

Il est donc important d’expliciter les contenus de l’espace de vie quotidien perçu et utilisé de manières différentes par des résidents ou des collectivités de résidents ayant des caractéristiques socio-démographiques, une expérience urbaine, une histoire individuelle et un ensemble d’autres variables différentes.

La morphologie sociale:Le premier fait qui s’impose à nous est que le logement et son environnement immédiat sont façonnés en fonction des populations résidentes, c’est-à-dire en  fonction de leurs niveaux de revenu et de leur place dans un certain fonctionnement de la ville et de la société.

Qui sont ces populations on plus exactement ces habitants ? Et quels facteurs paraissent déterminer leur appartenance aux principaux groupes ou classes sociales ?

Le Logement : Savoir de quelle manière le logement est appréhendé par les résidents implique la connaissance des caractéristiques et des conditions de leur habitat, l’adéquation ou la non-adéquation de cet habitat par le biais de l’étude  de « la satisfaction », et les différentes pratiques du logement et leurs significations.

Y’ a-t-il différents modes d’habiter ? Que signifient les notions d’ « appropriation de l’espace » et de « socialisation de l’espace » ?

Le quartier: Le logement abrite une vie intime et domestique. Les habitants n’y passent qu’une partie de leur temps hors-sommeil, aussi est-il  nécessaire de dépasser cette limite et de voir en quoi consiste l’environnement immédiat du logement c’est à dire : le quartier.

Le terme quartier a acquis une multiplicité de signification dans la langue des chercheurs : Quels sont donc les différents contenus qu'il véhicule? De quelles pratiques du quartier sommes-nous  en présence ? Quelles relations s’y développent ?.Peut-on parler de vie de quartier ? Quelles activités se développent dans le quartier?quel sens ont-elles pour les résidents?

 

I- INTRODUCTION

Notre hypothèse générale est que l’espace n’est pas simplement, même s’il l’est également, un donné avec lequel une population entre en rapport, mais qu’il est une certaine organisation délibérée (avec ses composantes économiques, techniques, sociales, urbanistiques, etc.) c’est-à-dire un produit.

Les relations d’une population déterminée avec ce produit dépendent des caractéristiques finales de celui-ci, mais aussi, à travers celles-ci, des finalités qu’il a été censé servir, des contraintes  que les responsables se sont fixées ou qu’ils ont indirectement  subies, de la nature même des catégories de population qui ont été concernées par cet espace et appelées à habiter le cadre qu’il constitue.

Parce que le logement et son prolongement immédiat, le quartier, sont un produit qui obéit à un ensemble de finalités sociales implicites et à un certain ordre de la société, il ne peut-être envisagé sous le seul point de vue de son apparence perceptive - Il est  en réalité le cadre de vie, dans ses multiples aspects, des populations urbaines.

Ce cadre de vie en plus des particularités urbanistiques, architecturales, socio-démographiques qu'il véhicule et manifeste, occupe une place particulière dans notre histoire contemporaine. Il fait aussi l'objet d'une action institutionnelle qu'on appelle communément la politique de l'habitat.

Les trois moments de la question du logement 

1. Fonctionnalisme et " habitat pour le plus grand nombre ":

Les années qui suivirent la seconde guerre mondiale ont vu le démarrage d'ambitieux programmes de Reconstruction. Cette conjoncture va susciter un intérêt grandissant pour la recherche sur le logement.

Un grand nombre d'écrits et d'études vont mettre l'accent sur la situation des mal-logés, des bidonvilles, des taudis... tout en argumentant en faveur de la construction de grands ensembles considérés alors comme la solution incontournable à la crise du logement.

L'architecture et l'urbanisme progressiste et fonctionnaliste étaient devenus au cours des années 50 et 60 le remède miracle aux disfonctionnements de l'habitat et de la ville. Implicitement l’idée était : un bon espace est un « espace fonctionnel » qui répond à des besoins et des normes universels.

Abordée sous cet angle, la problématique du logement impliquait une direction de recherche qui s'appuie sur des études démographiques et descriptives pour faire l'inventaire des besoins, en vue de la production d' " habitat pour le plus grand nombre ".

Un peu partout, on chercha à mettre en place une politique sociale du logement par le biais de la mobilisation des institutions, des instruments juridiques et des capitaux publics. la promotion de l'accès au logement public se fit sous deux formes principales: l'aide à la pierre ou l'aide à la personne.

Cette période d'euphorie se heurta à trois limites au moins: le niveau de la richesse nationale ( part publique ou privée à investir); le niveau de solvabilité des ménages et des bénéficiaires des aides; le mécontentement et les explosions de violence dans les cités réalisées.

2. L'émergence de l "Habiter":

Les chercheurs et experts mis face à la crise du logement finirent par reconnaître que le rapport entre habitat et habitant est régi par une articulation complexe, qui ne peut se résumer à une réponse technique standardisée et normalisée à des besoins[1] universels. Cette articulation utilise un certain nombre de médiations qui relèvent de dimensions aussi différentes que les dimensions psychologiques, sociologiques, économiques, politiques...

L'erreur théorique et méthodologique des adeptes de la Chartes d'Athènes provient du fait qu'ils considèrent l'habitation comme un problème d'équipement, une "machine à habiter" comme l'affirme Le Corbusier.

Suite aux remous sociaux[2] des années 70, il va devenir nécessaire de cibler une approche du logement où les instances sociales et psychologiques vont peser d'un poids certains. C'est l'époque de l'"Habiter" et de la fameuse thèse de Heidegger: "habiter" c'est "exister".

