jeudi 25 mai 2023

La normalisation avec Israël et les dérapages politico-intellectuels

 

Tout d'abord, je souhaite exprimer mon soutien franc et sincère au doyen honoraire Habib KAZDAGHLI, qui fait face à un véritable procès d'inquisition l'accusant de "normalisation" (تطبيع) avec Israël.

Je le fais avec d’autant plus de force que j'ai inauguré à la fin des années 80 la liste des "normalisateurs" (مطبعين)[1].

L’actualité de ces derniers jours m’apprend que le Président du Syndicat National des Journalistes tunisiens a rejoint le cortège des "normalisateurs" et subit la bronca d’usage. Toujours dans l’actualité, l’attaque contre la Ghriba durant le pèlerinage juif est susceptible de nous alerter sur les conséquences que peut avoir la manipulation de la question palestinienne. Et c’est pour qu’une démarche réfléchie et responsable s’impose je commencerai par une simple question : "la normalisation" avec Israël, c'est qui ? C'est quoi ? Et c'est comment ?

LA NORMALISATION, FOURRE-TOUT

La "Normalisation avec Israël" soulève beaucoup d’interrogations car l’expression est devenue depuis, ce qu’on peut appeler dans un langage trivial, un fourre-tout. On y fourre des États, des organisations, des juifs, des universitaires, des journalistes… [2]

La question palestinienne dans nos contrées arabo-musulmane est souvent utilisée à des fins de propagande afin de convaincre l'auditoire par des moyens rhétoriques classiques : « On donnera son sang, sa vie, ses enfants, tous ces biens pour libérer la Palestine ! »[3]. Combien de politiciens, de présidents, de stations radios et de journaux arabes n'ont-ils pas juré leur fidélité à la cause palestinienne ?

Aussi, pour extraire "la question de la normalisation" avec Israël de la gangue démagogique et des manipulations médiatico-politiques, il convient que les slogans  soient remplacés  par les faits tangibles, et savoir de quoi l’on parle.

LES NORMALISATIONS ÉTATIQUES

Si "normalisation" veut dire rétablissement des relations diplomatiques et officielles avec Israël, c'est l'Égypte qui, en mars 1979, à Camp David, fut le premier Etat arabe à reconnaître l'État d'Israël. Cette reconnaissance a été unanimement dénoncée par tous les pays arabes et a entraîné le transfert de la Ligue arabe du Caire à Tunis.

Le boycott de l’Egypte n'a été qu’une courte parenthèse et la Ligue arabe est retournée en 1990 à "Oum eddonya", sa place naturelle. Les États qui juraient hier ne jamais fouler la terre souillée d'Égypte, sont revenus à de meilleurs sentiments à l’égard de la terre des Pharaons. Le premier pas osé par l’Egypte va bientôt être suivi par d'autres pays et vont embarquer dans le train de la normalisation : la Jordanie en 1994, le Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et le Maroc en 2020 et le Soudan en 2021.

En revanche, la Tunisie a fait un petit pas timide avec l’ouverture de deux "Bureaux d’intérêt" à Tunis et à Tel Aviv en Avril 1996. Bureaux qui ont été rapidement fermés en Octobre 2000. La Tunisie n’a donc officiellement aucune relation avec l’Etat d’Israël.

Seulement, il faut préciser que la Tunisie a des relations normales avec les Etats Arabes "normalisateurs", et il ne viendrait jamais à l’idée de nos représentants de boycotter toutes les organisations et Instances internationales où Israël dispose d’un siège en bonne et due forme.

C’est également le cas des organisations nationales, des Associations et des syndicats. Ni l’UGTT, ni la LTDH – pour ne citer que ces deux organisations – n’ont boycotté ou quitté la salle des réunions de la CISL et de la FIDH où Israël est présent comme membre à part entière. Faire croire le contraire est une supercherie doublée d’un vœu pieux.

LA NORMALISATION PAR L’OLP ET L’ADMISSION A L’ONU

Posons-nous maintenant la question : que pensent d’Israël et de la normalisation les principaux concernés, c’est-à-dire les Palestiniens ?

A ce sujet et durant des décennies sous les slogans de la "cause arabe", "la cause sacrée" et "la mère de toutes les causes" les palestiniens ont vu leur sort à la merci des gesticulations et des aléas la situation intérieure des régimes égyptiens, jordaniens, syriens et irakiens.

