INTRODUCTION
L'urbain: une réalité incontournable et inquiétante
L’humanité à notre époque a presque totalement quitté les campagnes.
La ville et l’urbain sont les deux grandes réalités qui dominent notre monde à
l’entrée du 21è siècle.
Les statistiques officielles de l’ONU signalent que près des 2/3 des
hommes habitent dans des villes.
Les campagnes tendent petit à petit à disparaître même si elles
continuent à exister en tant que paysage. Bien des ruraux sont désormais tout
autre chose que des producteurs agricoles. Les villes sont, en particulier dans
les PVD, le symbole de la modernité, des évolutions technologiques économiques
et sociales, le rêve qui fait voyager et les imaginations et les corps.
Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, notre civilisation est urbaine.
C’est un changement qualitatif qui a débuté à partir du 19è siècle et qui a
petit à petit touché la face de la terre entière.
Ce changement touche aussi bien la taille que la physionomie ou les
fonctions de la ville. Il a pour corollaire les problèmes de plus en plus
graves et redoutables qui affectent d'une façon indistincte les villes de notre planète.
Les dysfonctionnements qui concernent la ville ou l’urbain sont de plus en plus nombreux.
Parmi les plus importants, on peut citer:
*Ceux qui relèvent de la rénovation et de la réhabilitation des
tissus anciens et des centres historiques;
*ceux qui touchent à la ségrégation sociale, aux quartiers, à la
distribution spatiale de ses fonctions;
*et ceux qui ressortent de la circulation, du stationnement, de la
voirie, des réseaux de toutes sortes.
La ville, objet de
recherche
Réalité tout à la fois complexe et stratégique pour le
devenir des hommes. La ville constitue de longue date un important champ de
recherche des sciences humaines. Toutes ou presque l'ont successivement investi
à partir de la fin du XIXè siècle en donnant naissance à des sous-disciplines :
la "sociologie urbaine", la "géographie urbaine" dont les
premiers manuels paraissent dans l'après-guerre à l'initiative de G. Chabot
(Les Villes, 1958), sans oublier l'"ethnologie urbaine",
l'"histoire urbaine", l'"économie urbaine"...
Ajoutons à cela le développement d'un corpus législatif
sur la ville qui a favorisé la publication d'ouvrages de "droit
urbain" tandis que l'évaluation de politiques urbaines a suscité l'intérêt
de la science politique.
Enfin les philosophes et les sémiologues font également
un retour remarqué. En témoigne la publication récente de la "Troisième
ville", du philosophe Olivier Mongin, la réédition régulière du manuel de
F. Choay, "Le Sens de la ville" ( Seuil, 1972 ).
Ces dernières années, l'heure est à la
pluridisciplinarité qui associe des spécialistes de différents horizons
disciplinaires et professionnels (chercheurs, travailleurs sociaux, élus,
consultants...), et privilégie une approche transversale des enjeux urbains.
La ville actuelle dans ses dimensions symbolique, sociale,
écologique et fonctionnelle nous interroge tout en faisant jouer à la
sociologie urbaine un rôle particulièrement important et délicat. Celui d'une
discipline qui aspire à être le discours scientifique de l’organisation de la
société et de la cité.
"Envisagé de façon
descriptive, le concept de ville
s’organise autour de divers éléments. Il évoque tout d’abord une certaine
densité d’habitat et une dominance du bâti sur le non-bâti ; c’est un
espace dans lequel la nature peut certes plus ou moins s’inscrire mais qu’en
tout cas elle ne structure pas.
En outre, cet espace
essentiellement bâti s’articule à travers plusieurs types d’oppositions :
l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur de la ville, particulièrement
nette lorsqu’elle était marquée par des remparts, par un mur d’enceinte percé de
portes ; l’opposition entre un centre, généralement doté d’une
architecture relativement monumentale, et des quartiers, à la trame et au bâti
plus ou moins distincts ; l’opposition encore entre des espaces
« privés », c’est-à-dire à accessibilité limitée ou réservée, et des
espaces, publics - places, rues, parcs ... - ouverts à tous et à chacun.
Considérée dans cette perspective morphologique, la ville tire sa spécificité
du fait qu’elle est non pas le lieu d’exercice d’une fonction spécifique (comme
c’est le cas pour une maison, une école, un hôpital, une entreprise ...), non plus
le lieu où se juxtaposent ces fonctions spécifiques, mais bien le lieu qui met
ces diverses fonctions en interrelation, à travers le rapport à l’espace.
Insistant sur ceci, nous prenons d’emblée distance par rapport au
fonctionnalisme qui, pendant près de trois quarts de siècle, a voulu réduire la
ville à une somme d’espaces monofonctionnels et, par exemple, limiter la rue
a n’être qu’un axe de circulation,
distinguant en outre la circulation piétonne des circulations mécaniques. La
ville est pour nous, au contraire, le lieu où les interrelations sont décisives
et se traduisent dans la morphologie elle-même...
Si l’on veut, par ailleurs,
caractériser la ville comme concept interprétatif, il convient alors de définir
le lien existant entre un type d’appropriation de l’espace et une dynamique
collective. La ville apparaît dès lors comme étant une unité sociale qui, par
convergence de produits et d’informations, joue un rôle privilégié dans les
échanges - qu’ils soient matériels ou non -, dans toutes les activités de
direction et de gestion et dans le processus d’innovation. C’est par excellence
le lieu où des groupes divers, tout en restant distincts les uns des autres,
trouvent entre eux des possibilités multiples de coexistence et d’échanges à
travers le partage légitime d’un même territoire, ce qui non seulement facilite
les contacts programmés mais surtout multiplie les chances de rencontres
aléatoires et favorise le jeu des stimulations réciproques. Lieu à partir
duquel se structure le champ des activités sociales, la ville donne aussi
une dimension systématique à la culture régionale environnante ; elle peut
aussi, au contraire, être, à certains moments, un lieu de rupture et
d’innovation.
Une autre approche
interprétative se centre sur la dimension socio-affective, s’efforçant de
percevoir le lien entre une exploration des possibilités et des potentialités
offertes par les échanges immédiats... Par ailleurs, la ville stimule la
formation de réseaux relationnels à partir des échanges aléatoires qu’elle
suscite."
Jean REMY Liliane
VOYE,
La
ville: vers une nouvelle définition, L'Harmattan, 1992
Qu’en
est-il de la définition de la sociologie urbaine ?
Commençons d'abord par définir ce qu'on entend par sociologie, bien
que Raymond ARON ait eu à ce propos la phrase célèbre suivante:“Sur un point et
peut être sur un seul, tous les sociologues sont d’accord : la difficulté de
définir la sociologie”.
Pour rester à un niveau de généralité et sans prétendre à la
scientificité de l’énoncé, on dira que la sociologie est la discipline des
sciences humaines qui a pour objet l’investigation de la réalité sociale.
Dans cette réalité sociale, la sociologie s’intéresse tout
particulièrement à l’étude des acteurs sociaux, c’est-à-dire des individus, des
groupes, des classes sociales, des sociétés qui, engagés avec d’autres acteurs,
s’activent pour, d’une part produire les biens indispensables à leur existence,
d’autre part donner un sens à la place qu’ils occupent dans la société, la
culture, l’économie... de leur époque.
La conception de l’homme qui dérive de cette dernière définition est
celle d’un “être social” qui serait doté d’une autonomie relative parce que
limitée par des systèmes plus ou moins cohérents de normes, de règles, de
signes, de symboles, de valeurs, économiques, politiques, éthiques, religieux,
etc.
Ainsi comme le disait Georges Gurvitch : "la sociologie c’est
la science de la liberté et des obstacles qu’elle rencontre constamment".
Cette réalité sociale sur laquelle la sociologie jette un éclairage
particulier, gagne en complexité et en diversité au fur et à mesure de la
généralisation de la civilisation technique et industrielle. En conséquence, le
développement et l’organisation des connaissances à l'intérieur du champ
sociologique se diversifie en donnant naissance à plusieurs sous-disciplines.
La sociologie urbaine est une de ces subdivisions qui a pour objet
l’analyse et la compréhension des différents aspects sociaux, psychologiques et
écologique de l’urbanisation.
En abordant l’étude de l’espace des villes, la sociologie urbaine
s’intéresse aux différences manifestations de leur existence collective. Elle
est donc amenée à aborder les phénomènes tels que la distribution et les
mouvements de la population dans l’espace, les comportements et les attitudes
des hommes insérés dans l’urbain. Tous ces phénomènes, pour être analysés et
maîtrisés, doivent être mis en relation avec la structure et la dynamique de la
collectivité urbaine dans son ensemble.
Cette façon d’appréhender l’urbain a été poussée à son extrême par
les théoriciens de l’Ecole de Chicago, qui cherchèrent à construire des
configurations urbaines typiques en mettant en relation espace et collectivités
urbaines caractérisés par leur appartenance sociale, régionale ou culturelle.
Sur les origines et les fondateurs de la sociologie urbaine, il y a
aussi énormément de débats et de polémiques. Ce qu’on peut aisément avancer
c’est que c’est aux Etats-Unis qu’ont vu le jour les premières études qui se
sont assignées comme objectifs, la solution des problèmes engendrés par
l’urbanisation dans les grandes villes avec pour finalité la mise au point de
recettes qui serviraient aux pouvoirs publics de remède à certains maux sociaux
qui risqueraient de déstabiliser le bon fonctionnement de la ville et de la
société.
L’instrumentalisation de la sociologie trouve son explication dans
la forte expansion urbaine contemporaine qui suscitait des inquiétudes et
posait le problème des moyens à mettre en oeuvre pour la maîtrise de la
croissance urbaine.
La tendance pragmatiste et opérationnelle qui guida la sociologie
urbaine dans ses premiers pas, ne fut pas toujours favorable à l’épanouissement
de la réflexion théorique sur la ville et l’urbanisme.
Cependant et avec le temps, des tentatives de théorisation ont
cherché à combler ce déficit en proposant des modèles explicatifs à
l’urbanisation, sa genèse et son développement historique, social et culturel.
Dans ce mouvement de constitution de la sociologie urbaine en tant
que champ de la connaissance à part entière, l’analyse des facteurs qui
président à l’organisation des complexes urbains et, en particulier, l’examen
des modalités, des causes et des effets qui agissent sur la structuration de
l’espace social urbain, sont deux activités primordiales pour la sociologie
urbaine.Une question se trouve souvent au centre des préoccupations des
penseurs et des chercheurs: Qu’est ce que la ville ?
Les
tentatives de définition de la ville
L’urbanisme ayant pour objet la ville, il est d’une certaine manière
naturel que les spécialistes de la question tentent de définir leur objet
d’étude, c’est-à-dire la ville.
Mais comme on peut s’en douter dans un monde en mouvement perpétuel
et en mutations rapides, toute définition stable et rigide risque d’être
rapidement inadaptée à la réalité. La solution résiderait donc dans une
définition évolutive, dynamique et reposant sur une multiplicité des critères.
1.Le paramètre statistique
C’est le plus simple et le plus
facilement utilisable pour définir la ville : une certaine quantité d’hommes
sur une certaine superficie de terre. Le principe est clair mais son
application pose beaucoup de problèmes.
En France, on appelle ville toute
commune dont la population agglomérée (les habitations ne devant pas être
distantes de plus de 100m) dépasse 2000 habitants.
Aux USA, les choses sont plus
complexes. On définira une population urbaine par la négative, c'est-à-dire ce
qui n’est pas rural. (une page de définition). Dans les autres coins du monde,
les chiffres adoptés comme critères de l’existence d’une ville varient
considérablement : on va de 1500 (aux Pays-Bas) à 5000 en Inde.
"Les
critères de définition de la ville
varient considérablement d'un pays à l'autre. Le nombre d'habitants agglomérés est le critère le plus répandu,
mais il peut couvrir des différences : en France, une ville est, au sens de
l'Insee, une commune de plus de 2000 habitants ; au Danemark, le seuil minimal
est fixé à 200 habitants, au japon à ... 50.000. Dans d'autres pays - au
Royaume Uni, en Union sud-africaine, en Tunisie... - c'est l'organisation
administrative qui sert de principe de définition. Certains pays combinent les
deux critères : c'est le cas des Etats-Unis, du Canada, de la Turquie ou de la
Norvège. Le facteur économique n'est pas toujours absent : en Italie, par
exemple, les communes dont la population active est majoritairement agricole ne
sont pas des villes. Au risque de rendre encore plus difficile les approches
comparatives, des pays prennent en considération l'"aspect urbain"
(Israël) ou modifient leur classification (les Etats-Unis, dans
l'après-guerre)."
Rev.
Sciences Humaines, Au coeur de la ville,
n°70 - Mars 1997
Évidemment, comme on peut s’en apercevoir, ce critère purement
arithmétique est largement inadéquat. Il a pour conséquence de classer comme
ville des ensembles de populations dont les réalités sociales économiques et
culturelles sont très différentes d’un
pays à un autre. Il faut donc chercher d’autres critères, que l’apparence
statistique, comme ceux de la fonction pour définir d’une manière plus précise
la ville.
2.Les critères fonctionnels
Une ville ne peut normalement se passer d’un minimum de fonctions.
Certaines peuvent être plus vitales que d’autres, mais il en est surtout de
nécessaires : ce sont les fonctions de relations qu’on désigne aussi sous le terme de
tertiaires.
En effet, la ville est un espace
d’échanges de toute nature, un endroit où des services sont rendus, soit à la
population résidente, soit à celle de l’extérieur.
Ces fonctions de relations sont celles du commerce de toutes tailles,
des activités de service aux citoyens et aux entreprises (Banques, bureaux,
administration, équipements de santé, équipements culturels et de loisir etc.).
D’autres fonctions peuvent coexister
avec celles-là, comme la présence d’industries mais elles ne peuvent, à elles
seules, constituer une ville.
3.Le rythme urbain
Il
y a un autre critère qui est plus ou moins la conséquence des activités
de service, c’est ce qu’on appelle : le rythme urbain. C'est-à-dire cette
activité continue dans les rues, cette animation journalière (et parfois
nocturnes dans les grandes villes) de certains quartiers. A l’inverse, dans les
zones rurales ou les cités exclusivement d’habitation, les rythmes vitaux sont
de type discontinu et rare. L’impression de vitesse, d’accélération de la vie
est une des images les plus caractéristiques de la ville dans la psychologie
collective.
4.Autres critères
On peut encore trouver d’autre
critère pour dire qu’on est en présence d’une ville comme l’architecture, la
densité, la hauteur des bâtiments. Cette dimension est vérifiable dans beaucoup
de ville modernes ; mais certains grandes villes du Tiers-Monde et même les
villes occidentales très étendues ne remplissent pas ce critère. Pourtant, on
ne peut douter un instant que ce soit des villes au sens fort du terme.