L’approche en terme d’"Habiter" a permis de comprendre et de comparer les modes de vie matériels de groupes humains, ainsi que leur évolution. Elle a mis en évidence l’impact sur la morphologie et la typologie de l’habitat de réalités telles que: le rapport au corps comme le rapport au divin ; les structures de relation entre les sexes (espaces secs et humides), le mode et le degré d’organisation de la famille... Toutes ces réalités transforment le besoin universel de se loger en une demande particulière d’habiter débouchant sur une réponse spécifique : une habitation située dans le temps et dans l’espace des hommes et des civilisations.

Le nouveau concept parce qu'il rétablissait le logement dans sa pluridimensionnalité, inaugurait une voie nouvelle: l'étude de l'habitat dans sa signification relative à des aspirations, des désirs de compensation, des représentations idéologiques, des formes de sociabilité,...se développait de même un appareil méthodologique et des techniques d'investigation qui intégraient les apports de disciplines comme la sémiotique, l’anthropologie, la psychanalyse et la psychologie sociale.

3. Le logement face aux défis de la mondialisation et de l' explosion urbaine:

La dernière décennie que nous avons traversée a surtout été marquée par des transformations politiques, sociales et spatiales rapides et profondes à l'échelle internationale.

Deux phénomènes nous intéressent d'une façon toute particulière, c'est la mondialisation et l'explosion urbaine pour l'impact qu'elles ont sur l'offre et la demande de logement.

La mondialisation, dans sa dimension économique, se manifeste par une extension sans précédent dans l'Histoire du libéralisme entraînant ainsi le déclin sinon la disparition des formes traditionnelles de production et d'appropriation du logement.

Sur le plan culturel, la mondialisation des images médiatiques venues des pays riches bouleverse, à travers le monde, les représentation vécues en matière de mode de vie et d’habitat : même sous forme rêvée, fantasmée, ce sont les normes occidentales en matière de construction, de dispositif de  confort qui prédominent.

L’homogénéisation des modalités de rapport au logement est redoublée par l’homogénéisation de la matérialité, réelle ou idéale, du logement (images des villas de rêve dans les feuilletons américains, mexicains ...). Son corollaire est la généralisation des formes occidentales de consommation : demande nouvelle en matière d’équipement domestique, de pratiques alimentaires et vestimentaires, de consommation culturelle (consommation de masse, standardisation et universalisation des produits).

D'autre part, l'urbanisation accélérée se caractérise par un départ de la campagne vers la ville sans retour. C'est la fin du mythe de l'équilibre ville-campagne. la demande de logement enregistre un accroissement exponentiel

Les difficultés -d'autres diraient les choix- des pouvoirs publics en matière de politique de l’habitat (difficultés financières, limitation des investissements sociaux et du déficit public, privatisation ...) vont avoir pour conséquences le grossissement de la masse des déshérités urbains et la prolifération de formes anarchiques et illégales d’habitat ("villes parallèles").

Les mêmes autorités politiques se sont trouvées devant la situation paradoxale suivante: Comment améliorer les conditions d’habitat, réaliser les infrastructures urbaines et les équipement collectifs nécessaires sans que cette action n'attire encore plus de migrants vers la ville ?

 

II-  Approche QUANTITATIVE DU LOGEMENT

L'ensemble des normes et critères disponibles pour faciliter l'appréciation de la situation de l'habitat s'articule autour de 3 axes principaux:

a)    Les critères se référant à l'évolution de la population: structurel, démographique, mouvements migratoires (CSP, classes sociales, hiérarchies différentes)ainsi que les sources où sont puisés ces critères.

b)   Les critères se fondant sur les caractéristiques du patrimoine immobilier d'habitation disponible, ainsi que les conditions de son utilisation.

c) Les critères qui restituent le logement dans son environnement.

  a) Critères relatifs à la population

L'évolution des besoins en habitat vont dépendre en premier lieu des caractéristiques démographiques de la population considérée.

Nous avons d'abord les indications classiques d'évaluation de la population: taux de natalité et de mortalité, taux de fécondité; auxquels il faut ajouter les indicateurs de phénomènes de migration des zones rurales vers les zones urbaines.

Il faut attirer l'attention sur le fait que la relation entre croissance de la population et évaluation des besoins en matière de logement se fait à travers les structures familiales et des ménages.

Ce qui précéde ne veut nullement dire qu'il est inintéressant de disposer d'une norme ou d'une base de référence de la famille type. On la calcule généralement en divisant la population résidente par le parc-logement à un moment t.

Mais examinons en premier lieu les différentes sources qui servent d’outil de connaissance de la population:

a.1. Le Recensement Général de la Population et  de l’Habitat :

Lors de chaque recensement général de la population, une information considérable et intéressante est rassemblée que l’Institut National de Statistique présente sous forme de tableaux. Mais il faut souligner que lorsqu’on travaille sur un îlot d’habitation ou un quartier les tableaux statistiques ne sont pas d’un grand secours étant donné la globalité de leurs données.

Que faire ? A ce moment, on peut avoir recours  directement au fichier de l’INS dont l’exploitation directe peut être une solution puisqu’elle nous permet de disposer d’informations précises grâce aux fiches nominatives.

Une première remarque s’impose, c’est que les fichiers sont conçus par des enquêteurs qui les ont organisés en fonction d’usages précis : l’outil commande alors l’objectif que l’on se donne, il n’est donc pas ordonné à une problématique que l’on choisit.