Il a fallu atteindre mai 1964 pour qu’enfin une organisation palestinienne autonome voit le jour avec à sa tête Yasser Arafat.

La cause palestinienne cherchait à prendre en main sa propre destinée mais elle se trouve d’une part en présence d’un Etat colonialiste, sioniste et criminel, et les tentatives d’inféodation et même de liquidation perpétrées par "les frères arabes, d’autre part.

Le peuple palestinien poursuit son chemin de croix face aux complots de toutes sortes ourdis par ses ennemis et par ses faux amis.

La reconnaissance- normalisation de l’OLP avec l’Etat d’Israël fut un processus complexe qui s’est déroulé sur plusieurs années. L’OLP ne reconnaissait pas au départ Israël et considérait l’ensemble du territoire palestinien comme partie intégrante de la Palestine historique.

Le tournant est intervenu en 1988, lorsque le Conseil national palestinien réuni à Alger a adopté une résolution reconnaissant l'État d'Israël. La résolution stipulait que l'OLP reconnaissait le droit d'Israël à exister et appelait à la création d'un État palestinien indépendant dans les territoires occupés depuis la guerre de 1967.

L’étape qui a suivi cette "normalisation" OLP/Israël fut l’obtention le 29 novembre 2012 de la Palestine du statut d'État observateur auprès des Nations Unies[4]. Cela est survenu après une décision de l'Assemblée générale de l'ONU qui a voté en faveur de la résolution accordant à la Palestine ce statut.

L'obtention de ce statut a permis à la Palestine de devenir un État observateur à part entière des Nations Unies, avec le droit de participer à l'Assemblée générale et le droit de rejoindre les différents organes faisant partie des Nations Unies.

Cependant, la situation actuelle de la question palestinienne, ne pousse pa à l’optimisme. La "communauté internationale" garante des Accords de Paix d’Oslo de 1993 ne met aucun frein à un régime israélien qui occupe des territoires, maltraite, assassine bombarde et piétine impurement les résolutions de l’ONU depuis plus de 50 ans.

LA NORMALISATION ET LES DERAPAGES UNIVERSITAIRES

Retournons maintenant au point de départ : c’est-à-dire à l’affaire KAZDAGHLI qui concerne la recherche universitaire en rapport avec l’Etat d’Israël.

Les représentants des conseils scientifiques et de l’Université de Manouba recommandent à tout universitaire de boycotter ou/et de quitter les réunions, séminaires ou conférences auxquels participent des universitaires israéliens dans le cadre de la lutte contre la "normalisation" avec l’Etat sioniste.

Etonnant de la part des membres d’une communauté dont le crédo est la connaissance scientifique et l’analyse objective. Quand les universitaires se laissent aller à l’émotion et aux états d’âme à la place de la réflexion, ils dérogent à leur fonction et rôle.

Nul ne peut ignorer que le conflit israélo-palestinien est l’un des problèmes géopolitiques les plus complexes et passionnels de l’histoire contemporaine qui exige de ce fait la rupture avec les discours doctrinaires et la propagande souvent à l’origine de tous les dérapages, y compris académique. Le sort et le destin du peuple palestinien sont malheureusement l’objet d’instrumentalisations largement usitées par les politiciens et les journalistes.

Par conséquent, c’est en déconstruisant "la normalisation fourre-tout" et en la contextualisant, qu’on peut voir un peu plus clair et que l’on peut faire avancer la cause palestinienne loin des gesticulations dépourvues de toute efficacité. L’arme de tout universitaire face aux faits sociaux et politiques c’est "la distance critique", seul moyen pour rompre avec le sens commun, et les idées toutes faites.

Ceci nous amène à avancer les considérations suivantes :

Primo : Parmi nos citoyens, la conviction la plus partagée est qu’Israël est habité par des juifs indifféremment  sionistes et qui ne peuvent être de ce fait que nos ennemis.

Ce genre de discours est de nature à déformer à dessein la réalité. En Israël il y a certainement une majorité de sionistes mais il y a également des juifs qui militent pour la paix et le droit du peuple palestinien à un Etat indépendant sur sa terre. Ces israéliens sont les soutiens et les amis des Palestiniens. Doit-on les combattre, les boycotter et refuser toute proximité avec eux ?