La constatation qu’on peut faire est
que la définition d’une ville qui serait valable en tout lieu et en tout temps,
est difficile à établir. Cette définition ne peut être que vague et réductrice
de la réalité urbaine, c’est pourquoi il vaut mieux parler des villes plutôt
que de la ville.
"Comme partout se pose
d’abord le problème de la définition : comment définir le phénomène urbain ? Et le caractère plus ou
moins strict de cette définition conduit tout naturellement à faire reculer ou
avancer les dates du début du phénomène urbain lui-même. Les critères pour
définir la nature urbaine d’un peuplement humain peuvent être très nombreux.
C’est ainsi que Thomlinson
(Thomlison R., « The Nature and Rise of Cities ») propose quinze
critères. Et si l’on reprenait systématiquement tous les critères proposés par
les divers auteurs, on pourrait probablement atteindre le nombre de 25-30.
En ce qui concerne le
phénomène urbain, à son origine, à ses débuts, la plupart des auteurs ont
surtout insisté sur un ou plusieurs des cinq critères suivants :
·
L’existence de
fortifications, d’enceintes, par opposition au village qui reste ouvert ;
·
La taille est surtout la
densité de peuplement ;
·
La structure urbaine de
l’habitat : maisons en dur, rues, etc. ;
·
La durabilité de
l’agglomération par opposition au campement
Il est évident qu’aucun de
ces critères ne saurait être en lui-même absolu et suffisant. Il est certain
qu’il a existé des villages où une fraction de la population se livrait à plein
temps à l’artisanat. Et, plus loin, nous verrons que dans maintes sociétés
beaucoup de paysans habitaient la ville.
Une enceinte ? Certes, c’est là un critère important ; et,
d’ailleurs, en Chine le même mot traditionnel désigne à la fois une ville et
une muraille. Tout comme le mot russe pour désigner la ville (gorod ou grad) signifie, en ancien
slave, citadelle. Mais les villes égyptiennes - et même au début Rome -
n’avaient pas de fortifications, pas d’enceintes, alors que l’on est en
présence de maints villages fortifiés dans diverses régions du monde. La
taille ? La densité ? Il existe de réels villages, notamment au
Tonkin, dans les Pouilles, en Campagnie et en Hongrie, qui comptent plus de 10
mille habitants, voire (dans certains cas) bien davantage. La structure urbaine
de l’habitat ? Il existe des villes non structurées et des villages qui le
sont avec des rues aux maisons attenantes, etc. La durabilité ? Il a
existé des villes éphémères et des campements très durables. En définitive,
comme c’est souvent le cas, il faut combiner maints critères et les moduler.
Quand on prend, par exemple, celui de l’artisanat à plein temps, on peut y
adjoindre l’importance relative de celui-ci. De même, il faut combiner la
taille et la densité. Et, dans la combinaison de ces cinq critères, l’artisanat
est sans conteste le plus important, l’essentiel même du phénomène urbain étant
une spécialisation des tâches où le paysan échange ses surplus pour des
produits manufacturés (et aussi des services). Mais, là aussi, ceci n’est pas
nécessairement partout ni surtout toujours une règle absolue."
Paul Bairoch, Cinq millénaires de croissance urbaine.
L’URBANISATION
DANS L’HISTOIRE
Les
établissements humains préhistoriques
Il est toujours difficile de parler d’urbanisme quand on examine des
établissements humains durant la préhistoire. Cette époque dès qu’on cherche à
l’analyser et à identifier les premières manifestations sociales et formes
urbaines qu’elle a connu, provoque
souvent controverses et polémiques. Ceci est loin de nous surprendre car toutes
les disciplines sont en butte à cette difficulté quand il s’agit de parler et
d’approfondir la recherche sur « les origines ».
Concernant la chronologie historique
de l’urbanisation, les éléments qu’on peut avancer avec les réserves
scientifiques de rigueur sont les suivants :
Le Paléolithique ( 300.000 à 40.000 av. J.C.)
La famille humaine des origines ne
nous est pas connue. Là encore, nous en sommes réduits à des hypothèses dont
certaines peuvent être très proches de la réalité de l’époque :
- l’existence des noyaux stables familiaux autour de la mère et ses
enfants ;
- un échange de géniteurs (jeunes mâles ou femelles) entre
communautés proches ;
- une réglementation de la vie sexuelle (très probablement le tabou
de l’inceste) ;
- la division du travail entre hommes (la chasse) et femmes
(cueillette et élevage des enfants).
On assiste donc durant le paléolithique à la stabilisation des
premières formes de vie sociale. Phénomène concomitant à l’apparition des
premières formes d’habitat préhistorique : les cavernes.
Ces dernières témoignent d’une véritable explosion culturelle qui se
manifeste dans tous les domaines : productions techniques, économie, habitat,
rites funéraires. Progressivement le « troglodytisme » ou habitat
sous forme de cavernes naturelles et artificielles s’étend et touche des
groupes de populations de plus en plus importantes. On assiste alors à la
formation d’un agglomérat de cavernes réparties en fonction de terrassements
superposés, nous sommes face aux premiers villages rupestres. Mais on trouve
aussi des cabanes groupées dont le dessin a été retrouvé dans certaines
peintures pariétales.
Le Néolithique :( 40.000 à 10.000 av.J.C.)
"Commençons par ce qui
peut être presque qualifié d’évidence, à savoir le rôle primordial joué par la révolution néolithique dans la
naissance du phénomène urbain. Révolution néolithique qui fut, sans aucun
doute, un préalable indispensable à cette naissance. En effet, la composante
essentielle de la révolution néolithique est le passage d’une économie basée
sur la cueillette, la chasse et la pêche à une économie basée sur l’agriculture
et l’élevage. Somme toute, il s’agit ni plus ni moins de l’invention de
l’agriculture et c’est pourquoi le terme de révolution n’est pas trop fort.
D’emblée on voit les conséquences très importantes d’une telle évolution, la
plus importante consistant en une forte augmentation de la production
alimentaire par unité de superficie de terre. Ceci rend possible, d’une part,
un surplus alimentaire échangeable et, d’autre part, un accroissement des
densités de population. Et cela implique aussi une sédentarisation :
adopter l’agriculture signifiant abandonner le nomadisme. Donc trois facteurs
qui peuvent conduire à l’amorce d’une civilisation urbaine.
Et surtout il convient ici
de souligner ce point capital, à savoir que l’existence d’un centre urbain
véritable présuppose non seulement un surplus agricole, mais aussi la
possibilité d’échanger ce surplus. Et les possibilités d’échanges sont
directement déterminées par l’importance des surplus par superficie, car la
distance réduit la valeur économique de surplus. Ici apparaît ce que les
Australiens ont appelé la « tyrannie de la distance », qui s’ajoute
ainsi à la tyrannie de l’agriculture.
D’ailleurs, il apparaît de
plus en plus que, à terme, l’agriculture entraîne quasi inéluctablement un
processus d’urbanisation. Dans pratiquement tous les cas où l’on est en
présence d’une agriculture, quelques millénaires plus tard apparaît le fait
urbain. Rares sont les régions où, 2 000 ans après l’existence d’une véritable
agriculture, on ne constate pas l’apparition des villes.
La durée de ce délai, somme
toute très court dans une perspective historique, est certes conditionnée par
un ensemble de facteurs, parmi lesquels la fertilité des sols et l’efficacité
des systèmes agricoles jouent des rôles importants. Plus substantiel est le
surplus agricole, plus forte est la densité des terres, et plus précoce est le
fait urbain. L’existence d’un réseau de voies de communication naturelles
(rivières notamment) constitue également un élément qui semble précipiter la
réaction ; car il ne faut pas oublier cette « tyrannie de la
distance » qui, en fait, régnera jusqu'à l’introduction de la machine à
vapeur dans l’économie des transports."
Paul Bairoch, Cinq millénaires de croissance urbaine.
C’est une époque qui est plus connue car les découvertes
archéologiques nous permettent d’avancer avec certitude que les plans des
habitations étaient de forme circulaire
ou ovale chez certains peuples, et quadrangulaire chez d’autres.
On peut aussi dire que les premières agglomérations humaines du
néolithique respectaient un certain nombre de critères de distribution dans
l’espace répondant aux exigences de l’adaptation à la nature et d’une pratique
de l’ordre.
Des recherches sur les deux lacs du Jura en France ont fait l’objet
d’une publication intéressante à ce sujet : « Le Néolithique des lacs ;
préhistoire des lacs de Chalain et de Clairvaux » éd. Errance, 1988, de
Pierre et Anne-Marie Pétrequin.
Cet ouvrage approfondit encore plus les données dont on disposait
sur les "cités
lacustres" dont on a retrouvé des traces significatives sur les
lacs suisses, bavarois et italiens.
Les villages des petites communautés agricoles des bords du lac de
Jura, regroupaient 100 à 200 personnes. Ils étaient de plan linéaire simple
durant les périodes d’agriculture itinérante et se complexifiaient pendant les
phases de forte sédentarisation.
Plusieurs interprétations ont été avancées pour expliquer la
sédentarisation des groupes d’agriculteurs et leur implantation dans les sites
lacustres d’une part, et les variations régulières d’installation des villages,
d’autre part.
La première hypothèse explicative est que la nécessité de se
protéger a joué un rôle primordial. En effet, les constructions étaient légères
et la zone de marais et de sols instables d’une centaine de mètres de largeur,
jouaient le rôle de défense et d’obstacle naturels. De telles habitations possédaient
donc un avantage défensif indéniable pour de petites communautés où la
hiérarchisation sociale était quasi-absente.
Une autre explication à ce choix du site lacustre en tant que mode
d’établissement humain soutient que « l’urbanisation » du bord des
lacs durant le néolithique, s’inscrit dans la dynamique de la grande
colonisation agricole partie du proche
Orient vers -7000 av. j.c. et
scindée en deux branches : danubienne et méditerranéenne.
Dans un premier temps, les communautés agricoles ont choisi de s
‘installer sur les terres les plus fertiles situées dans les vallées. Puis,
lorsque les terroirs ont été complètement exploités et se sont appauvris, une
partie de la population a dû s’installer dans des zones plus défavorables à
l’agriculture en colonisant les litoraux lacustres et les plateaux.
L’âge de Bronze (2000 à 1500 av. J.C):
L’homme, pourvu d’armes
métalliques et donc capable de se défendre, s’établit sur la terre ferme. Le
nombre de villages, qui s’était réduit à la fin du néolithique, s’est à nouveau
accru pour revenir au niveau atteint avant une période de dégradation
climatique.
Ce qui est intéressant à relever, c’est la similitude des formes de
ces établissements humains européens avec ceux que l’on retrouve en Asie
Mineure, en Afrique Occidentale et en Amérique. Ce constat ne peut certainement
pas prouver l’existence de normes urbanistiques préhistoriques, mais la
permanence d’éléments tels que : le mur d’enceinte pour la défense, le
périmètre urbain et la cabane centrale.
l’urbanisation
dans l’antiquité
Il est difficile
de chercher à comprendre les villes de l’antiquité sans s’interroger sur les
relations entre le sacré et l’espace.
La cosmologie, ou récit des
origines, ponctue l’histoire de chacun
des peuples de cette époque et révèle combien le sacré préside à la naissance
de telle ou telle civilisation.Mais il convient d'être prudent dans
l'interprétation de ce phénomène tant la signification des mêmes symboles est
différente d’une culture à une autre. On n’a qu’à prendre pour exemple le
cercle et le carré qu’on retrouve dans presque toutes les formes urbaines et
les civilisations sans pour autant donner lieu aux mêmes interprétations et
significations du rapport de ces civilisations au temps et à l’espace.
En ce qui concerne l’origine du
phénomène urbain dans l’histoire, là aussi les certitudes manquent terriblement
et chaque nouvelle découverte archéologique donne lieu à une nouvelle date et à
un nouveau lieu pour marquer la naissance de l’urbain.
Ce qui est fortement probable c’est
que la ville comme lieu de rassemblement d’une population fixe et nombreuse,
nait dans un espace civilisationnel qui comprend la Mésopotamie, l’Égypte,
l’Inde et la Chine, au cours d’une longue période allant de 6000 ans à 3000 ans
avant J.C.
Ce ne sont certainement pas les
mythes qui ont fondé concrètement les premières villes connues, mais plutôt les
mutations sociales et économiques fondamentales qu’ont connu les établissements
humains de la fin du néolithique, et qu’on peut résumer dans les traits
suivants :
* la sédentarisation et la diffusion de la pratique de l’agriculture
et de l’élevage,
* la différenciation sociale au sein des communautés et l’apparition
d’une organisation sociale structurée avec ses prêtres, ses guerriers, ses
marchands et ses paysans,
* le dégagement d’un surplus agricole permettant l’entretien de
groupes sociaux au pouvoir et permettant la production et la reproduction de la
ville.
Autrement dit, l’apparition d’une division du travail plus poussée,
d’une différenciation des fonctions et l’instauration de nouvelles institutions
sociales exerçant ces nouvelles fonctions spécialisées sont les signes
annonciateurs de la naissance de la ville et de la disparition de l’espace du
clan ou de la famille patriarcale.
Nous allons examiner les
caractéristiques urbaines que nous a légué l'Antiquité en étudiant les trois
grandes civilisations qui ont marqué son histoire: l'Egypte, la Grèce et
Rome.
1.L’Égypte :
On pense généralement que la
civilisation égyptienne a accordé plus d’attention à l’au-delà qu’à la vie
immédiate. Peu de sites urbains de cette époque subsistent encore ; seuls les
temples, les tombes et quelques rares traces de palais ont échappé aux eaux du
Nil qui ont noyé la plupart des villes (Memphis, Thèbes).
La majesté et la monumentalité des pyramides laissent supposer que
la civilisation des pharaons atteignit un degré de vitalité et de richesse
extraordinaires. Ces pyramides sont de véritables villes pour les morts
construites avec des millions de blocs de pierre, alors qu’à côté les maisons
et les palais destinés aux vivants étaient en briques de terre séchée.
Ce qui est admis aujourd’hui, c’est
que la ville égyptienne est réglée selon une orientation fondée sur des
concepts religieux. Certaines de ses nécropoles sont d’une géométrie
surprenante sans qu’on puisse pour cela affirmer qu’une organisation rituelle,
uniforme et constante se trouve à la base de ces tracés géométriques.
On peut néanmoins déduire, du point de vue de la logique, que des
plans d’urbanisme ont présidé aux implantations même si ces plans ne résultent que des tracés de
quartiers officiels, religieux ou spécialisés. Les fouilles archéologiques
révèlent souvent une parfaite orientation Nord-Sud dans les tracés des voies
majeures.
"En ce qui concerne
l’urbanisme, l’Egypte ancienne connaissait cinq formes différentes de villes,
selon leurs fonctions.
Les
résidences royales et les villes nouvelles royales.
Ces cités étaient soit
d’anciennes grandes villes royales, comme Memphis, soit des cités créées de
toute pièce par ordre du roi : la célèbre Telle-el-Amarna (Akhet-Aten en
égyptien) ou Hawara près du Fayoum. Leur plan est identique dans son principe,
mais soumis à la configuration du terrain, bien entendu.