Une seconde remarque vient du fait que le recensement ne donne qu’une « photo » à un moment donné de la personne ou du ménage. Il permet de savoir par un certain nombre d’éléments la situation du ménage ou de l’individu. Mais le recensement laisse sans réponse un certain nombre de questions comme par exemple : l’activité exercée dans la passé ; l’ancien logement dont on ne connaît ni la taille ni le confort ; etc... Ce sont les limites du fichier du recensement.

Par contre, l’enquête permet, à partir d’une hypothèse et une problématique qu’on a choisies soi-même, d’enregistrer un certain nombre d’informations qui prennent en considération l'aspect dynamique de la situation résidentielle en reconstituant l’unité de la personne ou du ménage dans le temps au lieu de la figer dans le présent.

D’une façon générale, les analyses de processus ne peuvent se faire sur la base des données du  recensement.  

Cependant, comme nous l’avons vu, les renseignements tirés du recensement, aussi partiel soient-ils, permettent de mettre en évidence des types de population, de répérer leur  aires d’implantation et d’apprécier approximativement leurs besoins.

a.2. Le fichier des candidats au logement :

Dans certains cas (comme par exemple pour les opérations d’habitations de promoteurs immobiliers publics ou privés) nous pouvons disposer du fichier exhaustif des acquéreurs de logements et donc de données les concernant.

Dans ces cas, la règle veut que chaque candidat à un logement remplisse une fiche et un dossier  pour que sa demande soit prise en considération. Sur la fiche de renseignements à remplir par les deux conjoints les questions sont nombreuses et intéressantes. Elle concernent généralement : Nom et prénom, date et lieu de naissance, nationalité, adresse, profession, revenu mensuel, retenues sur salaires, propriétés immobilières, date et lieu du mariage, nombre et qualité des personnes composant le ménage.

Face à cette masse d’informations on risque de conclure de conclure rapidement que cette source est riche et variée. En fait, ces données doivent être maniées avec prudence car il arrive que certaines réponses soient mal remplies ou absentes parce que le candidat a intérêt à ne pas donner l’information ou que le promoteur immobilier n’y attache pas d’importance. Par exemple, le travail de la femme n’est pas déclaré dans le cas où le salaire du mari est suffisant pour rassurer la société sur sa solvabilité; ou le nombre de personnes hébergées est sous évalué lorsqu’il est important.

En outre, les termes utilisés dans ces fiches pour parler de la situation professionnelle manquent souvent de précision lorsqu'une nomenclature précise n’est pas donnée : on utilise des catégories très approximatives comme employé de bureau, de commerce, ou celui  d’ouvrier.

Mais malgré toutes les imperfections citées précédemment cette source est très riche et son analyse est d’autant plus intéressante que l’on peut en disposer assez facilement dans toute grande opération d’habitation.

L'examen des sources nous permet d'identifier des populations du point de vue des caractéristiques socio-démographiques en isolant, par exemple, les trois variables suivant:          

·      Les caractéristiques d’âge :

Exemple : La structure par âge suivante :                                                                                                    Moins de 1O ans : 31%

Moins de 15 ans :  42%

Moins de 25 ans :  56%-                                                                               Moins de  40 ans : 84%

Cet exemple montre la faiblesse relative des effectifs entre 15 et 25 ans, période d’entrée au travail.

On cherche souvent à prendre en considération l'âge à partir duquel la demande de satisfaction du besoin en logement peut-être prise en considération .La réponse dépend de la société concernée et de son niveau de développement .

Dans les pays à système capitaliste, c'est la capacité financière qui détermine la satisfaction du besoin en logement .L'acquisition pouvant être réaliser soit pour disposer d'une résidence principale ou secondaire, ou bien encore pour une opération de spéculation.

Dans les pays où la politique de l'habitat planifie demande et offre de logements, on cherche à respecter une certaine justice et équité sociale en fixant des critères pour l'attribution des logements bénéficiant d'une aide publique ( critères de l'âge, de non-propriété, de niveau de revenu, nombre d'enfants, etc.)

·      La taille des ménages :

C’est le nombre moyen de personnes/ménage. Si nous faisons par exemple, une enquête dans des logements fournis  par la Caisse Nationale de Retraite, nous trouverons sûrement une taille de ménage élevée. La raison est que ce genre d’organisme s’intéresse en priorité aux mal-logés, aux familles nombreuses et chargées d’enfants dont les revenus sont relativement bas. C’est une population dont les caractéristiques s’opposent sûrement à celles qu’on trouvera dans des logements fournis par des promoteurs privés.

·      La composition sociale ou les Catégories Socioprofessionnelles et le budget :

A quelles catégories de population les logements sont-ils destinés ?

C’est une question qui revient souvent et qui nécessite une grille de professions ou une nomenclature : Ouvriers, employés, cadres moyens, cadres supérieurs, professions libérales, commerçants, artisans, agriculteurs ...                    

En déterminant la CSP on demande souvent quel le montant du revenu.

Il existe selon les problématiques et les sujets d’intérêt une batterie de questions et de variables encore plus large.

Pour illustrer l’importance de l’étude de la population, supposons que l’on s’intéresse à l’étude des facteurs de ségrégation sociale et spatiale. Nous constaterons que l’analyse des caractéristiques des différentes populations est inévitable si l’on veut savoir par exemple si les différences de revenus et de structure de la famille sont à la base de la tendance des hommes à se regrouper entre semblables, surtout dans une société qui creuse les écarts de revenus et leur donne une signification si forte.