LA PALESTINE, TERRE SAINTE DES 3 RELIGIONS MONOTHEISTES

Secundo : sur le plan académique, Israël engage des moyens financiers et humains faramineux pour que l’idéologie sioniste se pare d’un accoutrement scientifique, en particulier, en histoire et en archéologie. Les universitaires sont appelés par la droite israélienne, Netanyahu en tête, à multiplier recherches, publications et diffusées toutes sortes de publics.

L’objectif est que la recherche scientifique légitime la propagande politique qui prétend que  tout le territoire situé entre le Jourdain et la mer Méditerranée appartient aux juifs, que Jérusalem est « la capitale unie et éternelle » du « peuple juif » et que la Cisjordanie est la « Judée et Samarie ».

Les politiciens israéliens utilisent la recherche pour affirmer qu’il n’y a pas d’occupation dans la mesure où les juifs ne font tout simplement que recouvrer et reprendre possession de la terre de leurs ancêtres.

Face à ce type de discours et de production scientifique, des universitaires tunisiens appellent au boycott de ses auteurs et de ses destinataires.

Nous sommes là en plein confusionnisme car fuir la confrontation à coups de déclarations enflammées c’est paradoxalement reconnaître qu’on n’a pas réussi sur le plan du savoir, à réfuter les idées sionistes, le seul domaine qui soit à la portée des universitaires.

A l’argumentaire pseudo scientifique, il faut opposer un autre argumentaire susceptible de démontrer à toute occasion que l’Etat d’Israël manipule l’Histoire. Les preuves scientifiques disent que les juifs ont vécu en Palestine il y a environ deux mille ans. Avant eux la Palestine était peuplée par les Cananéens. La chrétienté est née en Palestine. Plus tard, dans les années 630, les musulmans l’ont conquise et l’ont habitée depuis sans discontinuer.

Et si on appelle La Palestine historique la Terre sainte c’est parce qu’elle est sainte pour les trois religions monothéistes. L’Etat d’Israël refuse un tel fait en menant une politique génocidaire du peuple palestinien au vu et au su du monde entier et surtout du "monde civilisé".

FAIRE FACE A LA FOIS AU SIONISME ET AU RACISME

Tertio : La question palestinienne est si enchevêtrée politiquement et culturellement que la prudence est de mise pour qu’on ne glisse pas vers des discours et des positions inadmissibles surtout quand ils sont le fait d’universitaires.

Le raisonnement qui établit un amalgame entre israélien, juif et sioniste, est dangereux. Il construit une identification automatique et intrinsèque entre une nationalité, une religion et un mode de penser ou d’agir. Cette posture intellectuelle a des connotations racistes et antisémites évidentes. Tous les juifs ne sont pas sionistes, ni les musulmans islamistes, ni les américains des suprématistes.

Quand la nuance est gommée, c’est la cécité intellectuelle qui prend les devants et les libertés académiques se trouvent remplacées par la rhétorique politique.

En définitive, la première "normalisation" fut l’œuvre de Bourguiba dans son discours d’Ariha du 3 Mars 1965. A l’époque, il fut vilipendé par toute la "notion arabe" unie comme un seul homme. Il a fallu plus de 20 ans aux palestiniens pour reconnaître que le partage onusien de 1948 défendu par Bourguiba était la bonne solution.

La leçon à tirer de tous les discours polémiques, de toutes les  déclarations belliqueuses à propos de "la normalisation" avec Israël, c’est que les DON QUICHOTTE qui se prennent pour les SALADINS de la cause palestinienne sont souvent dans l’illusion.

 

                                                                                              Moncef BEN SLIMANE

                                                                           Professeur universitaire



[1]Je n'ai jamais répondu à ce type d’accusation en fournissant alibis et preuves d’innocence. Dans ce genre de compagne et de surenchère, vous êtes souvent devant un procureur invisible et pour un crime dont vous ne comprenez ni les tenants ni les aboutissants.

[2] La "normalisation" occupe une place de choix dans les rhétoriques politiques, médiatiques et syndicales ; et c’est l’étiquette préférée susceptible de stigmatiser vos ennemis qui deviendront de "véritables traîtres" à la nation arabe et à la communauté musulmane.

[3]Comme plusieurs militants de l’UGET, j’avais en février 1970, clamé ce mot d’ordre dans les rues de Tunis et à la Bourse du Travail avant de me retrouver à la prison civile de Tunis heureux du devoir accompli

[4]Aux zélateurs de  l’anti-normalisation, il faut rappeler que les Etats amis de la cause palestinienne se sont battus pour que la Palestine ait un siège à l’ONU. Ils n’ont pas appelé à quitter l’organisation internationale tant qu’Israël y est représenté..

jeudi 5 janvier 2023

LES ELECTIONS LÉGISLATIVES OU LE "SAVEUR SUPRÊME" FACE A L'ABSTENTION EXTRÊME

 Nous ne sommes plus qu’à quelques jours du second tour des élections législatives.