Les quartiers officiels
comprenaient le palais royal, les bâtiments administratifs, le ou les temples.
Les quartiers résidentiels
étaient constitués des demeures de courtisans et hauts fonctionnaires ainsi que
de cadres moyens : nous avons là affaire à de véritables villas, dans le
sens romain du terme.
Ces parties de la ville
étaient bâties selon un plan fonctionnel : de larges artères, coupées à
angles droits de rues plus étroites, divisaient le terrain et facilitaient la
circulation ainsi que la surveillance et la sécurité.
Les quartiers populaires
étaient à l’écart des autres et constitués de petites maisons, souvent
mitoyennes, donnant sur des ruelles étroites et quelquefois sinueuses.
Dans les anciennes villes
royales, les quartiers populaires, groupés également, soit autour du centre
administratif, soit à part, accusent une croissance plus anarchiques et
pittoresque.
Les villes étaient protégées
d’un mur d’enceinte, de même que le temple, véritable ville dans la cité...
Les
bourgs et villages d’ouvriers et d’artisans de pharaon
Il étaient une particularité
de l’ancienne Egypte attestés depuis le Moyen Empire (environ 2000 ans av.
J.-C.) et au Nouvel Empire (environ 1300 avant notre ère, à Kahun) ;
Deir-el-Medineh en est l’exemple le plus typique. Ces petites agglomérations
étaient en général édifiées sur un sol vierge et en dehors des terres
agricoles, afin de loger artisans et ouvriers employés à l’aménagement des
sépultures royales. Leur plan était linéaire, les maisons (mitoyennes et très
modestes) étaient situées de part et d’autre d’une voie centrale droite. Il est
intéressant de noter que ces deux rangées d’habitations, se faisant face,
étaient considérées comme les deux côtés d’un navire et appelées bâbord et
tribord.
C’est dans ces
agglomérations particulières qu’éclatèrent les premières grèves connues de
l’histoire : les ouvriers protestaient à cause du non-paiement de leurs
salaires en nature.
Les
villes-harem
Elle constituaient une autre
particularité urbaine de l’Egypte ancienne et ceci d’autant que le harem
pharaonique n’était pas comparable au harem moderne des pays d’Orient.
Le harem égyptien était la
résidence des épouses secondaires de pharaon et de leur suite, certaines reines
douairières y habitaient et même, temporairement, la « grande épouse
royale » - ou reine en titre - qui assurait la fonction de « régente
du harem ». Ses occupantes pouvaient changer de résidence : plusieurs
demeures étaient à leur disposition et elles n’y étaient pas prisonnières. Ces
ensembles constituaient de véritables cités autonomes, regroupées autour d’une
cour-résidence. Ils disposaient d’un personnel administratif nombreux avec
chancellerie et scribes, majordomes, chambellans, portiers, police, etc. :
de même technique (artisans de toute sorte) et domestique aussi bien féminin
que masculin ( il n’y avait pas d’eunuques). Tout ce monde avait une économie
complexe à gérer : terres, bétail, esclaves, récoltes, produits raffinés
divers à vendre : lin fin, très connu et très apprécié dans tout le
Moyen-Orient, bijoux, verres multicolores, médicaments, produits de toilette,
etc.
Les enfants étaient élevés
près de leurs mères qui nourrissaient pour eux des ambitions dans cette
concentration humaine propice aux tensions et intrigues.
Les
villes funéraires : les villes des pyramides et des nécropoles royales ou
civiles
Le roi, dieu incarné, se
devait de rejoindre non seulement ses ancêtres divins, mais aussi terrestres.
Afin que ceux-ci et lui-même puissent continuer leur existence et protéger le
pays, toutes précautions devaient être prises à ce sujet. D’où la création de
fondations funéraires, comprenant, outre la tombe - ou la pyramide - un temple
d’accueil, un temple du culte, des annexes et toute une ville pour le clergé et
le personnel séculier affectés à la fondation. Des domaines assurant les
revenus nécessaires au culte en faisaient également partie. Ces villes étaient
implantées hors des terres fertiles, selon un urbanisme strict et
fonctionnel ; les terres agricoles en étaient évidemment séparées."
Ruth
Schumann-Antelme, La cité égyptienne à
l'époque pharaonique,
in Rev. La
Documentation Française, Paris 1995.
Une analogie avec la direction du Nil dont on connaît l’importance,
n’est pas à exclure.
La civilisation urbaine égyptienne eut certainement une grande
influence dans le bassin méditerranéen. Son aspect monumental et son
pittoresque ne laissent indifférents ni nos contemporains ni encore moins les
peuples voisins de l’époque.
2.La Grèce
2.1. La société et la cité aristocratiques :
Il y a près de 25 siècles,
apparaissent les premières villes grecques. La cité ou « polis » est
à la base de toute la civilisation grecque classique. Elle est formée d’un
nombre limité d’habitants (autour de 10.000) qui, en échange de devoirs,
acquièrent le privilège de vivre sous la protection de l’État et de ses lois.
Socialement, la cité grecque est
fortement inégalitaire : esclaves, affranchis, étrangers et même les hommes
libres du peuple occupent une position fort différente de celle des
aristocrates qui possèdent ce bien par excellence qu’est la terre.
"Toute cité grecque
comprend une population importante de non-citoyens, notamment d’esclaves. Mais
seules les cités portuaires, populeuses et plus ou moins prospères, attirent de
nombreux étrangers. Tel est le cas d’Athènes.
Parmi ces étrangers (xénoi), les uns ne font que passer, les autres s’installent plus
durablement et deviennent, au bout d’un mois, des « métèques » :
obligés d’avoir un citoyen comme prostatès,
sorte de garant, ils acquittent une taxe modique de résidence. Soumis aux lois
de la cité, ils sont protégés en droit (avec certaines restrictions par rapport
aux citoyens). On estime qu’à Athènes, au IVè siècle (en période de paix), il y
avait quelque 10 000 métèques (pour environ 30 000 citoyens)...
Relativement bien intégrés
sur le plan économique, social, culturel, les métèques athéniens sont, à bien
des égards, des citadins comme les autres. En ce sens, on peut dire que la
ville grecque est ouverte. En revanche, ils n’ont pas accès (sauf exception
rarissime) à la citoyenneté. Communauté attachée à sa terre et à ses
traditions, la cité, elle, reste fermée."
Philippe
Gauthier, Les cités grecques,
in Rev. La
Documentation Française, Paris 1995.
Le prince - en tant qu’institution
politique - et la garnison - en tant qu’institution militaire - assurent la
protection du pays, maintiennent l’ordre de la collectivité et protègent
l’empire des propriétaires terriens.
L’ordre social est du type oligarchique basé sur la subordination du
peuple : « la masse de ceux qui n’ont point de part au conseil (représentants
de l’aristocratie) » comme dit Homère.
L’organisation urbaine des premières
cités grecques jusqu’à la fin du 6ème siècle se présente sous la forme de deux
entités distinctes :
* la « cité basse » constituée essentiellement de
quartiers d’habitation, aux rues étroites et tortueuses, s’étendant au pied ou
au flanc d’une colline. A l’intérieur de celle-ci, on trouve une structure
urbaine essentielle, la place publique ou « agora », qui est le lieu
de réunion de l’assemblée du peuple.
* la seconde entité est située en hauteur et au dessus de la ville
et est représentée par « l’acropole » qui est un lieu fortifié, siège
et symbole du pouvoir politique et religieux de la cité.
2.2. L’urbanisme
grec des 5è et 4è siècles av.j.c.
:
Les cités grecques présentent, après
la chute des aristocraties, des traits qui la font fortement ressembler aux
cités bourgeoises du Moyen-Age.
L’affaiblissement du pouvoir de
l’aristocratie terrienne aide à l’établissement d’un gouvernement démocratique.
Les marchands et artisans deviennent les notables de la ville. Sans doute aussi
il se forme un grand nombre d’associations qui jouent le rôle d’instances
intermédiaires nécessaires à l’intégration collective.
Ce type d’associations n’a pas généré sur le plan urbain une
spécialisation des quartiers sur le plan professionnel. On observe rarement une
unité du local, du professionnel et du social qui se manifeste si nettement
dans les villes du Moyen-Age.
La démocratisation de la vie publique dans la Grèce
post-aristocratique n’a pas pour autant effacé les inégalités sociales qui sont
restées assez fortes. Révoltes et émeutes ponctuaient le rythme social des
villes et coexistaient avec une démocratie du « compromis ».
Cette période historique est
importante pour l’urbanisme car elle vit la naissance des premiers tracés
urbains orthogonaux. C’est avec la reconstruction de la ville de Milet détruite
par les Perses en 494, que l’on assiste véritablement à la mise en oeuvre du
quadrillage régulier de la ville.
Le plan en échiquier caractéristique
de Milet traduit la relation intime qui commence à s’établir entre une pensée
philosophique à caractère mathématique appliquée à l’organisation de la vie
politique de la cité, d’une part, et la recherche de la forme et structure
urbaines correspondantes, d’autre part.
2.3. Réflexion
philosophique et modèle urbanistique:
C’est une tradition en Grèce antique
que les penseurs s’intéressent à la ville. Le souci était d’imposer une
création et une organisation de la cité sur les bases scientifiques et
rationnelles : hygiène, circulation et défense alliées à un aménagement du
territoire même s’il n’était qu’élémentaire.
Hippocrate fut le précurseur dans l’étude des effets de
l’environnement urbain (site, exposition, nature du sol, régime des vents...)
sur les habitants aussi bien sur le plan physique que moral.
Mais ce n’est qu’au 4è siècle, avec Platon et Aristote, qu’on
assiste à une réflexion approfondie en matière d’urbanisme. « La cité
idéale » d’Aristote est la traduction urbaine des principes édictés de ses
traités de philosophie. Cette cité idéale qui compte 10000 citoyens, serait
installée sur un site qui doit répondre à des conditions précises de salubrité,
avoir des potentialités économiques morales
et psychologiques et bénéficier des qualités défensives. La structure urbaine
respectait la spécialisation des quartiers qui assureraient des fonctions
commerciale, artisanale, administrative, religieuse et résidentielle.
On ne peut parler de réflexion sur
la ville dans la Grèce antique en omettant de citer Hippodamos de Milet qu’Aristote présente comme un philosophe,
mathématicien et politicien et à qui on attribue la réalisation du Pirée et de
Rhodes.
Même si des doutes persistent sur cette dernière information, il est
intéressant de noter que ces deux villes comportaient une maille viaire et une
division en 12 quartiers. En outre, on y a suivi sur le plan de l’organisation
urbaine des règles précises :
a/ Un plan régulier à dominante orthogonale
b/ Une Agora fermée par des portiques
c/ Un ensemble urbain harmonieux intégrant des édifices publics
d/ Des terrasses aménagées à flanc de colline et articulées grâce
aux gradins et aux escaliers.
2.4. L’urbanisme
spectaculaire de la période hellénistique
C’est à Pergame, capitale du royaume
attalide, qu’on va tenter de concrétiser les principes et les règles de
l’organisation de la cité énoncés par les philosophes grecques. C’est aussi
dans cette ville qu’on voit s’affirmer une recherche du grandiose et du
monumental fort caractéristique de l’époque hellénistique.
Les souverains de la cité ont, dans ce paysage austère, réalisé une
composition architecturale inspirant la puissance et la gloire du Prince et
faite d’un immense théâtre, de murs et de contreforts aux dimensions
prodigieuses, de portiques aux longues colonnades et d’un ensemble de
sanctuaires et de monuments publics jouxtant l’acropole au sommet de la
colline.
C’est aussi durant l’époque hellénistique que l’on remarque la
réalisation de rues avec des largeurs variant de 7 à 20m comme à Alexandrie.
Dimensions qu’exigeaient les grands défilés et les grandes parades. On note de
même la généralisation du système d’égouts faits de canalisations maçonnées
positionnées sous les larges dalles de pierre de la chaussée. Les fontaines
publiques qui recevaient l’eau grâce à des aqueducs souterrains complétaient ce
système d’équipement déjà perfectionné pour des villes de l’antiquité.
Il est à remarquer qu’à la recherche de la monumentalisation systématique des édifices
publics et religieux hellénistiques s’associe la tendance au somptueux et au
luxe dans des habitations privées. Cela
n’empêche point l’édification de grands immeubles locatifs et de maisons
simples dans les villes hellénistiques.
En conclusion, notons qu’il existe dans la Grèce antique, une
législation urbaine à laquelle est soumise la population citadine. Ainsi pour
les grands travaux publics, on a mis en place un droit d’expropriation exercé
par l’assemblée du peuple et des jurys chargés de déterminer le montant des
indemnités. On voit aussi apparaître à Athènes des fonctionnaires de voirie ou
« astynomes » qui doivent veiller au respect de la voie publique
(hygiène, salubrité, construction...) par les riverains.
3.Rome
La société romaine se présente
d’abord comme une combinaison de trois groupes sociaux : les esclaves qui
occupent le bas de l’échelle sociale ; les patriciens, riches propriétaires qui
exercent le pouvoir politique, et la plèbe, formée de paysans, de petits
commerçants et d’artisans ne participant pas au pouvoir.
La longue lutte des plébéiens
finira, sous la République instaurée en 509, par les faire accéder à l’égalité
politique et à la magistrature.
La vie publique
et politique des Romains était rythmée par la réunion du « populus
romanus » en comices et l’élection annuelle des magistrats chargés de
gouverner le pays : questeurs (finances), édiles (administration) et préteurs
(justice). Au sommet de la hiérarchie politique républicaine, on trouve deux
consuls qui dirigent les armées et font office de chefs d’États. Enfin, à la
fin de leur carrière les magistrats pénètrent au « Sénat » dont le
rôle est le contrôle de la politique intérieure et la direction de la politique
extérieure.
Les conquêtes coloniales des Romains
leur ont permis de constituer un empire qui fut un réservoir intarissable de
main-d’oeuvre grâce aux contingents de soldats et d’esclaves que les peuples
soumis étaient tenus de leur fournir.
C’est d’ailleurs
grâce à ce système que la civilisation romaine put réaliser des grands travaux
et édifier des monuments prestigieux : construction de temples, de routes,
d’aqueducs etc.
La République romaine ne sut
malheureusement pas quelle solution apporter aux injustices sociales et à
l’exacerbation des contradictions entre patriciens et plébéiens dont les
troubles et les guerres civiles s’étendaient sur tout le territoire.
Cette longue
période d’instabilité politico-sociale aboutit en 31 av. J.C. à la création
d’un empire par Auguste, neveu de Jules César. Inaugurée dans le faste et la
puissance, cette nouvelle ère, se termine, 6 siècles plus tard, dans la
décadence (Bas-Empire). La société romaine quant à elle se transforma ; elle se
divisa en 3 nouvelles strates : des citadins dont le nombre diminue, des grands
propriétaires terriens et des colons qui s’occupent d’agriculture. On est là en
présence des signes annonciateurs du féodalisme.