Nous pouvons aussi à partir du constat de ces différences sociales nous poser des questions sur le rôle des constructeurs et des gestionnaires du parc logement dans les phénomènes de ségrégation spatiale et sociale constatés dans les villes.

b) Les critères relatifs à la situation résidentielle :

Chaque société dispose à un moment donné de son développement d’une population d’une taille et d’une structure particulières et d’un parc logement répondant à certaines spécificités quant à son volume, à son état, à sa typologie ou aux conditions de son utilisation.

La relation à tirer de la confrontation entre les deux grandeurs population - parc  logements, figurant sur le tableau ci-après, donne les indications suivantes :

 

Année a

Année b

Population résidente

X1

Y1

Parc immobilier

X2

Y2

Taille des ménages

X1/X2

Y1/Y2

·      Le taux d’occupation par logement : « T.O.L. »                                          

Il établit le rapport entre la population globale et le parc de logements habités et nous permet de mesurer  le « surpeuplement des logements ».[B1]  Exemple: entre les deux recensements de 1966 et 1975 le T.O.L. est passé de 6,15 à 6,67 personnes/logement à Tunis.

·      Le taux d’occupation par pièce: «  T.O.P »

C’est le rapport de X1 sur le nombre de pièces  du parc logement. La " norme                                                            internationale en la matière est de = 1 personne / pièce.

·      le taux d'entassement:  Z                                                                                                                                                                                

 Si Y1 > X1  et Y2 > X2  alors Z  =   [ Y1/Y2   - 1 ] x 100                                                                                             X1/X2                          

Ce calcul peut être fait proportionnellement à chaque type de logement ou par localité, région...

Il correspond à l'augmentation de la taille du ménage par logement et se manifeste par la réduction de l'espace vital habitable, la détérioration des conditions de confort et de la qualité de la vie telles l'intimité, la cohésion, l'harmonie, la communication. Dans des pays telle que la Tunisie la tendance est à la "mononucléarisation" et à la dislocation de la famille élargie, ce qui a pour effet une diminution de l'entassement.

·      Le nombre de logements disponibles par millier d'habitant  (N)

N =  X2   x  1000 

                    X1

On peut examiner la variation de N entre deux recensements ou comparer N dans   des pays différents.

·    Le nombre de ménages pour mille logements disponibles:  (M)

.M =  Y1   x  1000

            Y2

Il est possible ici aussi d'étudier les variations sur une année, région ...

Quand M augmente d'année en année, Z augmente ce qui correspond à l'aggravation de crise du logement.

·      La superficie couverte par habitant : « S.C.H. »                       

Elle met en relation la surface totale des logements par rapport au nombre de personnes y résidant.

·      La superficie nette habitable par personne : « S.N.H.P. »        

Elle s’obtient en retranchant de la S.C.H les superficies nécessaires à l’habitat mais non directement et continuellement utilisable par l’habitant : balcon, cuisine, placard, salle d’eau couloir, entrées, garage, cage d’escalier, etc.

·      Le volume disponible par habitant: « V.D.H. »

C’est un critère qui combine superficie et hauteur des logements.

·      Taux de vieillissement du parc immobilier comme critère d'appréciation:

Il peut rendre compte de l'état de vétusté du parc logement dans la mesure où  l'on admet, en général, que le niveau de qualité de l'habitabilité d'une demeure diminue avec son vieillissement et, qu'au fil du temps, la construction intègre des éléments de confort découlant des progrès enregistrés dans le domaine.

On considère généralement qu'on peut appliquer le qualificatif "vétuste" à toute habitation ayant dépassé 50 ans d'âge.

·      Réseaux divers et qualité d'habitabilité:

Le rattachement aux réseaux d'eau, d'électricité, de gaz et d'assainissement sont souvent prix en compte pour évaluer la qualité du parc immobilier.

            Il existe encore un ensemble d’autres critères qui permettent de caractériser le logement et que nous citons sans entrer dans le détail : Le statut du logement (location, propriété) ; les éléments de confort  (W.C., douche ou baignoire chauffage, téléphone...); le type (haouch, maison traditionnelle, villa, appartement ...

c) Critères relatifs à l'aménagement de l'environnement

Le logement quelque soit son confort et son équipement interne, ne peut à lui seul satisfaire toutes les conditions d'habitabilité. L'environnement extérieur participe pleinement à faire qu'une habitation soit d'une bonne qualité résidentielle.

En effet, les moyens de transports collectifs, les moyens d'éducation pour les enfants, les moyens de culture et de loisir, les moyens d'hygiène et de santé publique, les moyens d'information, d'expression, de sécurité gagnent à être assurés dans l'environnement des zones habités pour garantir le bien être et l'épanouissement des résidents.

Par conséquent, le besoin de logement ne peut être dissocié des autres besoins d'habitation et de vie. Ainsi offrir des logements sans un aménagement minimum de l'environnement, peut aboutir, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, à une détérioration, au plan global, de la situation de l'habitat.

Pour cette raison, il ne faut nullement négliger les problèmes d'aménagement et d'urbanisme, la réglementation relative à l'utilisation des sols et aux lotissements, ainsi que les grilles d'équipement, qui ont une grande influence sur la situation de l'habitat et sur son niveau de développement.           

 

III- Analyse qualitative du logement

a) L’études de la satisfaction de l’habitant :

Le logement, aussi spacieux soit-il, aussi confortable soit-il, aussi équipé soit-il ne suffit pas, à lui seul, pour rendre compte du degré d’habitabilité entendu comme évaluation du niveau de satisfaction du ménage dans sa globalité et de chacun de ses membres en particulier.