Il est admis que la participation électorale est l’un des traits les plus caractéristiques de la bonne santé d’un régime démocratique.

Rien d’étonnant donc à ce que le taux de participation au 1er tour des législatives a provoqué moult commentaires et polémiques.

Les adversaires du Président y voient une victoire du boycott auquel ils ont appelé. En face K. Saied leur répond que les 11% de votants sont des électeurs incorruptibles et n’ont pas été contaminés par  l’argent sale de la politique. Les explications avancées par les deux parties sont prisonnières de l’argumentaire en usage dans les querelles politiciennes bonnes pour les plateaux de télévision.

Opérer un dépoussiérage de cette rhétorique est nécessaire pour mieux comprendre les causes profondes de l’abstention d’une bonne partie, voire d’une majorité  des tunisiens.

Quelques questions nous aideraient à mieux cerner et à mieux comprendre l’abstention des tunisiens : Cette crise de confiance de l’électeur de 2022 est-elle le signe d’un désaveu du "sauveur suprême" de 2019 ?   Peut-on dire que le brouillage idéologique d’une décennie d’alliance politique islamo-moderniste en a été pour quelque chose ? Assistons-nous à une expression de la désillusion des jeunes tunisiens d’aujourd’hui de leur idole d’hier ? Enfin, le suffrage universel s’est-il transformé en suffrage censitaire des citoyens ?

Telles sont les interrogations auxquelles cet article tentera de répondre avant ce second scrutin qui sera un véritable test pour le pouvoir et le président.

LE "SAUVEUR SUPRÊME" FACE À L’ABSTENTION EXTRÊME

De 2011 à aujourd’hui, les Présidents et les gouvernements successifs ont échoué à endiguer le chômage des jeunes, la marginalisation des régions moteurs de la révolution et de la chute vertigineuse du pouvoir d’achat des tunisiens.

Trois années d’exercice du Président Kaïs Saied ont terni son image de " sauveur suprême " de la décennie du « Tawafuk » (consensus) islamo-moderniste.

Au final, ce sont douze années de plongée dans les abysses de l’exclusion, de la précarité puis de la pénurie qui ont déclenché une courbe ascendante de l’abstention aux législatives passant de 68% en 2014 à 42% en 2019 et une dégringolade à 11% en 2022.

En fin de compte le tunisien se demande de plus en plus : pourquoi voter si cela n’est susceptible d’apporter le moindre changement. Et si on a été mal représenté par l’ARP de 2019, il y’a beaucoup de chance qu’on le soit davantage  avec l’ARP version 2022.

La crise socio-économique crée à long terme un sentiment croissant de vulnérabilité qu’accompagne souvent chez les citoyens un appel urgent au "sauveur suprême" pour mettre fin à ses malheurs.

K. Saied n’ayant pas réussi dans sa mission de sauveur investi en 2019, a subi la sanction des électeurs en 2022.

BROUILLAGE IDÉOLOGIQUE ET PARASITAGE POLITIQUE

Notons également que le taux sensiblement élevé de participation aux présidentielles de 2014 (62%) a vu la victoire de Béji Caid Essebsi (BCE). Souvenons-nous qu’avant ce scrutin, le paysage politique était scindé en deux blocs : les modernistes pro-Nida face aux islamistes pro-Nahdha.

La scène électorale et l’offre politique paraissaient pour les votants on ne peut plus claires.

Beaucoup se rappellent aussi que l’alliance post-électorale entre Nida et Ennahdha a, non seulement créé une surprise mais également une recomposition du spectre idéologique et politique.

Ce « tawafuk» inauguré par la Haute Instance de la Transition de 2011 expérimenté par la Troïka et couronné par la rencontre entre feu BCE – R. Ghanouchi à Paris a gommé le clivage historique entre la famille démocrate et moderniste, d’un côté, et les islamistes et obscurantistes, de l’autre bord.

Ce brouillage idéologique contribua à la désintégration progressive d’un espace de confrontation politique lisible par les électeurs.