3.1Fonder la ville :
Les Romains, comme les Grecs
anciens, pensaient sûrement que le site d’une ville devait faire l’objet d’une
intercession auprès de la divinité qui en indiquait l’emplacement. Ajoutons à
cela que la cité étrusque -dont l’influence sur l’urbanisme romain est plus que
probable- a pour origine un acte de fondation religieux emprunté à l’Orient.
Cette cité qu’on trouve souvent
située sur une colline, se caractérise par une acropole, une maille à trame
orthogonale, un habitat fruste et des nécropoles implantées sur les collines
environnantes. Une morphologie qui va avoir une continuité dans le monde romain
qui en adopta les principes.
C’est le même rituel qui préside, ça
et là dans le monde romain, à la création d’une ville:
- l’« inauguratio » :
c’est la consultation des augures afin de s’assurer que les dieux ne sont pas
opposés à la création de la ville ;
- le « limitatio » : il
permet la localisation de la future cité grâce au sillon qu’on trace au moyen
d’une charrue et interrompu seulement aux emplacements prévus pour les portes ;
- l’« orientatio » : c’est la détermination des deux
grands axes de la cité qui constitueront les deux rues principales ;
- le « consécratio » : il consiste en la célébration d’un
sacrifice favorisant la cohésion des habitants sous la protection des mêmes
dieux.
3.2Les fondements de l’urbanisme romain
1. Le plan
On considère que « De architectura » est le traité le plus
complet de l’antiquité sur les problèmes que posent les villes. Son auteur
Vitruve fut un contemporain d’Auguste ; il s’appliqua dans ses écrits à énoncer
un certain nombre de règles à observer dans l’édification des villes de façon à
garantir le bon fonctionnement des services, le décor, l’hygiène et les
commodités résidentielles sans porter préjudice à l’esthétique. L’une des
préoccupations majeures de Vitruve consistait en la salubrité du site et en la
direction des vents qui devait déterminer le tracé des rues.
La ville idéale, selon Vitruve, doit avoir une forme circulaire avec
des voies courbes ou carrés et ceci pour des motifs de défense militaire. Cette
typologie urbaine radio-concentrique contredisait la conception traditionnelle
de l’organisation urbaine des Romains.
En fait, le choix du site et l’emploi systématique du tracé
orthogonal concernant les villes romaines répondent à des considérations
souvent plus pratiques que religieuses : salubrité, accessibilité, direction
des vents, sécurité et stratégie militaire ...
Le modèle de la ville romaine quand on examine celles créées à la
fin de la République et du Haut-empire, se caractérise par la forme du carré ou
du rectangle traversés par des médianes : le « Décumanus » et le
« Cardo ». Le premier est orienté Est en Ouest et a une largeur qui
varie de 14 à 30m dans certaines villes. Le second est orienté du Nord au Sud
et ne dépasse pas 7 à 8m de largeur. Les autres voies sont parallèles au Cardo
et au Décumanus et ont au moins 2,5m de largeur ; elles délimitent des ilôts
carrés ou rectangulaires de 60 à 70m de côté.
Cette conception géométrique du plan
de la ville, nous en trouvons des traces aussi bien chez les Étrusques que chez
les Grecs.
2. Enceinte et rues
La construction de l’enceinte est,
comme on l’a vu précédemment, empreinte d’une signification religieuse
puisqu’elle est la matérialisation du rite de limitation de la ville. Elle est
aussi liée au climat d’insécurité qui régnait durant les périodes d’instabilité
sociale et politique et qui obligeait les villes à se resserrer derrières des
murailles.
Les rues romaines témoignent de la
bonne qualité des équipements d’infrastructure ; elles sont dallées et la
plupart du temps bordées de trottoirs. Leurs dimensions ont varié d’une ville à
une autre tout en indiquant qu’elles avaient connu une circulation active et
supporté de grands défilés militaires.
Les sites archéologiques romains nous montrent de même que la rue à
portiques était fortement prisée.
Sous les colonnades fastueuses s’ouvraient boutiques et commerces de
toutes sortes que des piétons pourraient admirer tout en étant protégés de la
pluie et du soleil.
3. Le Forum
C’est l’espace de rencontre par excellence de la ville romaine :
marché, lieu de réunion et centre de la vie publique. Il a la forme d’une place
qu’entament des édifices publics situés dans la majorité des cas à
l’intersection du Décumanus et du cardo.
Cette dernière règle eut des applications diverses ; c’est ainsi que
dans les villes maritimes on rencontre le forum à proximité du port.
Dans la province romaine, les
« fora » sont dotés généralement d’un temple consacré à la triade
capitoline, d’un bâtiment servant aux réunions de la curie et de la basilique
pour traiter aussi bien de commerce que de justice.
4.
Les équipements
L’urbanisme romain a fortement
développé ce qu’on appelle généralement les « services » et les
équipements de loisir.
On dénombrait vers 312 après J.C. à Rome près de 930 établissements
de bains, 18 places publiques, 2 arènes, 2 amphithéâtres, 3 théâtres, 28
bibliothèques, etc. La ville de Rome accueillait à cette époque environ 1
million d’habitants.
Parmi les
équipements caractéristiques d’une ville romaine, on peut citer :
* Le théâtre romain : généralement bâti en plaine et s’inspirant du
théâtre grec ;
* Le cirque : c’est une longue piste destinée aux courses de chars
et entourée de gradins ;
* L’amphithéâtre : il ressemble au théâtre ; c’est un édifice de
pierre et de maçonnerie -le Colisée en est la forme la plus évoluée- qui permet aux romains
d’assister à leur spectacle favori : les combats de gladiateurs ;
* Les thermes : Ils sont devenus un véritable complexe à activités
multiples durant l’époque impériale. On y trouvait regroupés, outre un
établissement de bains, des salles consacrées à la promenade, un gymnase, une
bibliothèque, des salles de lecture.
La liste des équipements ne s’arrête pas à ce qui précède car on
doit y ajouter les palais, les temples, les casernes, les prisons, les châteaux
d’eau, les nymphées (fontaines), les arcs de triomphe, etc. La dimension
monumentale et le faste de l’organisation et du décor urbain furent l’objet
d’une attention particulière de la part de tous les Empereurs Romains.
5. Les logements :
On peut les classer en deux types : les « Domus » et les
« insulare ». La première catégorie regroupe ce qu’on appelle
communément les maisons particulières qui accueillent la famille et son
personnel. Les domus n’ont généralement qu’un étage et occupent un terrain plus
ou moins grand selon le statut du propriétaire.
Certaines domus sont des habitations simples et modestes, par contre
d’autres constituent de véritables palais. Les insulare sont, quand à eux, des
constructions véritables, des immeubles en quelque sorte, divisés en
appartements locatifs. Là aussi, le standing varie en fonction de la clientèle
à laquelle on s’adresse.
6. La législation urbaine romaine :
L’administration des villes romaines continue en quelque sorte la
tradition grecque qui assignait à chaque ville des services chargés de la
voirie et des bâtiments.
L’adjudication des travaux relèvent des censeurs, tandis que les
édiles se voyaient confier le nettoyage et l’entretien.
La législation sur la construction prescrivait une distance de 1.5m
entre une maison et une autre. Cet intervalle nommé « ambitus »
servait à lutter contre la propagation des incendies comme il faisait également
office de rue.
L’accroissement du prix du sol urbain à Rome ne tarda pas à faire
disparaître ce système au profit de la mitoyenneté. Et ce sont les grands
incendies de Rome qui firent renaître la législation impériale imposant cette
fois un intervalle de 3m entre les constructions.
D’autres exemples de ce code urbain romain peuvent encore être cités
: l’interdiction d’installer des balcons au dessus des rues, l’utilisation de
la tuile et non du bois pour la couverture des toitures, la servitude
d’alignement des maisons, la limitation de la hauteur des bâtiments, etc.
On ne peut conclure ce chapitre sur
l’urbanisme du temps des romains sans signaler le cas particulier de Rome. La
capitale de l’empire qui à son apogée nous donnait une idée des problèmes des
futures villes modernes. Rome, avec son million d’habitants, était en effet une
ville polluée, encombrée avec une circulation très difficile et dangereuse du
point de vue de la sécurité de ses résidents. La spéculation y sévit et
exceptées quelques demeures luxueuses de privilégiés, la population s’entasse
dans des immeubles inconfortables et mal entretenus.
Face à cette situation, les empereurs engagèrent un certain nombre
des travaux pour l’élargissement et le redressement des rues, la délimitation
d’espaces réservés aux piétons, la création de nouveaux fora et d’autres
équipements tels que théâtres, thermes, basiliques et temples. On pouvait dire
que le régime impérial fait de Rome une véritable capitale impériale que
plusieurs cités provinciales cherchèrent à imiter.
Réalités sociales et urbaines du moyen âge européen
La fin de la période antique et la chute de l’empire romain au 5ème
siècle marquent l’entrée de l’Europe dans une nouvelle ère importante par les
transformations sociales et urbaines.
La famille patriarcale qui était la
référence de base pour l’organisation de la société et de l’espace perd
sensiblement de son hégémonie. La civilisation urbaine prend le pas sur la
civilisation rurale aidée en cela par une très forte poussée démographique,
l’amélioration des conditions de sécurité, le perfectionnement des techniques
agricoles.
Cet essor urbain s’accompagne d’une
spécialisation des métiers et des tâches, et d’une différenciation sociale qui
va aller en s’accentuant du haut Moyen Âge à la fin de la féodalité.
1.La Corporation, la commune et la municipalité :
La grande variété des métiers durant
l’époque médiévale va avoir pour institution fondamentale : la corporation,
c'est-à-dire le groupement d’artisans ou commerçants qui appartiennent à un
même métier et à une association ayant sa propre charte.
La corporation a longtemps représenté l’agent urbain principal de la
ville médiévale en lui assurant son essor économique et sa cohésion sociale. La
représentation politique émanait elle aussi des corporations qui désignaient
leurs représentants au sein du gouvernement de la ville.
Le territoire urbain reflète cette structure en assignant à chaque
corporation de métier un quartier spécifique. La coopération entre les diverses
corporations doit permettre de définir les responsabilités et les charges
communes à accepter par chaque quartier pour la bonne marche de la cité dans
son ensemble.
La forme sociologique qui traduit
cette collectivité formée non de familles ou d’individus, mais de corporations,
se nomme la commune. La forme politique de cette dernière est la municipalité
au sens du gouvernement de la ville désignée par le « peuple » ou les
habitants du bourg. La tâche de la municipalité est de préserver et de gérer
cette commune qui se fonde sur la communauté des corporations.
Comme l’a déjà fait remarquer Max
Weber, la commune urbaine médiévale est caractérisée par
l’« autocéphalie » ou autonomie. Toutefois, cette autonomie est
relative puisqu’il n’y avait aucune liberté pour l’individu en tant que tel,
mais un ensemble de garanties et de sécurités assurées au niveau collectif et
au sein de la cité.
Chaque cité a sa propre « milice » ou police, formée de
tous les citoyens aptes à porter les armes ; elle possède également sa
juridiction, ses tribunaux et sa municipalité lève des impôts pour son propre
compte. En outre, chaque ville avait ses cérémonies, ses saints patrons, ses
fêtes, qui avaient pour rôle de cimenter la commune et de marquer sa
différence.
D’autres transformations ont de même
touché le mode de vie urbain en cette époque médiévale tout particulièrement
après le XIè siècle : On a de plus en plus recours à la monnaie dans les échanges
et le commerce, des écoles urbaines font leur apparition, l’art et
l’architecture urbaine commencent à prendre de l’importance. Une culture
urbaine médiévale est née.
2.Mode de formation des cités médiévales
On va assister durant le Moyen Âge à deux processus différents dans
la formation des villes. Pour le premier,
il s’agit du développement ou de la réactivation d’un site ancien, en général
d’origine romaine ; tandis que le second processus consiste en la création d’un
noyau urbain nouveau.
Les villes anciennes concernées par cet essor urbain médiéval,
déplaceront leurs remparts pour englober l’entité suburbaine qu’on appelle
« bourg abbatial » ou « bourg monastique », selon qu’il
s’agit d’une édification à partir d’une abbaye ou d’un monastère.
Le second processus d’urbanisation et de formation de villes nouvelles a
touché des régions qui ont été peu urbanisées durant l’époque romaine. Dans ce
cas, c’est une abbaye isolée ou un château fort qui vont constituer leur pôle
d’attraction pour des habitants intéressés soit par la création de marchés,
l’octroi de privilèges, la sécurité des fortifications ; soit par la protection
d’un seigneur féodal puissant. On appelle ce type de cités médiévales :
« villes d’accession ».
Les « villes neuves », les « sauvetés » et les
« bastides » sont quant à elles des créations urbaines nouvelles, au
vrai sens du terme. Souvent, en effet, les autorités ecclésiastiques ou laïques
et parfois même le pouvoir municipal, dans le cadre des opérations de
défrichement, concédèrent à la main d’oeuvre employée des lots de terrain et
des avantages de statut pour les encourager à venir travailler et à s’installer
dans les nouvelles agglomérations.
Il est très difficile de donner un chiffre exact des populations
urbaines des cités médiévales. On pense généralement que la majorité d’entre
elles ne dépassaient pas quelques milliers d’âmes. Les villes les plus
importantes de l’époque étaient Paris, Milan et Venise qui accueillaient
environ 200.000 habitants ; venaient ensuite Florence, Gênes, Naples et Palerme
avec 100.000 habitants. Par contre Bruges, Londres et Cologne atteignaient
environ 50.000 personnes.
3.La morphologie urbaine :
Il n’existe pas à proprement parler
un modèle particulier de la cité médiévale vu la variété si considérable des
morphologies. Toutefois, on peut isoler les composantes et éléments spécifiques
suivants pour mieux comprendre cette morphologie :
3.1. Les formes planéaires :
* Le plan irrégulier : il
caractérise aussi bien des « villes d’accession» que des « bourgs
abbatiaux » ou « monastiques ». Ce sont la plupart du temps les
contraintes du site et les sinuosités des parcours ruraux qui lui octroient
cette forme particulière en totale rupture avec la trame orthogonale romaine.
* Le tracé linéaire : La ville se
développe dans ce cas le long d’une route ou d’une rivière en prenant pour
point de départ la porte de la vieille cité.
* Le plan radioconcentrique : Les « villes d’accession »
ont souvent connu une croissance urbaine sous la forme circulaire. L’église, le
monastère ou le château ont été entourés et enveloppés graduellement par
cercles concentriques d’habitations que séparaient des rues, dont certaines
formaient les rayons du cercle urbain.
* La trame orthogonale : souvent utilisée lors de la création de
« villeneuves » à partir du milieu du 12è siècle.