Pour connaître le niveau de satisfaction des habitants les enquêtes sociologiques se sont efforcées de traduire les opinions des habitants eux-mêmes par rapport à leur logement.

Pour pouvoir évaluer correctement le niveau de satisfaction il faut rechercher les jugements émis dans des logements de types différents et habités par des habitants ayant des situations sociales et personnelles différentes afin de pouvoir mesurer les différences.

La satisfaction exprimée est influencée par plusieurs facteurs autres que le logement. Ainsi il arrive que des personnes ayant des conditions de logements médiocres les jugent bonnes parce que leur jugement est influencé par leur attitude à l’égard du quartier.

Sur un autre plan, la satisfaction est dépendante de la place de chaque habitant dans la hiérarchie sociale : supposons qu’un logement d’un certain type représente pour les couches sociales moyennes auxquelles il est destiné un niveau de confort bien supérieur à celui des anciens logements et par là, jusque dans l’effort budgétaire, une promotion.

On peut s’attendre à ce que cette catégorie de logement soit en général plus favorablement jugée par ces couches moyennes que par les couches sociales supérieures parce que plus aptes à s’installer ailleurs. Pour ces dernières le logement concerné est considéré dans ce cas comme une étape dans la carrière résidentielle.

Les couches sociales très défavorisées risquent elles-aussi d'avoir une évaluation critique de ses conditions de logement parce que soumises à des difficultés budgétaires très grandes.

Nous pouvons donc dire que généralement les habitant formulent une appréciation positive du type d’habitat dont ils bénéficient dans la mesure où celui ci vise, dans l’ordre des budgets et de la hiérarchie sociale, ce profil de population.

Autrement dit, la satisfaction que les représentants d’une catégorie de la population éprouve est suscitée par la signification que prend aux yeux de cette population le niveau de confort et de peuplement de leur logement dans le contexte actuel des possibilités objectives que cette catégorie aurait ailleurs en ville.

On peut avancer que la relation symbolique subjective (la satisfaction) d’une population à son cadre de vie exprime et confirme cet ordre des choses qui lui est réservé par la politique de l’habitat, en fonction de la place qu’elle occupe dans la société.

Cette concordance ne veut pas dire que cette catégorie de logement soit la meilleure possible, ni même la seule possible. Une évolution des exigences de la population pourrait se produire sous l’impact de divers facteurs- comme par exemple l’élévation du niveau de vie-  entraînant une transformation de l'attitude des habitants à l'égard de leur situation résidentielle.

b) Les pratiques du logement 

Pour étudier les pratiques qui se développent dans le logement, il faut aborder les deux dimensions suivantes : l’appropriation de l’espace du logement et la socialisation de celui-ci.

b.1 L’appropriation de l’espace du logement :

La condition nécessaire à l’appropriation de l’espace du logement n’est pas la propriété qui apparaît plus comme un moyen que comme une fin (« marquer » l’espace, ce n’est pas se référer à une abstraction, la propriété). Dire, par exemple, que les animaux ont l’instinct de propriété, qu’ils défendent « leur » espace, c’est interpréter des comportements qui sont simplement relatifs à des opérations.

Si nous définissons en général la notion « d’appropriation », nous dirons que c’est une pratique spatiale découlant de l’insertion d’un individu dans un espace et se traduisant par des conduites d’aménagement.

Ainsi l’appropriation apparaît comme la projection de la conduite humaine sur l’espace. Elle peut revêtir plusieurs formes.

·      Le regard est la forme minimale d’appropriation de l’espace extérieur.

·      L’aménagement de l’espace par la personne grâce à la disposition d’objets représente d’une part une image de soi offerte ou imposée d’une certaine manière à l’autre et d’autre part, un rapport plus ou moins intense avec cet espace.

·      La délimitation de sous-espaces à l’intérieur d’un espace qui se manifeste par :

Þ  La fermeture topologique (un obstacle au regard de l’autre et la domination visuelle à l’intérieur du domaine délimité).

Þ  Le marquage des lieux

Þ  La liberté d’accomplir certains actes à l’intérieur de cet espace.

Goffman (E. Goffman «  la mise en scène de la vie quotidienne » Paris - Editions de minuit 1973) a tenté de développer la notion d’appropriation de l’espace en avançant l’idée qu’elle consiste en l’utilisation d’un ensemble de « marqueurs ». 

Goffman divise les « marqueurs » en plusieurs catégories :

·      Les marqueurs centraux : ce sont les objets placés au centre de l’espace dont ils annoncent la revendication (c’est le cas du bouquet de fleur dans certains bureaux par exemple).

·      Les marqueurs frontières ou bornes : ce sont les objets qui marquent la limite entre deux espaces adjacents. Notons que lorsque les marqueurs frontières sont placés de part et d’autre d’un individu ou bien devant et derrière lui, ils ont une fonction d’espacement et assurent un espace personnel à leur utilisateur.

·      Les marqueurs signets représentent à travers un objet de véritables signatures (exemples, noms gravés sur une table, affaires personnelles posées sur un siège de train). L’appropriation de l’espace ne se réduit pas au marquage, elle se fait aussi par la familiarisation avec l’espace et la construction pour en faire un univers personnel. Un individu n’aménage pas seulement un lieu, il dispose les choses d’une certaine manière et y ajoute des intentions et des intensités personnelles. A travers ces comportements se profile aussi une façon de vivre les relations sociales. Examinons comment se concrétise l’appropriation de l’espace dans le cas du logement  ?