Les élites "tawafukistes", ont perdu tout crédit aux yeux de l’opinion publique qui observait les ennemis d’hier se partager les sièges du pouvoir en se congratulant. Interloqués dans un premier temps, puis scandalisés, les tunisiens ont fini par rejeter ce qu’ils ont qualifié de SYSTÈME. Un SYSTÈME qui, de tawafuk durant une décennie, garda le silence et garantit l’impunité aux pires expressions de la délinquance et, parfois, de la criminalité.

DES ÉLECTIONS SANS PROGRAMMES NI CONFRONTATIONS

De retour à 2022, plus d’un observateur a noté l’absence de programmes clairs et précis des candidats aux législatives. Et quand parfois ces programmes existent, ils sont d’une indigence alarmante. Le vote pour une assemblée législative, instrument de choix de la démocratie représentative, a pour postulat et pour garantie un espace commun de confrontation d’idées avec un public dont le rôle consiste à observer le déroulement de la campagne électorale et à arbitrer à travers un  suffrage.

Quelques jours avant le scrutin du 17/12 je suis allé assister à un "meeting " de présentation des candidats appartenant à ma circonscription. En quittant la réunion, j’étais sincèrement triste et inquiet pour mon pays.

Ce petit échantillon de la campagne électorale auquel j’ai assisté, m’autorise l’observation suivante : Quand la confrontation des programmes, des arguments et des candidats n’est plus située au cœur du jeu démocratique, voter risque d’avoir de moins en moins de sens pour les tunisiens dont je fais partie.

L’abstention des électeurs en décembre 2022 n’est certainement pas le résultat d’un boycott lancé par quelques partis sans audience véritable. Plus grave, l’abstention serait le signe d’un phénomène qui ressemble à une sorte d’auto-exclusion du citoyen de la cité et de la chose publique.

LES JEUNES DE LA REVOLUTION ET LA GÉRONTOCRATIE DE LA TRANSITION

L’abstention des jeunes aux législatives nous renvoie à une étude réalisée en Novembre 2022 par mon association Lam Echaml auprès de 4000 jeunes. Cette enquête avait abouti entre autres à la conclusion suivante : les jeunes s’intéressent de moins en moins à la politique et considèrent que les procédures, les textes et les discours sont fort éloignés de leur univers intellectuel et de leurs préoccupations matérielles.

En outre, les jeunes ont l’impression que K. Saied, à la fois Président et juriste, est entrain de reproduire la démarche adoptée par les experts-juristes de l’establishment de 2011 dont il n’a cessé de contester la légitimité.

Les raisons profondes de cet abstentionnisme sont à rechercher dans la configuration du jeune tunisien. L’identité politique n’a pas été construite dans les combats menés par  leurs aînés marxistes ou nationalistes ou islamistes.

Les jeunes de la révolution de 2011 ont réussi à DEGAGER le dictateur avec d’autres modes d’actions que ceux de leurs aînés. Ils vont réussir là où les vétérans des partis politiques ont échoué durant plus de 30 ans.

Curieusement, les premiers pas de la Tunisie vers la démocratie vont voir une gérontocratie s’installait aux commandes et procédait au piratage de ce qui a été l’œuvre des jeunes, leur révolution.

LA BARRE DES 30 % AU SECOND TOUR DES ÉLECTIONS

Si l’abstention massive aux élections législatives de décembre 2022, ne peut être comptée au bénéfice du boycott d’une opposition squelettique, il n’en demeure pas moins que près de 8 millions de tunisiens n’ont pas voté, transformant de facto le suffrage universel en suffrage censitaire. Dire donc que la participation au 2nd tour des législatives met en jeu la crédibilité des élections.

L’exemple des législatives de 2014 et de 2019 nous indique des taux de participation de 68% et 41.7%. En considérant qu’un taux de déperdition électorale de 15% est naturel; une barre minimale de 30%  au 2nd tour peut signifier un certain regain de confiance des électeurs.

Sous cette barre minimale, l’abstention au 2nd tour serait alors un geste de désaveu voir de défiance politique.

Elle deviendrait dans un certain sens, une réponse électorale à part entière à l’égard d’une initiative présidentielle jugée inopportune et sans rapport avec les attentes et aspirations sociales et économiques du peuple tunisien.  

En dernière analyse, n’aurait – il pas été plus sage de reporter ou de supprimer carrément un second tour hors de propos politiquement et démocratiquement?

Moncef BEN SLIMANE

(Professeur universitaire)