3.2. Les équipements urbains :
* L’enceinte : elle joue un rôle
principalement défensif, mais elle sert aussi à intégrer dans le périmètre
urbain des espaces en principe « ruraux » tels que les jardins et les
champs, et à protéger les puits et les citernes d’eau.
* Les rues : elles sont généralement tortueuses et peu larges dans
les vieilles villes. Les villes plus récentes ont bénéficié de rues droites et
larges atteignant 8 à 10 m. Le pavage et le dallage se généralisent à partir du
14è siècle ; par contre seule une rigole au milieu de la rue assurait
l’écoulement des eaux usées.
* L’église : on l’associe à un
cimetière
* La place : espace d’accueil des
activités ludiques, religieuses et commerciales, elle est entourée de maisons à
arcades ou à piliers. La
« halle » en est un élément essentiel puisqu’elle abrite le marché
comme le gouvernement de la cité ou la « maison de ville ». On accède
à la place en arrivant par des rues qui débouchent aux angles de celle-ci.
En conclusion, on peut dire que la cité médiévale semble reposer sur
un ordre statique, respecter un certain immobilisme social. Le collectif
transcende cette société divisée en nobles, bourgeois et paysans selon une
hiérarchie destinée, croyait-on, à survire à l’usure du temps et de l’histoire.
En effet, les remparts de la ville du Moyen Âge sont des limites
aussi bien matérielles que symboliques. Ils protégeaient de l’étranger, de
l’agresseur, mais ils s’élevaient aussi comme des barrières aux changements
sociaux.
C’est sous l’impact de l’industrie , de la circulation des
marchandises, des hommes et des idées que cet édifice immobile et statique va
connaître ses premières fissures. La féodalité entre en crise, la suprématie du
collectif est contestée par les droits et les revendications de l’individu , et
la raison bouscule le règne des croyances religieuses et de l’obscurantisme. La
ville va, là-aussi jouer un rôle essentiel dans l’éclosion de la nouvelle
société, la société de la renaissance.
Les
principes de l’urbanisme de la Renaissance
La « Renaissance » est un terme qu’on pourrait facilement
associer à d’autres termes tels que rénovation, résurrection, réveil, etc. Et
c’est à un phénomène de ce type que va assister l’Europe au cours du XVè et
XVIè siècle. Période réellement exceptionnelle pour les révolutions d’ordre
philosophique, artistique, social et économique qui toucheront les moeurs des
citoyens et la vie des nations occidentales, l’aventure commençant en Italie.
Si la Renaissance est un mouvement
qui s’attache à découvrir le nouveau, il le fera, paradoxalement peut être, en
reconstruisant le pont qui le lie à l’Antiquité et en mettant entre parenthèse
la période du Moyen Âge.
La
civilisation Antique fut considérée comme le seul creuset de la sagesse et de
la beauté. Écrire en latin devient courant ; dans les universités on enseigne
le grec ; l’art antique constitue la référence et le modèle à suivre pour les
architectes ; et la mythologie grecque et romaine inspirent peintres et
sculpteurs de la Renaissance.
Mais
il faut préciser que l’initiation et le retour à l’Antiquité ne signifiait
point copier l’Ancien. C’était un point de départ pour fonder une oeuvre
originale.
Si le Moyen Âge a mis au centre du
monde Dieu, la Renaissance va le remplacer par l’individu ou l’homme qui va
entrer d’une manière presque définitive, dirons-nous , sur la scène de
l’Histoire occidentale. Cette mutation extraordinaire a eu pour corollaire
l’humanisme en tant que mouvement littéraire et philosophique caractéristique
de la Renaissance.
Cette position centrale conquise par
l’Homme dans la Renaissance pousse des artistes comme Raphaël, Michel-Ange,
Botticelli, Titien, François Clouet, Dürer ou Bruegel à accorder un intérêt
particulier à l’homme et à la nature. Dans leur peinture la réalité
quotidienne, la campagne, l’anatomie du corps humain et le portrait deviennent
sources d’inspiration et objet de représentation.
La découverte de la perspective
comme science et son application à l’art, en Italie et en Flandre, répond à ce
désir nouveau des artistes d’imiter la nature et de rompre avec un art
d’illustration d’un univers mythologique ou religieux.
En 1443, l’architecte florentin
Alberti, énonce, le premier, une théorie de la perspective dans son
« Trattatto della pintura ». Et à partir du XVè siècle, les traités
se multiplient, et la perspective, avec Mantegna par exemple, atteint la
perfection dans l’art du trompe-l’oeil.
L’homme de la Renaissance libéré du
joug de la commune médiévale, du poids de la collectivité, est désormais isolé
dans une société urbaine qui commence à se diviser d’une manière assez sensible
et profonde. Le capitalisme commercial fait son apparition.
Grâce
aux progrès de la navigation, Christophe Colomb, Vasco de Gama peuvent explorer
de nouveaux continents et favoriser donc l’essor du commerce international.
Une classe dominante de riches
marchands s’affirme pour prendre en main les affaires d’une cité où affluent or
et argent et où les banques se multiplient. Mais cette richesse matérielle n’a
pas que des répercussions économiques, elle va introduire dans la société du
XVè siècle un mode de vie et un mode de pensée fortement influencés par la
logique du calcul et la recherche du profit. Quant aux préoccupations sociales,
elles vont disparaître progressivement des préoccupations des autorités, de la
haute bourgeoisie financière et marchande.
Cette époque de transformations
sociales et de bouillonnement artistique et philosophique, va avoir également
son impact sur l’urbanisme qui va bénéficier aussi des progrès de
l’architecture et de la technique.
Les premières
théorisations de l’urbanisme de la Renaissance
On ne peut parler d’urbanisme de la
Renaissance sans revenir sur Léon Battista Alberti (1404-1471) qui, dans la
continuité de Vitruve, repose la question de la « cité idéale ».
Il
en énonce les deux principes directeurs : volupté (voluptas) et commodité
(commoditas). La ville ne doit pas seulement être confortable, facile à vivre,
comme ce qu’exigeait déjà la cité médiévale, mais, en plus, elle doit être
belle.
Alberti réintroduit l’esthétique
urbaine comme souci et exigence de l’urbanisme et renoue donc avec la tradition
grecque et romaine. Son appel à une « composition » de l’espace de la
ville, à la manière d’une oeuvre picturale, va bouleverser conception et
réalisation des villes de l’époque.
Le second théoricien qui a aussi
marqué la période de son empreinte est Filarete, de son vrai nom Antonio
Averulino, dont les tracés urbains en étoile ont provoqué l’admiration des
princes et aristocrates de la Renaissance. C’est, d’ailleurs, un condottiere
italien François Sforza, duc de Milan, qui lui donne l’occasion de concevoir sa
ville idéale, « Sforzinda », avec un plan radiocentrique.
Au
milieu se trouve la place centrale et le palais vers lesquels convergent les
huits branches de l’étoile.
Nos deux théoriciens de « la
ville idéale » n’ont, en réalité, fait qu’inaugurer un moment de
l’histoire de l’urbanisme où la gymnastique de l’esprit s’exerçait à jouer des
formes et des dessins géométriques avec pour seule fin : le plan urbain idéal.
Rues, places, palais, maisons se combinaient de mille et une manières sous le
crayon des architectes de la Renaissance pour aboutir à des figures de
polygones de 4, 6, 8 et plus de côtés.
La ville idéale était d’abord une
ville idéelle, une image. Et la condition nécessaire et suffisante pour
réaliser la ville idéale consistait en sa conception « planéaire »,
c'est-à-dire en sa figuration en tant que totalité spatiale. La planification
urbaine à la Renaissance faisait donc ses premiers pas, et la ville devient
l’objet d’une étude scientifique, d’une réflexion a priori. Tout en étant
l’oeuvre d’un prince, la cité était aussi devenue le projet d’architectes,
d’ingénieurs et d’artistes.
La planification de la
ville idéale
Les règles de la planification
spatiale de la ville n’ont pas eu l’occasion d’être concrétisées, en ce début
de la Renaissance, si on excepte la construction de quelques villes nouvelles
de taille modeste. L’aménagement de villes existantes en application d’un
nouveau plan urbain, ne fera son apparition qu’au XVIIIè siècle.
Quels sont donc les structures
fondamentales et principes directeurs de la ville-modèle de la Renaissance ? on
peut citer les suivants :
* Le tracé urbain : Il est
essentiellement basé sur la figure géométrique, en particulier les polygones
réguliers qui symbolisaient le canon de l’esthétique urbaine. La géométrie
permettant en effet la rectitude des rues, la symétrie dans la composition
urbaine, la centralité et la possibilité d’une liaison organique entre les
différentes parties du plan ou de la ville.
* La monumentalité : Elle se réalise
grâce à l’existence d’un centre ville vers lequel convergent regards et rues,
et qui est en même temps le point où se rejoignent des rues en perspective.
Dans
cet espace central, on édifiait généralement un monument qui peut tout aussi
bien être une porte qu’un obélisque.
Participent
de même à cette monumentalité les places publiques qui ne désignent pas le
centre de la cité, mais un espace de la ville que la géométrie ou la
composition urbaine mettent en valeur : pour les places circulaires on optera
pour des rues rayonnantes et pour les places carrées, les rues déboucheront au
milieu des côtés.
Toute
cette scénographie urbaine est confortée par des statues, des portiques, des
fontaines, et surtout des façades monumentales classiques, caractéristiques de
la Renaissance italienne, percées de fenêtres dont la thématique est basée sur
la recherche du rythme.
La naissance de la ville moderne
Dans l’histoire de l’humanité, l’explosion urbaine fut assez
soudaine. Elle se situe au début de la révolution industrielle quand une
majorité d’espaces s’urbanisent. Jusqu'alors la taille des villes était soumise
à des contraintes qui relèvent des ressources alimentaires, du transport, des
sources d'énergie et de la sécurité.
Ces obstacles vont être surmontés
grâce en particulier:
- Aux progrès agricoles qui ont
permis à une population de moins en
moins nombreuse de nourrir un nombre toujours croissant d’individus;
- Au transport des denrées et à la
circulation des personnes qui furent rendus plus aisés par la création d’un
réseau routier;
- A la découverte de sources
nouvelles d'énergie telles que le charbon et l’acier, pour remplacer la force
animale;
- Aux progrès dans les techniques
militaires qui ont fait éclater les murs d’enceinte des cités médiévales dans
lesquelles s’agglutinaient les habitations.
Au début du 19è siècle, la limite du
million d’habitants est franchie dans de nombreuses villes :Londres, Tokyo, New
York, Philadelphie, Calcutta, Buenos-Aire. L’explosion urbaine est alimentée
par l’explosion démographique et les migrations des campagnes vers les villes
devient importante. En un siècle, la population européenne passe de 180 M à 400
M d’habitants et c’est dans les villes que se concentre la majorité de cette
croissance.
Le 19è siècle se caractérise aussi
par l’apparition de véritables espaces de la misère à l’intérieur des villes.
Certains types de pauvreté semblent vraiment liés à l’explosion urbaine et
contredisaient l’idée dominante à cette époque
qui associait la pauvreté à la déchéance physique et morale.
Le 20è siècle confirme la croissance
démographique et urbaine du 19è, et population et villes ont des courbes de
croissance à allure exponentielle. En 1960, 99 villes comptent plus de 1
million d’habitants ; en 1983, ce chiffre est multiplié par 20.
Dans tous les pays, il existe au moins 1 ville de plus
d’1 million d’habitants. Aujourd’hui, ce chiffre caractérise des villes
moyennes en Europe.
La croissance urbaine a été moins
importante sur le plan du chiffre de population que sur le plan de l’étalement
de l’espace.
Ex. : Paris est passée, entre 1830 et
1960, de 1 à 7 millions d’habitants; son espace bâti s’est multiplié par 15.
La ville apparaît comme
« dévoreuse » d’espace étant donnée sa force d’attractivité et ses
mouvements centrifuges qui dépeuplent le centre et rejette les populations vers
des zones de moins en moins dense de la périphérie.
Ainsi, le processus
d'extension d'une ville répond à un schéma assez simple, celui de la tâche
d'huile : la ville progresse par la périphérie en donnant naissance à la
banlieue, l'ensemble ville/banlieue constituant l'agglomération.
1.La métropole :
Elle marque une nouvelle étape dans
l'extension de la ville. A l'origine, la notion désigne le résultat d'un
phénomène spécifique à la société américaine : la transformation des
centres-villes en centres d'affaires, et le départ des couches les plus aisées
de la population vers les banlieues (suburbanisation). En France, la métropole
revêt un autre sens : dans les débats relatifs à l'aménagement du territoire,
elle désigne les organisations urbaines régionales qui peuvent faire
contrepoids à Paris (les "métropoles d'équilibres").
2. Les banlieues :
Dans le passé, la ville était
entourée de villages qui lui fournissaient les ressources alimentaires,
l’artisanat nécessaire tout en gardant le caractère villageois autonome avec
une population active qui y vivait et travaillait.
Actuellement, les faubourgs sont
totalement englobés par la ville. Ils ont été transformés en banlieues assurant
des fonctions strictement résidentielles ou industrielles.
"Aujourd'hui,
nous avons du mal à nommer les choses. Les
quartiers "difficiles", ceux qui sont au centre des politiques de
la ville, ne sont pas aisément définis. Faut-il parler de banlieues?
C'est absurde en raison même de la
diversité des populations et des conditions, au sein du même grand ensemble
parfois. Pouvons-nous parler de ghettos? Ce serait encore plus inacceptable car
ces quartiers sont ouverts, on y circule, en raison de leur hétérogénéité, ne
sont nullement des quartiers ethniques. l'assimilation avec les ghettos noirs
des grandes villes américaines sert soit à nous faire peur, soit à évoquer un
processus. Faut-il alors parler de quartiers de marginaux ? Malgré des taux de
chômage élevés et l'isolement géographique, leurs habitants participent de la
culture de masse, et l'Etat ne les a pas abandonnés. Devons-nous parler de
pauvreté? Le mot est vague lui aussi, et la fragilité économique ne correspond
guère aux formes traditionnelles de la pauvreté et de sa culture."
Rev.
Sciences Humaines, Au coeur de la ville,
n°70 - Mars 1997
Il existe différents types de
banlieues :
-
Banlieues proches à l’habitation dense assez bien assimilées à certaines
vocations (portuaire, marchande...) et en continuité absolue avec la ville.
-
Les moyennes banlieues à vocation résidentielle plus affirmée. On y voit dans
certains cas survivre un certain caractère rural.
-
La grande banlieue-dortoir des pendulaires dont on ne connaît pas exactement
les limites.
3. Les mégapoles :
A partir d'une
certaine importance spatiale et/ou démographique (une dizaine de millions d'habitants),
agglomérations et métropoles peuvent acquérir le statut de mégapole. Celle-ci
fait plus que suggérer l'idée de gigantisme. Elle exprime aussi le caractère
boulimique et désordonné que revêt l'extension de l'espace urbain. On en trouve
des exemples aussi bien dans les pays en
développement : dans un cas comme dans l'autre, il s'agit souvent des capitales
économiques."