A ce niveau, l’habitant s’approprie l’espace de sont logement par un certain nombre d’opérations dont les principales sont :  l’aménagement, l’entretien et le bricolage.

·      L’aménagement : l’appropriation dans ce cas consiste à pouvoir aménager, transformer et décorer son espace. Le propriétaire d’un logement ressent en général comme une obligation de marquer son espace, sans doute parce qu’il témoigne pour lui, qu’il exprime sa personnalité ou son désir d’affiliation (espace de représentation). Les aménagements sont de type différent, nous ne pouvons pas mettre sur le même plan « mettre le confort » (installation de la salle de bain, placard, cuisine, etc.) par exemple et « transformer » complètement l’organisation des pièces telle qu’elle a été imposée par l’architecte ;

·      L’entretien : Dans l’entretien s’expriment à la fois une tendance vers le rangement et l’organisation de l’espace, et un rapport culturel entre le propre et le sale. (Ce rapport est culturel parce que l’espace du propre et du sale sont variables suivant les cultures). L’entretien est pour de nombreuses femmes ce que le bricolage et pour l’homme.

·      Le bricolage : c’est un moyen de marquer son espace, de l’aménager et cela peut représenter une économie. Le bricolage exprime aussi un investissement affectif dans le chez soi.

b.2. La socialisation de l’espace du logement :

L’appropriation de l’espace dépend en premier lieu des opération que l’habitant peut y faire pour le marquer, le clore, le transformer etc. la socialisation c’est la capacité de l’espace, de recevoir un réseau de relations sociales, qu’il s’agisse, des relations à l’intérieur du groupe familial, ou des relations qui règlement les rapports de la famille avec l’extérieur (famille au sens large, amis, relations, voisins, visiteurs, etc.).

Les différents espaces du logement sont ainsi organisés en fonction d’un ou de plusieurs modèles culturels. L’opposition entre  « public » et «privé » joue dans ces modèles un rôle important.

Dans un habitat de type occidental cette organisation peut se résumer dans le tableau suivant :

ESPACE PUBLIC

ESPACE SEMI-PUBLIC

ESPACE PRIVE

Entrée, salon ou

 à défaut salle à manger

Salle de séjour

Chambre d’enfants

Cuisine

Chambre conjugale

Le propre et l’ordre sont des qualités essentielles des espaces publics et autant que possible des espaces semi-publics.

La répartition des rôles à l’intérieur de la famille se superpose à cette organisation de l’espace et assigne aux différentes pièces d’autres contenus :

DOMAINE DE LA FEMME

DOMAINE DE L'HOMME

DOMAINE DU COUPLE

DOMAINE DES ENFANTS

DOMAINE DE LA FAMILLE

Cuisine

Bureau

Chambre conjugale

Chambre des enfants

Salle de séjour

L’opposition travail/loisir en tant qu’activités de type différent divise également l’espace du logement. Cette division recoupe l’assignation des espaces en référence aux rôles masculin/féminin, à l’organisation familiale etc.

 

TRAVAIL

LOISIR

Femme

Cuisine

Salle de séjour

Homme

Bureau à défaut chambre

 "

Enfant

Chambre

 "

Famille

 

 "

De plus la socialisation de l’espace implique l'orientation selon 2 axes :

·      Un axe vertical : exemple : la maison à l’étage est associée à la fatigue, la maison au RDC à la disponibilité et à la facilité.

·      Un axe horizontal  (devant - derrière.): Le logement n’a ni un devant ni un derrière prédéterminés, c’est une opposition qui se construit par les significations suivantes :

 

DEVANT

VOIR-ETRE VU

PUBLIC

ESTHETIQUE

Derrière

Ne pas voir / Ne pas être vu

Privé

Fonctionnel

 

b.3. Les rapports de voisinage

Dans la socialisation du logement la dimension du voisinage joue un rôle stratégique, puisque l'habitant est appelé à développer dans son quartier un certain nombre de relations qui ne doivent pas être en contradiction avec la recherche d’une maîtrise de l’univers privé. c'est à cette condition que le voisinage contribue à la satisfaction que l’habitant retire de son logement.

Quel est le contenu de la vie de voisinage et des relations avec les voisins ?

On définit la vie de voisinage par le réseau  d'échanges de services et d’information, et par un degré minimum d'acceptation des conduites personnelles entre-ceux qui vivent les uns près des autres, quelque soit la manière dont cette proximité est définie.

Le rapport de voisinage est régie par une double tendance : l’habitant veut bénéficier de la sollicitude des autres, il veut être admis d’une part, mais il craint cette que ouverture du groupe de voisinage diminue son autonomie propre d’autre part.

Cette double exigence implique une « diplomatie dans les relations de voisinage » qui est une sorte de limites qu’on s’impose dans les rapports concrets.

Existe-t-il différentes sortes de rapports de voisinages ? Représentent-ils des degrés différents d’implication pour l’habitant ?

On dénombre généralement quatre types de relations entre les voisins:

·      Le refus de rapports avec les voisins : l’habitant refuse le contact et dénigre le voisin dans ses moeurs et ses coutumes. Ce voisin et considéré comme un voleur de chez soi, il trouble l’intimité par le regard, l’ouïe, le bruit qu’il fait. Il impose son existence à l’intérieur du logement.

·      L’échange  minimum avec le voisin : se dire bonjour - bonsoir.

·      L’échange moyen: les services rendus ou demandés      

·      L’échange maximum: recevoir et être reçu, et la possibilité de transformation des        relations de voisinage en relation « entre amis ».

   Comme nous le remarquons les relations de voisinage se manifestent par des actes et des attitudes qui matérialisent en quelque sorte, son étendue, son contenue et sa fréquence. Ils nous permettent de relever un certain nombre de pratiques qui ont un caractère transitionnel mêlant l’intérieur du logement et son environnement immédiat.

c) Le quartier

c.1.- La notion de quartier

Le terme « quartier » a acquis une multiplicité de significations dans le langage due au fait que le terme renvoie à une réalité changeante en fonction des réalités socio-urbaines et des aires culturelles.

Si on prend, par exemple, le terme « houma » (quartier en arabe) employé par les habitants de la médina, il ne recouvre pas la même réalité socio-urbaine que le terme quartier

employé pour désigner un lieu ou un territoire déterminé en France.

De plus, l’habitant de l’agglomération accorde une place particulière à son quartier parce qu’il constitue son cadre de vie et le lieu où se passe une partie non négligeable de son quotidien. Il cherche donc à l’investir psychiquement et socialement, étant de surcroît le prolongement immédiat perçu et vécu de son logement.

Le quartier contient plusieurs réalités et relève de différentes approches que M.J. Bertrand a synthétisé dans son livre « Pratique de la ville » (Masson, Paris, 1978) en distinguant : « le quartier sociologique, qui est le plus élaboré, est fondé sur la notion de proximité, de voisinage, car les phénomènes de partition sociale, politique ou économique rassemblent dans des types d’habitat caractérisés, dans certains îlots ou groupes d’îlots, des personnes appartenant à des catégories socialement proches ou complémentaires » ; mais aussi « le quartier géographique qui apparaît souvent dans un nom, un lieu-dit .... mais psychiquement cette appartenance (à un quartier) fait que sortir de son quartier devient pour certains une aventure, toujours un dépaysement. Pour la ménagère, faire un achat ou une visite « dans le quartier » ou « en ville » n’a pas la même valeur psychosociale, les comportements, la manière de s’habiller ne sont pas les mêmes, surtout pour les classes populaires, les plus captives de leur milieu. Nombre d’habitants ignorent les autres quartiers de leur cité et cette connaissance diffère selon qu’il s’agit de l’homme ou de la femme. Dans les grandes villes où aires de résidence et aires d’activité sont dissociées - problèmes des villes dortoirs et des migrations alternantes - la femme organise la vie résidentielle et domine dans la conception mentale du quartier » ; et enfin « le quartier, secondement, à une réalité socio-administrative par la polarisation qu’exercent les équipements ... Les services de plus en plus nombreux réclamés au monde urbain moderne ne sont pas tous distribués à domicile, certains sont dispensés par des établissements localisés dans l’espace en fonction des habitants-clients...  L’organisation de l’espace est donc liée aux comportements de consommation des résidents qui habitent, mangent, lisent, se distraient, ... ».

Les définitions que donne M. J. Bertrand du quartier montrent qu’il est varié et complexe et ne peut être le fait d’une seule discipline ou d’une seule approche.

c.2. Les pratiques du quartier

La notion de quartier renvoie à deux aspects importants : le quartier en tant qu’unité de consommation et le quartier résidentiel.

Ces deux aspects impliquent des pratiques de nature différente parce qu’elles touchent des niveaux différents de la vie de l’habitant.

c.2.1.  Pratique de la vie sociale de quartier

S’interroger sur la pratique de la vie sociale de quartier conduit à aborder deux niveaux d’analyse : les relations sociales dans le quartier et l’intensité de la participation sociale à la vie de quartier.

Dans tous les cas, les rapports de voisinage sont un indicateurs intéressant de la pratique de la vie sociale qui, associé à l’analyse de la sociabilité de quartier, permet d’apprécier l’ambiance spécifique de vie collective de quartier.

Pour rendre plus complète la définition du quartier l’analyse des pratiques et des habitudes de consommation est nécessaire.

c.2.2.  Les pratiques de consommation

Avant d’aborder les pratiques de consommation proprement dites, une description du niveau et du type d’équipement est indispensable.

·      Les pratiques d’achat

La fréquentation du commerce de quartier organise l’espace de consommation de l’habitant et implique des pratiques d’achat spécifiques où des facteurs tels que la proximité du commerce, la nature des produits achetés et le rapport au vendeur jouent un rôle important.

L’autre intérêt de l’étude des pratiques d’achat au quartier est la mise en relief de la sélection sociale que ces pratiques opèrent parmi les habitants consommateurs.

·      Les pratiques culturelles et ludiques

La réalité de l’équipement de l’espace urbain nous pousse à évaluer les possibilités réelles qu’elle recèle en matière d’activités culturelles et de loisirs.

De plus, l’aire civilisationnelle à laquelle appartient la Tunisie implique un contenu particulier de ce que l’on entend par pratiques culturelles et de loisirs de l’habitant.

Dans tous les cas, la réaction du résident vis-à-vis de l’existence ou de l’absence de pratiques culturelles et ludiques est à prendre en considération.

Les pratiques culturelles et de loisirs constituent la forme la plus expressive de l’utilisation du temps hors travail et ont donc des significations et une ampleur à préciser selon les catégories sociales des populations concernées.

 

A.                CONCLUSION

Le logement : une vieille question sociale en des termes renouvelés

L'actualité nous apprend chaque jour, qu'aussi bien dans les villes du monde développé que celles du Tiers-Monde,  les problèmes de logement sont l'ordre du jour. Il ne serait pas faux d'affirmer qu'en cette fin de siècle, la politique de l'habitat est en face de situations sociales souvent alarmantes.