4. Les mégalopoles :
Des agglomérations séparées
initialement se rejoignent par le comblement progressif des espaces interstitiels.
Ce phénomène récent est le plus souvent lié à la concentration de puissance, de
capitaux et de pouvoir dans une
"grappe de villes" proches.
Trois
ensembles peuvent aujourd'hui prétendre au statut de mégalopole : les villes
qui relient Boston et New York, le long de la façade Atlantique du Nord-Est des
Etats-Unis ; la "banane bleue" européenne que matérialisent le "semis" de villes qui s'étend de
l'Angleterre du Sud-Est à l'Italie du Nord en passant par l'axe rhénan; enfin,
en Asie, la mégalopole centrée sur Tokyo, et, à moyen terme, l'arc urbain
courant de Séoul à Singapour en passant par Pékin, Changhaï, Canton.
Idées anciennes et
nouvelles de la ville
L’explosion urbaine est un problème
qui se pose actuellement différemment qu’autrefois.
A la fin du 19è siècle, la
croissance urbaine était synonyme de progrès et en corrélation avec le bien
être d’une population, son développement culturel, intellectuel et artistique.
La ville était « désirable » et ce caractère était très clair pour
les jeunes générations qui fuyaient la campagne pour s’établir en ville.
Actuellement, et tout
particulièrement en Europe, cette croissance ne va plus vers une densification
des espaces mais plutôt vers un étalement qui traduit un refus de la ville, une
fuite de la ville. Le dépeuplement des centres est très important: entre 1970
et 1975 aux USA les centres villes
perdaient chaque année 1.400.000 habitants.
Une autre conception ancienne
voulait qu’on sépare population urbaine et non urbaine pour affirmer la
distinction entre les activités commerciales, industrielles et les activités
agricoles.
Cette idée reposait sur deux
hypothèses : les activités non agricoles doivent se situer en ville ; les
personnes y travaillant doivent habiter en ville.
Ces deux hypothèses sont aujourd'hui
infirmées : les entreprises émigrent des villes et même certains services
(universités, laboratoires, technologie de pointe) se situent actuellement en
espace rural ; et le lieu de résidence se trouve de plus en plus dissocié du
lieu de travail.
PASSE ET PRESENT DES VILLES MUSULMANES
Un grand nombre des analyses et des
conclusions que nous avons énoncées ne recouvrent que les réalités historiques,
sociales et urbaines occidentales. La civilisation et les formations sociales
arabo-musulmanes ont suivi un itinéraire différent qui nécessite qu'on aborde
leur contexte urbain d'une manière distincte aussi bien du point de vue
analytique que méthodologique.
Les ancêtres :
La civilisation islamique est une
civilisation essentiellement urbaine. Les premiers siècles de l’Islam sont en
effet marqués par une intense urbanisation. Mais ceci ne doit pas nous faire
oublier que cette tradition urbaine remonte loin dans l’histoire des Arabes et
de la « Jazira arabia » (l’« île arabe »).
En effet, il existait dès l’origine,
chez les arabes, une tradition urbaine fondée notamment sur le commerce
caravanier et pastoral dont la cité d’« Al Batra » (PETRA) capitale
des Nabatéens située au sud de la Jordanie, a constitué un exemple frappant.
Les Nabatéens, tribu nomade du nord
de l’Arabie, ont commencé à s’établir dans la région de Pétra à la fin du 7ème
siècle av.J.C. Ils furent certainement
attirés par les abondantes ressources d’eau et par la position privilégiée d’un
territoire entouré de montagnes. Les
vestiges actuels de la ville et la majesté des constructions faites dans la
roche laissent supposer une activité et une vie urbaines intenses.
L’explication la plus probable à cette prospérité des Nabatéens est à
rechercher dans la place stratégique que Pétra occupait au carrefour des routes
de l’encens, de l’épice et de la soie qui liaient la Chine, l’Inde et le Sud de
l’Arabie à l’Égypte, la Syrie, la Grèce et Rome. En tant que cité des
caravanes, Pétra était une place idéale pour s’arrêter, faire le plein d’eau,
et utiliser les entrepôts immenses pour les marchandises qui venaient de
partout. Les habitants devinrent riches en imposant des taxes sur les
marchandises de passage et en offrant en retour une protection pour les
caravanes contre les voleurs et les brigands.
On remarque donc que plusieurs
siècles déjà avant l’islam, le commerce caravanier et la sédentarisation
partielle ou totale des tribus nomades sont deux facteurs qui ont joué un rôle
important dans la formation des premières entités urbaines de la civilisation
arabe pré-islamique.
L’essor urbain musulman
Avec l’apparition de l’islam et son
expansion, la tradition urbaine se renforce puisque la conquête arabo-musulmane
va entraîner la création de ville nouvelles, de villes-camps comme Kufa ou
Kairouan, d’une part ; et le développement de centres anciens, en Syrie ou en
Iran, pour en faire de nouvelles villes musulmanes, d’autre part.
Entre le 7è et le 11è siècle ap.
J.C., l’espace islamique offre, par rapport au reste du monde, le spectacle de
villes énormes qui ne peuvent être comparées aux minuscules petites villes de
l’Occident chrétien.
Tout
en étant prudent sur les chiffres, on peut aisément imaginer que Bagdad
dépassait le million d’habitants, que le Caire (au 9è et 10è siècle) et
Samarkande (au 10è siècle) atteignaient 500.000 habitants.
Les capitales du califat musulman
assuraient plusieurs fonctions: administrative, militaire, judiciaire,
culturelle, commerciale et religieuse.
La formation sociale musulmane ne
fut certainement pas identique dans tous ses traits à travers l’ensemble des
régions de l’empire. Toutefois, on peut reprendre la typologie proposée par
Louis Gaudet dans «Les hommes de l’islam », qui parle de « milieux »
sociaux en proposant la répartition suivante : « milieu des cours et des
palais, milieu des « hommes de religion », milieu des lettres et des
savants auquel peut être joint tout fonctionnaire de rang élevé, milieu des
propriétaires terriens et des grands marchands ; viennent ensuite les
étudiants, les petits commerçants et artisans des souks et le peuple. »
D’une manière générale, les
non-musulmans furent bien acceptés par la société musulmane sans qu’il y ait eu
à proprement parler égalité dans les droits. On permit par exemple à des
chrétiens ou des juifs d’occuper des postes administratifs importants. De même,
les nouveaux convertis (mawali) d’origine non-arabe jouèrent un rôle
non-négligeable dans l’administration et dans la vie intellectuelle du califat
musulman.
En allant plus dans le détail des
composantes essentielles de la société urbaine musulmane, on peut distinguer
deux grands ensembles : l’aristocratie dirigeante ou « al’khâssa »
(élite) et le peuple ou « Al’âmma »(le commun des mortels). Le sommet
de la hiérarchie est donc formé par l’entourage du calife ainsi que les grands
commerçants et les intellectuels.
Le prince et son entourage vivent
relativement isolés dans des palais qui ressemblent à de véritables petites
villes. Les effectifs de la cour califale étaient nombreux puisqu’on y comptait
les grands officiers, le vizir, le commandant en chef de l’armée, le préfet de
police, le grand cadhi et enfin le personnel domestique constitué d’hommes
libres et d’esclaves.
Sous les drapeaux, on trouvait
essentiellement des turcs possédant une culture musulmane très légère et vivant
à l’écart de la population dans des quartiers séparés.
Les « ulémas » et les
« fukahas » avaient en charge les questions de la religion et de la
loi et servaient d’intermédiaires entre le pouvoir califal et le peuple. Ils
étaient généralement admirés et respectés pour leur connaissance du Coran et de
la « chariâ ».
Les commerçants sont généralement
tenus à l’écart du pouvoir politique malgré leur poids économique et leur
richesse. La plupart possédait d’ailleurs des propriétés foncières autour des
grandes villes et faisaient acte de bienfaisance en construisant à leur charge
des édifices religieux.
Le vocable « Al’âmma »
désignait le groupe social où peuvent être rangés les artisans qui n’occupaient
pas tous le même rang social. Leur position dépendait souvent du type
d’activité qu’il exerçait ; étant entendu que les orfèvres occupaient le sommet
des corporations artisanales, et les tanneurs le bas de l’échelle.
D’autres
métiers urbains étaient exercés par les couches modestes de la population :
porteurs d’eau, portefaix, gardiens de hammam, masseurs, conteurs, acrobates,
etc.
Signalons aussi que l’esclavage a
continué à exister en Arabie comme dans tous les pays islamisés bien que
l’islam ait recommandé l’affranchissement des esclaves et leur a conféré un
statut d’égalité quand ils adoptaient la religion musulmane. Selon leur ethnie,
les esclaves assurent des fonctions diverses : les noirs pour les services
domestiques, les slaves pour les métiers du divertissement et la garde du
harem, et enfin les turcs pour la fonction militaire.
La typologie urbaine
musulmane
1. Le premier modèle médinal
Le fait historique et le récit
mythique fondateur désignent Médina ou « Madinat En-Nabi » (la ville
du prophète) en Arabie comme le type idéal de la cité musulmane que tout
musulman doit respecter. Cette recommandation ne surprend point car c’est là où
le prophète Mahomet se réfugia et vécut, c’est là où les espaces ont été
modelés en respect des préceptes du Coran et de la « Charia »: des
habitations introverties qui enveloppent la Grande Mosquée (ou mosquée du
vendredi).
2. Des villes aux origines multiples
En dépassant la dimension mythique
et en examinant les facteurs qui ont présidé à la naissance des villes
islamiques ; l’on s’aperçoit que ces villes ont des origines multiples qui
peuvent néanmoins être ramenées à quatre variantes principales:
En premier lieu, le site naturel a
joué un rôle non négligeable. Dans ces contrées désertiques, la présence d’un
point d’eau, d’une oasis favorisaient souvent le regroupement d’une communauté
et l’implantation d’une ville. Les conditions climatiques et hydrologiques dans
ces lieux devaient constituer un pôle d’attraction pour les caravanes à la
recherche de villes-étapes et de marchés au cours de leur longue pérégrination
sur les routes commerciales de l’époque. C’est le cas de Samarra (Irak).
En second lieu, nous trouvons des
constructions militaires dénommées Ribats (citadelles ou forteresses) qui ont
vu le jour au cours de la guerre sainte menée par les troupes des
« moujahidines », et qui avaient pour rôle de surveiller et d’assurer
la possession des nouvelles terres
islamisées. Ces « Ribats » ont par la suite engendré de véritables
cités telles que Sousse, Monastir (Tunisie) et Rabat (Maroc).
Le troisième facteur qui a joué dans
la création d’implantations urbaines au cours des premiers siècles de l’islam,
sont les sites de villes anciennes grecques, romaines ou phéniciennes. Ces
dernières ont rempli la fonction de réserve de matériaux de construction
facilement exploitable ou joué le rôle de "fond de plan" pour la
trame urbaine de la ville islamique qui venait en « sur-impression »
de la trame antique comme à Alep (Syrie).
La dernière cause d’apparition d’une
concentration urbaine est spécifique aux régions rurales où les bâtiments
abritant la sépulture d’un saint (wali) ou marabout avaient tendance à
développer commerces, habitations et lieux d’hébergement pour accueillir les
pélerins de passage.
Enfin, dans certains cas la création
et le développement d’une cité islamique furent motivés par une combinaison des
facteurs cités plus-haut. L’abondance et la proximité de l’eau ayant très
probablement été un critère principal dans le choix d’un site dans cette zone
désertique vu la rareté des pluies.
3. La typologie et
la structure urbaines islamiques classiques
Les premiers voyageurs et les
premiers géographes qui se sont intéressés au monde musulman, ont vu dans les
villes qu’ils visitaient ou décrivaient un ensemble incohérent et anarchique.
Ainsi le géographe français De Planhol écrivait : « Il y a un paysage
urbain de l’islam fait d’un enchevêtrement de blocs mal aérés par un labyrinthe
de ruelles tortueuses et d’impasses obscures, de maisons basses... Par un paradoxe
assurément remarquable, cette religion à l’idéal urbain aboutit à la négation
même de l’ordre urbain ».
Cette vision européo-centriste de
« l’ordre urbain » qui ne voit rationalité, cohérence et hygiène que
dans les villes à plan orthogonal, a été évidemment bousculée par les
transformations politiques et culturelles survenues suite à la décolonisation
et à l’émergence d’aires culturelles anciennement dominées.
La ville musulmane, autrefois
traitée d’inorganique et d’anarchique, va petit à petit révéler qu’elle possède
une typologie et une morphologie urbaines particulières, qu’elle fonctionne
selon une logique et une organisation urbaine tout simplement différente de
celles d’autres villes.
De toutes les cités islamiques avec
chacune sa particularité régionale, son histoire et son site, on peut affirmer
faire ressortir des composantes urbaines qui sont autant de constantes et qui
nous font dire qu’il existe un plan-type de la cité islamique dont les éléments
essentiels sont les suivants :
*
Enceintes et portes de la cité :
L’entité urbaine islamique se
présente comme un tout bien délimitée et ceinturé à l’extérieur d’une enceinte
ou remparts interrompus seulement par de véritables « portes
urbaines » qui ouvrent sur un paysage rural sinon semi-rural. La silhouette
urbaine de la ville musulmane donne cette impression de l’espace clos et
convergeant vers un pôle central.
*
La Grande Mosquée ou mosquée de la « Khûtba » (du vendredi) :
Toutes les descriptions des villes
musulmanes ont mis l’accent sur un aspect ayant trait à la vie religieuse de la
cité, c’est la centralité de la Mosquée, qui ne signifie pas nécessairement le
centre géographique de l’espace urbain. Autour de la mosquée gravite le monde
des lettrés, savants et étudiants.
Université
et médersas s’agglutinent à ce pôle religieux pour associer au cultuel le
culturel.
La
proximité avec la Grande Mosquée confère aux espaces limitrophes des lettres
d’anoblissement déterminant ainsi la valeur des localisations et leur
ordonnancement.
La
contiguïté de tel métier et de tel souk avec la mosquée dépend donc de son
degré d’impureté et de pureté, tel que le Coran ou les hadiths le laissent
entendre.
*
Les pôles de production (ou souks) et de pouvoir :
Les souks se déploient donc à
proximité de la Grande Mosquée, spécialisés par métiers. Certains métiers
« polluants », dévalorisés socialement et économiquement, comme ceux
des forgerons, des tanneurs, des teinturiers et des potiers sont relégués à la
périphérie. Par contre, les marchands de parfums et d’encens jouxteront le lieu
de prière, puis viendront les tisserands de soie et les orfèvres travaillant
l’or et les pierres précieuses.
Chaque
souk porte le nom de la corporation artisanale qui l’occupe. Cette dernière a
ses propres règles, que nul « maâllem » (le maître) ou
« sanaâ » (apprenti) n’oseraient enfreindre.