Cette hiérarchie dépendant en grande partie du niveau de solvabilité de la population.

En effet, si on exclut un faible pourcentage de population qui dispose d’assez de moyens pour s’offrir un logement à sa convenance, on peut dire que la grande masse des candidats au logement est organisée d’une façon fortement hiérarchisée à l’égard de l’accès au différents catégories de logements.

On peut aujourd’hui distinguer six strates principales correspondant à des catégories de logements et des populations résidentielles distinctes:

1/ Les couches sociales qui disposent de revenus suffisants et stables qui les autorisent à devenir propriétaires de leur logement, en dehors de toute aide publique ;

2/ Les couches sociales qui peuvent louer un logement du secteur privé

3/ Les couches sociales qui peuvent prétendre soit à l’achat, soit à la location d’un logement ayant bénéficié d’une aide publique.

Ces trois catégories de population sont assez proches les unes et les autres, et le passage de l’une à l’autre, grâce aux mobilités sociales et résidentielles, reste possible.

Par contre,

4/ Les personnes et les ménages ne disposant que de faibles ressources se trouvent réduits à rechercher un logement dans les multiples formes d’habitats hors normes.

5/ Ceux qui n’ont aucun moyen d’accéder à aucun segment du marché du logement et qui se trouvent renvoyés à la rue.

Cette classification est valable pour les pays dits « industrialisés ou avancés » ; dans ceux qu’on désigne par pays en voie de développement, il faudrait ajouter:

6/ Une catégorie de citoyens pour qui l’important n’est pas de disposer d’un droit régulier au logement, mais de trouver où se fixer au sein de l’espace urbain[3].

Nous sommes donc en présence d'une crise du logement qui se posent en des termes nouveaux puisqu'elle est actionnée par des facteurs différents de ceux qu'on avait connus, par exemple, à la fin du 19ème siècle.

Les manifestations de la crise peuvent être  résumées dans les traits suivants:

·      La mondialisation et son corollaire, la délocalisation des activités économiques entraînant la perte d’emploi d’un nombre de plus en plus important de personnes, c’est une nouvelle menace pour leur situation résidentielle;

·      Le renchérissement des coûts des logements offerts et la sélection de plus en plus forte des candidats à l’épargne - logement limitant les possibilités d’accès des couches moyennes et populaire à un logement décent ;

·      La crise économique des pays « socialistes » qui a généré une crise du logement pour des couches sociales qui se sont crues pendant des dizaines d’années protégées ;

L’élargissement de la pauvreté et de l’exclusion à des espaces économiques et des couchez sociales qui se croyaient à l’abri de ces phénomènes de rejet. On trouve aujourd’hui des Sans Domicile Fixe aussi bien à Calcutta, qu'à New-York et à Moscou.

La recherche d'une réponse à la crise du logement

Une idée nouvelle est en train de voir le jour : l’urgence est d’abord dans le traitement de la ville plus que dans la recherche de réponse directe à la question du logement. Ce qui est donc considéré comme priorité, c'est la satisfaction des besoins de base des communautés urbaines : aménagement de voiries, adduction d’eau et d’électricité, construction de réseaux d’assainissement, organisation de transports en commun, création d’équipement et de services publics dans les quartiers les plus défavorisés.

Dans les pays en voie de développement de tels aménagements urbains sont une reconnaissance de fait, par les pouvoirs publics, de ce qui n’était jusqu’alors que quartiers irréguliers, hors la loi.

Une autre composante des nouvelles politiques du logement et de la ville vise la création de disponibilités foncières ouvertes aux plus démunis (petites parcelles de 100,200,300m2). On pense qu’avec cette garantie de la propriété foncière, la population est capable de s’organiser afin de répondre à sa demande d’habitat en comptant sur ses propres capacités[4].

Dans les pays développés, pour affronter la crise et trouver des solutions dans des situations souvent de tension sociale et politique: on a opéré une sorte d'inversion des priorités de l'économie libérale en faisant jouer la prééminence du droit au logement sur le droit de propriété. L'appareil législatif mis en place a permis la réquisition de logements inoccupés au bénéfice des personnes sans abri.

Enfin, l'approche actuelle de la problématique de l'habitat tend à mettre en relation la question du logement à la question de l'emploi ( ou de la lutte contre le chômage ) et à la question de la ville. Et ce n’est qu’en réfléchissant aux différentes interactions entre ces trois niveaux qu’une solution à la crise du logement peut être trouvée.

 

 

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[1] La notion de besoin est sujette à de grandes variations de son contenu, selon de multiples paramètres : dans l’ESPACE et dans le TEMPS, en fonction du contexte historique, social et culturel, de même que la possibilité de faire valoir et prendre en compte l’exigence de ce besoin dépend du contexte dans lequel il s’exprime.

 

[2] On enregistre un essoufflement du projet de développement global promue dans les années soixante et qui était assorti de sa composante urbaine et architecturale, qu’on pourrait résumer dans le mot d’ordre « l’habitat pour le plus grand nombre ».

[3] L’objectif étant de construire un abri, avec ou sans droit de propriété, de façon évolutive, à la mesure des économies du ménage et des aides que l’on recevra et que l’on donnera en retour. Pour ces grandes masses de déshéritées, « le droit à la ville prime sur le droit au logement ».

[4] Cette démarche d’auto-promotion semble intéressante parce que souple et évolutive dans le temps en fonction des moyens dont disposent les ménages intéressés.


 [B1]