L’« amin »(syndic) et le « muhtassib » (contrôleur)
dirigent la corporation et veillent à la qualité et à la conformité du produit
aux normes. Souvent les corporations entretiennent des relations avec des
confréries religieuses, redoublant les liens puissants entre le souk et la
mosquée et corroborant ainsi les paroles du Calife Omar qui aurait dit :
« En tout, le bazar marche d’accord avec la mosquée ».
Cette structure urbaine faite de voies principales
piétonnes sur lesquelles s’accrochent des pôles d’activité commerciales et
artisanales, débouche sur une forteresse ou une Kasbah espace du pouvoir
politique, administratif et militaire.
*
L’espace résidentiel :
L’essentiel de la cité islamique est
occupé par un tissu d’habitat alvéolaire et dense qui s’articule à un réseau de
rues et de ruelles ramifié et plus ou moins irrégulier.
Les
zones vouées à la fonction résidentielle, sont nettement séparées des artères
principales, et sont constituées d’unités d’habitations communément appelées :
maisons arabes.
Chaque
unité est composée d’un patio autour duquel s’ordonnent des pièces. La maison
est fermée sur la rue, l’entrée en chicane préserve l’intimité familiale, et
les toits-terrasses servent au séchage du linge, des denrées et facilitent les
contacts entre voisins.
Ce
tissu d’habitat intègre de même des équipements de quartier qui se répètent
dans les différentes « Houma » (quartier) : mosquée de quartier
(mesjed), fontaines, bain maure (hammam), école coranique (kuttab), moulins,
fours, etc...
*
Les jardins et les fondouks :
L ’importance de l’espace
végétal pour la cité islamique s’explique probablement par la tradition
coranique qui associe le jardin à la
projection du Paradis sur terre. La recherche du confort climatique dans une
zone aride et désertique a dû jouer aussi un rôle dans cette recherche, au
coeur et aux abords de la cité, de la présence de la végétation et de l’eau.
Ces deux facteurs, d’ordre spirituel
et matériel, ont favorisé le développement de jardins potagers et maraîchers
dans les zones périphériques de la cité d’une part, et de jardins familiaux
intra-muros, d’autre part.
En outre, la ville islamique abrite
à proximité de ses portes des « fondouks », à la fois dépôts de
marchandises et hôtels.
Choc colonial et
déstructuration des villes islamiques traditionnelles
1. La désarticulation sociale économique et
culturelle
Le système social dont faisait
partie intégrante la ville islamique traditionnelle était resté jusqu’à la fin
du 19è siècle relativement cohérent, articulé et orienté vers l’intérieur.
Mais
l’Occident et le capitalisme mondial, en phase de développement et d’ascension,
n’allaient pas tarder à intervenir dans cette région du monde et imposaient des
modèles culturels et socio-économiques qui allaient avoir des conséquences
profondes sur les sociétés traditionnelles musulmanes de l’époque.
La recherche par l’Europe de
nouveaux marchés afin d’écouler ses marchandises et de sources de matières
premières pour son industrie, allait entraîner des mutations irréversibles dans
l’économie urbaine des médinas touchés par le choc colonial.
L’artisanat qui était organisé sur
la base des corporations soumises à une hiérarchie stricte et qui utilisait des
techniques rudimentaires et archaïques, se trouvait avec la colonisation en
face de la concurrence brutale et sans précédent des produits manufacturés
venant des différentes métropoles coloniales occidentales.
Cette
irruption des articles et produits européens manufacturés ont eu pour
conséquence la ruine et le déclassement de l’artisanat traditionnel, donc le
dépérissement du nerf vital de l’économie urbaine de la médina.
Dans les campagnes, l’économie
rurale soumise à des opérations brutales d’expropriation des agriculteurs
autochtones et/ou à une modernisation des techniques d’exploitation importées
par les colons européens, n’a pas échappé, elle aussi, au processus colonial de
désarticulation. C’est pourquoi on voyait s’exacerber un mouvement intense de
migrations vers les villes où commençaient à s’installer les premières
entreprises européennes. Cette poussée migratoire, due essentiellement à une
crise sociale et économique des campagnes, n’allait pas trouver dans les
villes, et tout particulièrement dans le secteur moderne de l’économie
coloniale, des postes d’emploi suffisants. Cet exode rural eut pour corollaire
gourbivillisation des périphéries et la « ruralisation des médinas ».
La colonisation introduit l’espace
urbain des capitales musulmanes à une morphologie nouvelle ségrégative et
désarticulée que concrétisent généralement trois aires distinctes : la ville
européenne, la médina et les gourbivilles (zones d’habitat précaire ou
bidonvilles).
2. La désarticulation
urbaine:
C’est donc à la fin du 19è
siècle et au début du 20è siècle que se produisent dans les villes du monde
musulman de grandes transformations qui ont accéléré leur désarticulation
morphologique et la sclérose de leurs traditions urbaines et culturelles, au bénéfice
de l’expansion du modèle urbain européen.
Associé au modernisme, ce type de
développement occidental de la ville et de la société entraîne une
confrontation entre le moderne et le traditionnel. Une bipolarité qui
s’inscrira désormais dans le processus de développement des villes du monde
musulman tout au long de notre siècle.
Ainsi s’impose inexorablement le
germe d’un tissu urbain de nature différente qui s’étend rapidement avec la
ville coloniale. Ce premier dédoublement de la ville qui marque la rupture plus
ou moins volontaire avec la population indigène sa société et sa culture,
amorce le début du dépérissement de la médina.
Avenir des villes
islamiques et villes islamiques de l’avenir
1. Les premiers aménagements :
Dans le mouvement de planification
urbaine amorcé au début du 20è siècle
dans le monde, les villes musulmanes ont eu évidemment leur part. C’est dans la
majorité des cas, à l’initiative des puissances coloniales, qu’on a cherché à
faire pénétrer les colonies dans « la civilisation moderne » en leur
imposant un réseau urbain organisé de manière à bouleverser l’équilibre et la
hiérarchie des médinas traditionnelles.
Le système urbain islamique
possédait une cohérence propre qui ne cadrait point avec la conception et la
« rationalité » urbaines des architectes et ingénieurs débarquant de
la métropole coloniale. Souvent, la réalité urbaine des médinas a été associée
au « désordre urbain » et à l’absence de normes modernes de confort,
d’hygiène et de salubrité. On a donc cherché dans les plans d’urbanisme, soit à
les éviter, soit à les faire traverser par de grands axes de communication.
En outre, la dégradation de la
vieille ville s’accélera avec la destruction du système social et de l’économie
urbaine qui en sous-tendaient l’équilibre.
Il apparaît donc que les plans
d’aménagement proposés pour les villes islamiques durant la période coloniale
reposent tous sur le postulat que la seule référence en matière de modèle de
ville reste la référence occidentale.
En effet, considérer le mélange de
fonctions, la coexistence de modes de transport hétérogènes, la fourmilière des
marchands ambulants, le labyrinthe des rues non comme des signes du chaos mais
plutôt comme des réalités urbaines et culturelles spécifiques, signifiait aller
à l’encontre de la doctrine urbaine occidentale dominante de l’époque. C’était
même mettre en cause, la croisade civilisatrice des puissances coloniales
européennes.
2. Un héritage lourd
A l’indépendance, les pouvoirs
autochtones du monde musulman héritent de villes, surtout des capitales,
fortement marquées par leur dualisme qui s’exprimait à plusieurs niveaux :
* La dualité dans la centralité qui
a pour résultat l’existence de deux centres-villes distincts. L’un traditionnel
centripète, piétonnier et artisanal ; l’autre moderne multipolaire ou linéaire
regroupant équipements de loisirs, de commerces et souvent aussi les bâtiments
administratifs.
* La dualité morphologique : du côté
du centre historique, le bâti est « introverti », aggloméré, dense et
horizontal à l’exception des minarets des mosquées. Par contre la ville
européenne, les ensembles d’immeubles et de villas au style architectural
occidental irrigués par un réseau viaire automobile, forment un tissu urbain
plus lâche et plus tramé que le précédent.
* La dualité démographique et
sociale : les médinas ont tout au long de la colonisation assisté à un
processus d’interversion démographique et sociale. Les couches aisées, en
particulier les familles aristocratiques, ont quitté la ville traditionnelle et
se sont dirigées vers les nouveaux quartiers ; les ont remplacées des
populations pauvres des régions rurales et victimes de la modernisation de
l’agriculture traditionnelle.
* La dualité culturelle et politique
: c’est dans les médinas que le patrimoine urbain et architectural se perpétue
ainsi que le rythme quotidien que ponctuent le souk et la mosquée, la pratique
du commerce et de la religion.
Dans
la ville nouvelle, un mode de vie et de consommation résultant d’un mimétisme
occidental s’est installé. L’activité politique a elle aussi choisi en général
la ville européenne.
* La dualité fonctionnelle :
Concurrencée par les produits et les commerces européens, la médina a vu son
artisanat dépérir. Petit à petit dans plusieurs centres historiques la fonction
économique traditionnelle a été remplacée par l’activité touristique et le
développement d’un secteur informel de petits métiers urbains (revendeurs,
réparateurs en tout genres, récupération et recyclage de certains produits...).
3. Que faire des
médinas?
A partir des années 50 les
gouvernements des capitales du monde musulman sont devenus, en principe, maîtres de leurs choix politiques et de leur urbanisation. Ils ont donc été
confrontés à des médinas densifiées, sur-occupées et sous intégrées socialement
et fonctionnellement.
En un premier temps, la réaction des
élites nationalistes ne se distingue pas de l’approche européo-centriste qui a
associé l’inertie et les dysfonctionnements des villes islamiques à
l’arriération et au sous-développement.
Et ce n’est que plus tard, au cours
des années 70, qu’on a enregistré un renversement de la problématique et de la
méthodologie d’approche de la réalité urbaine du centre historique islamique.
Cette nouvelleoptique, expérimentée au cours des trois dernières décennies, va
envisager trois options majeures d’aménagement des médinas :
*La restauration et la conservation
qui accordaient la priorité aux édifices de valeur historique et
architecturale. La critique souvent avancée à ce type d’intervention est le
risque de « muséification » des médinas et de transfert de la
population résidente.
* La réhabilitation du tissu
traditionnel en le dédensifiant c’est-à-dire en relogeant une partie de la
population présente. On reproche à ce traitement son illusion de voir renaître
des modes de vie et des pratiques sociales séculaires et disparues à jamais.
* La requalification fonctionnelle :
consiste en une intervention sur ce qui fait la centralité de la ville tout en
repensant le rôle de la médina au sein du fonctionnement global de l’agglomération
contemporaine. Introduction d’activités nouvelles, désenclavement et
réaffectation de certaines édifices de la médina sont proposés dans ce sens.
En conclusion, on peut affirmer
qu’en dépit des problèmes qu’a rencontré et que rencontrent les centres
historiques des villes du monde musulman, il apparaît que ceux-ci présentent,
encore souvent, certaines conditions et certains atouts susceptibles de favoriser
leur réanimation et leur revalorisation.
Mais, un tel choix, s’il est pris,
nécessite la mise en oeuvre rapide de moyens budgétaires importants et des
décisions politiques et administratives courageuses et délicates afin d’enrayer
le processus de dégradation qui frappe les médinas.
Dans cette direction, la définition
d’une politique d’aménagement et de ses modes d’application n’est pas aisée
même si elle est nécessaire et urgente. La complexité du milieu urbain des
villes du monde musulman exige des mesures qui doivent en effet être adoptés
aux exigences nationales et locales des pays concernés qui n’ont pas tous ni la
même sensibilité au problème, ni les mêmes moyens pour le résoudre.
Les courants classiques de la
sociologie urbaine
Bien que le phénomène urbain plonge
ses racines très loin dans l’histoire de l’humanité, l’urbanisme en tant que
théorie et réflexion reste un domaine d’étude relativement récent. Cet état de
fait est dû au fait que les penseurs, d’avant la révolution industrielle,
considéraient la ville comme une image de la société et non comme une forme
particulière de vie sociale.
Cet obstacle d’ordre théorique et
épistémologique finit par disparaître sous l’impact des transformations
profondes qu’ont connu les villes avec la révolution industrielle. La
croissance urbaine n’est plus provoquée uniquement par la simple augmentation de
la population résidente, mais elle est de plus en plus déterminée par l’exode
des paysans attirés par le travail et le mode de vie citadin.
La sociologie urbaine, dans son
acception large, peut être ramenée à trois grandes écoles : allemande,
française et américaine.
Pour
donner une idée concrète du contenu des analyses urbaines représentatives de
chacune de ces écoles classiques, on étudiera tour à tour les théoriciens et
penseurs suivants :
*
Max Weber et Karl Marx pour l’Allemagne ;
*
Louis Wirth, et l’ « École de Chicago » ;
*
Enfin, Émile Durkheim et Henri Lefebvre pour l’école française.
L’École Allemande :
On peut dire que Max Weber fut
l’inaugurateur des écrits sur la ville grâce à son livre intitulé « La
cité ».
1.Weber et la ville
médiévale :
Weber définit la sociologie
comme étant « une science dont l’objet est de comprendre par
interprétation l’activité sociale pour ensuite expliquer causalement le
développement et les effets de cette activité ». Les sciences de l’homme,
dans sa conception, procèdent par interprétation, c’est-à-dire qu’elles
s’emploient à mettre en relief les relations significatives entre les
phénomènes. Cette recherche du sens, c’est ce qu’on dénomme « la méthode
compréhensive ».
L’objet propre de la « méthode
compréhensive » est de saisir le sens d’une activité et plus
particulièrement celui qu’un acteur individuel ou collectif donne à son action.
Afin d’éviter le psychologique,
Weber recommande la construction de « types idéaux : « on détient un
idéal-type, en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue et en
enchaînant une multitude de phénomènes isolés, diffus et discrets, que l’on
trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre, qu’on ordonne selon les
précédents points de vue choisis unilatéralement pour former un tableau de
pensée homogène ». Le véritable rôle donc d'un idéal-type est d’être un
facteur d’intelligibilité.
La ville médiévale intéresse
Weber dans la mesure où elle constitue un maillon important dans le
développement de la « rationalisation » et de la
« bureaucratisation » du monde occidental. La ville médiévale est
définie comme « un rassemblement de maisons attenantes en rang serré, qui
forme une agglomération d’un seul tenant, tellement vaste que le groupement
ordinaire et spécifique de voisinage, caractérisé par la connaissance
personnelle et réciproque des habitants, y fait défaut ».
Weber ajoute en plus les
caractéristiques suivantes pour définir la ville médiévale :
*
Au niveau politique « la ville constitue un centre administratif où des
représentants du pouvoir central exercent diverses fonctions politiques, de
police, judiciaires et autres ». C’est aussi « une place-forte
militaire où réside une garnison ».
*
Au niveau économique, « la ville est la localité où se tient un marché,
lieu d’échanges commerciaux avec la campagne environnante ou éventuellement
avec d’autres villes, parfois lointaines... elle est le lieu d’une activité
artisanale ou industrielle variée ».
Weber distingue par la suite les
« ville de consommation » des « villes de production » :
les premières étant essentiellement des villes de fonctionnaires ou de
personnes vivant quasi exclusivement de leur rente foncière. Comme il établit
aussi une différence entre « villes-princières » et
« villes-forteresse ».
Pour quelles raisons, Weber voit-il
dans la ville médiévale une entité particulière?
"Bien avant
que Ferdinand Tönnies ne systématise l'opposition entre communauté (Gemeinschaft) et société (Gesellschaft) comme
"catégories fondamentales de la sociologie pure" -c'est le titre de
son ouvrage de 1887 dont l'audience dut attendre la réédition de 1912 -,
l'emploi du terme communauté était courant en philosophie politique, de Hobbes
à Rousseau notamment. Communauté offrait déjà une référence organique
d'appartenance comme membre d'une collectivité de fait (communauté paisible)
alors que société suggère une participation contractuelle (association
économique, société civile) ; la société pourra ainsi être anonyme, la
communauté au contraire confère l'identité et se trouve chargée d'affectivité
(pathos dans le lexique de Max Weber). Communauté fonctionne comme définition
de l'endogroupe qui marque le partage d'appartenances et d'identification entre
"eux" et "nous", place donc les "autres" hors de
la communauté et peut même servir à l'exclusion (ex-communion /
excommunication). l'usage ordinaire renvoyait plutôt à la multiplicité des
communautés rurales qui étaient en même temps des communautés religieuses, et
en ville, aux communautés de statut confessionnel des minorités religieuses.
Parallèlement à
"société", la laïcisation marchande et urbaine a promu le terme de commune qui affirmera un intérêt commun
et une revendication de participation civique. Un glissement peut s'opérer de
commune (le mouvement des communes) à communauté ; il est en effet remarquable
que cette acception juridique et politique soit transposée de la communauté
urbaine, à la communauté nationale, et aujourd'hui aux communautés
multinationales, Communauté économique européenne notamment, communauté d'Etat
indépendants.
Les enjeux de
rivalité et de différenciation se pratiquent notamment dans le développement
urbain qui s'effectue par migration en recoupant ou recouvrant les
stratifications du travail et de l'habitat. Il se produit des effets de
stigmatisation des logements et des quartiers, de cloisonnement des pratiques
culturelles, d'exhibition ou de dénonciation des signes d'appartenance
communautaire, qui s'exercent certes en ville et dont rend compte la sociologie
urbaine ; mais la détermination de ces relations inter-ethniques ne s'en situe
pas moins dans le partage entre les nationaux et les étrangers selon une
hiérarchie complexe et mobile des immigrations et des jugements de valeur sur
les différentes communautés."
Rev.
Puriel - recherches, Vocabulaire
historique et
critique des relations
inter-ethniques, L'Harmattan, n°1
1993.
L’originalité de la ville
occidentale réside, selon lui, dans le fait qu’elle constitue « une
commune urbaine », au sens plein du mot, puisqu’elle ne jouait pas
uniquement le rôle d’un marché et d’une forteresse, mais elle jouissait d’une
indépendance ou du moins d’une autonomie, que Weber nomme
« autocéphalie ».
L’autocéphalie signifie que le
dirigeant, ou la direction du groupement, est désigné par une réglementation
propre au groupement, et non par une autorité qui lui est extérieure.
La ville médiévale pour qu’elle
puisse bénéficier de l’autonomie doit remplir les trois conditions suivantes
: la liberté de choix de ses autorités,
une constitution qui lui est propre et un droit de propriété.
En résumé, Weber caractérise la
commune urbaine médiévale par les cinq traits suivants
1.
Les fortifications ou remparts,
2.
Le marché,
3.
Un appareil judiciaire propre et, au moins partiellement, un droit propre,
4.
Le caractère d’un groupement,
5.
Et par conséquent, l’autonomie et l’autocéphalie.
D'autre part, Weber attribue une
importance énorme aux luttes sociales, dont le rôle, selon lui, a consisté à
faire passer la ville du joug des notables à la ville plébéienne.
Les classes sociales en présence
dont la confirmation va produire la commune urbaine médiévale sont :
* L’aristocratie ou la noblesse qui tire sa puissance des
possessions non urbaines, car elle repose en général sur les immenses terres
situées en dehors de la ville, de sorte qu’ils ne tiennent pas leur rente d’une
entreprise ou métier citadins.
* Le peuple formé essentiellement par des artisans.
Notons qu’au Moyen-Age, on assiste à
une véritable lutte des classes au cours de laquelle « les couches
inférieures de la ville trouvèrent souvent un appui chez les paysans de la
campagne environnante, soumis aux nobles et seigneurs terriens, habitant la
ville, et qui aspiraient à certaines libertés, par exemple, celle de chasser. La
commune libre, après sa victoire sur les grandes familles, a très souvent brisé
la domination foncière dans son propre intérêt politique, libéré les paysans et
introduit un libre mouvement de la terre au profit de spéculateurs disposant de
fonds nécessaires pour en acheter ».
Weber pense que cette vive tension
sociale fit naître dans les villes un type de démocratie basée sur des liens
professionnels et économiques, et parfois politiques en cas de conjuration
révolutionnaire.
L’étude de la commune urbaine
médiévale fut pour Weber une étape dans
sa tentative de compréhension et d’analyse de la nature de la ville.
C’est-à-dire qu’il s’agit pour lui d’aboutir à un schéma global et rationnel de
ce que doit être la cité, en dehors de ce qui existe effectivement, tout en
référant à l’histoire des villes et à l’expérience humaine.
Ainsi, Weber a voulu dépasser la
simple approche descriptive et historique des faits sociaux, pour la
constitution d’un modèle de vie sociale. On le critique souvent pour n’avoir pas
pris en considération le décalage en quantité et/ou qualité qui existe entre
les systèmes urbains concrets et la construction théorique qu’il en fait et qui
n’est en définitive qu’une image de l’esprit.
2. Marx et l’espace urbain
Karl Marx est un penseur qui est
loin d’être confiné à la sociologie, et son oeuvre concerne aussi bien
l’économie, la philosophie, la morale et la politique.
Il est difficile, si on ne veut pas
tomber dans une présentation réductrice, de résumer l’apport de Marx et les
concepts fondamentaux de sa théorie. Toutefois, on tentera dans cette partie de
présenter ce en quoi l’analyse de Marx est intéressante pour la sociologie de
la ville et du phénomène urbain.
La ville est saisie par Marx d’abord
dans ses rapports, dialectiques et contradictoires avec la campagne. La
séparation de ces réalités historiques, sociales et écologiques est considérée
comme la plus grande division du travail matériel et intellectuel. La ville est
l’espace où on trouve l’administration, la police, les instruments de
production et les équipements de consommation. Par contre, la campagne met en
évidence le fait opposé, l’isolement et l’éparpillement. Cette situation
explique que la ville domine la campagne et que leurs rapports prennent
l’allure d’une lutte de classes.
Marx insiste en outre sur le fait
que c’est dans la ville que se forme l’antagonisme bourgeoisie-prolétariat,
caractéristique des sociétés capitalistes et élément moteur de leur dynamisme
historique et social. En effet, la bourgeoisie se forme progressivement à
partir des petits noyaux de bourgeoisies locales, en lutte contre la noblesse,
et un prolétariat embryonnaire.
Pour illustrer ce processus, K. Marx
écrit dans « L’idéologie allemande » : « Avec la liaison entre
les différentes villes, les conditions communes se transformèrent en conditions
de classe. Les mêmes conditions, la même opposition, les mêmes intérêts
devaient aussi, grosso modo, faire naître les mêmes moeurs partout. La
bourgeoisie elle-même ne se développe que petit à petit, en même temps que ses
conditions propres; elle se partage à son tour en différentes fractions, selon
la division du travail, et elle finit par absorber en son sein toutes les
classes possédantes préexistantes... ».
A l’autre pôle de la formation
sociale la classe ouvrière subira, elle aussi, l’influence décisive de la
ville. C’est grâce à cette dernière que les ouvriers commencent à sentir qu’ils
constituent une classe sociale. Un processus de constitution en classe à partir
de serfs évadés, de paysans dépossédés par les guerres, les révolutions et les
expropriations.
Cette
masse de miséreux que les corporations et les manufactures naissantes étaient
incapables d’absorber, saisit l’occasion du développement du machinisme pour
former une véritable classe sociale : « ... le développement de
l’industrie, non seulement accroît le nombre de prolétaires, mais il les
concentre en masses plus considérables; la force des prolétaires augmente et
ils en prennent mieux conscience. » (Le Manifeste).
Enfin, pour Marx, la ville est
importante parce qu’elle concentre la main-d’oeuvre, la rend disponible,
améliore la division du travail et stimule donc la productivité. Étant un vaste
marché et carrefour, la ville est un élément indispensable à la réalisation de
la « plus-value » et à sa répartition : elle est le fondement même
des disparités régionales d’une société.
Une remarque s’impose c’est que K.
Marx n’a en fait que peu disserté sur le phénomène urbain d’une façon directe
et spécifique. La ville intervenait dans la théorie marxiste comme un facteur
explicatif, une variable parmi d’autres dans la construction théorique du
matérialisme historique et dialectique. Mais à la suite de Marx de nombreux
chercheurs ont utilisé sa problématique pour la développer et l’enrichir.
C’est en particulier le cas depuis
ces trente dernières années en France, où se sont multipliées les publications
traitant des problèmes de transformations du tissu urbain dans la société
industrielle avancée. Le centre l’intérêt de l’école marxiste concerne avant
tout les agents de l’urbanisation et les actions qu’ils développent par rapport
à la ville.
Les questions centrales posées par
les chercheurs marxistes sont du type : Quels sont les acteurs qui par leur
poids économique et politique pèsent sur le phénomène urbain ? Quels sont leurs
modes d’interventions ? Quelles stratégies utilisent-ils ? Quel sont les choix
et les enjeux de l’urbanisation ?
En réponse à ces questions, se sont
développées des études où le phénomène d’urbanisation apparaît directement lié
à la formation de groupes sociaux qui se différencient les un des autres dans
les rapports qu’ils entretiennent avec l’espace. Des travaux ont de même
cherché à démontrer tout le poids considérable des intérêts industriels et
financiers dans les opérations d’urbanisme et d’aménagement du territoire.
(voir aussi les paragraphe sur H. Lefebvre dans la partie « l’école
française »).
On peut citer pour le courant
marxiste français spécialisé en sociologie urbaine les auteurs et ouvrages
suivants :
* Henri Lefebvre : « Le droit à la ville »
* Manuel Castells : « La question urbaine »
* Nicole Haumont et H. Raymond : « Les
pavillonnaires » ; ainsi que la revue « Espace et Société », J.
Lojkine, E. Preteceille, C. Topalov...
L’Ecole Française :
Commencer la présentation de l’école
française par un auteur comme Émile Durkheim peut paraître étrange et inadéquat
pour les sociologues de l’urbain. Pourtant Durkheim, qui ne fut pas célèbre
pour ses écrits sur la ville, parla et analysa plus d’une fois les rapports
particuliers qui lient espace et société.
1. La méthode Durkheimienne :
C’est dans « Les règles de la
méthode sociologique » (1895) que Durkheim explicite sa démarche en
postulant que la sociologie est l’étude des faits sociaux dont l’explication ne
peut provenir que des faits sociaux eux-mêmes. Et pour pouvoir identifier
« le fait social », il note : « Est fait social toute manière de
faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte
extérieure ou bien encore qui est générale dans l’étendue d’une société donnée,
tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestations
individuelles ». A cette définition, Durkheim ajoute qu’« il faut
considérer les faits sociaux comme des choses » dont le sens ne peut être
découvert que par une explication de type objectif et scientifique.
C’est sur ces fondements que
Durkheim va bâtir tous ses écrits et analyses. Quant à l’étude du phénomène
urbain, elle n’a été développée dans la sociologie de Durkheim qu’implicitement
selon deux axes relativement indépendants l’un de l’autre.
Le premier consiste en un ensemble
de travaux mettant en relief le rôle fondamental de la ville dans l’apparition
de nouvelles formes de relations sociales.
Le second axe s’intéressa à faire la
sociologie de l’habitat dans ses aspects physiques et matériels. L’habitat
étant dans la terminologie de Durkheim un des aspects de la morphologie
sociale.
Mais il faudra la parution du livre
de Durkheim « La division du travail social » pour trouver les éléments
les plus intéressants de l’étude de la ville.
L’ouvrage commence par définir deux
types de solidarité : l’une est dite « mécanique » et l’autre
« organique ». Les sociétés archaïques se caractérisaient par le
premier type de solidarité ; par contre les sociétés modernes sont régies par
le second type.
Durkheim complète les attributs de
ces deux types de solidarité par le concept de « conscience
collective » qui serait un système de croyances et de sentiments largement
partagés par les membres d’un groupe social.
Dans les sociétés archaïques, la
conscience collective englobe et domine la majeure partie des consciences
individuelles. Ce n’est qu’à la suite de la différenciation sociale et de
l’émergence de la solidarité organique, que cette situation va se transformer.
S’impose alors la conscience individuelle en même temps que se développent
l’autonomie et la liberté des individus.
Dans quelle mesure la ville joue un
rôle dans cette mutation sociale ?
Durkheim
voit d’abord dans la division du travail le facteur qui explique le passage de
la solidarité mécanique à la solidarité organique. La division du travail étant
le résultat d’une combinaison de l’augmentation du volume, de la densité
matérielle et de la densité morale de la société. Le volume correspond au
nombre d’individus appartenant à une collectivité, la densité matérielle au
volume sur une surface donnée, et la densité matérielle à l’identification des
échanges et des communications entre individus.
En d’autres termes, et sans que
Durkheim l’énonce d’une manière explicite, la ville est pour lui l’espace où
s’est développé cette densité dans ses aspects matériels et moraux. C’est donc
le lieu où s’opère l’actualisation ou la concrétisation de la solidarité
organique.
Par conséquent, plus une société est
pénétrée par l’urbain, plus l’individu s’affranchit d’un certain joug
collectif, plus il émerge comme une personne. Cette analyse de Durkheim lui a
permis de développer un autre concept important pour l’étude des villes
contemporaines, c’est celui d’« anomie ». Étymologiquement, anomie
signifie troubles, anarchie et absence de lois. C’est le cas quand la
solidarité organique vient à manquer dans les sociétés modernes, quand l’ordre
social est déréglé et bousculé. .
Durkheim pense implicitement que ce
sont les villes contemporaines qui apparaissent comme les espaces privilégiés
d’expression de l’anomie, cela en raison de leur développement extrêmement
rapide et de la concentration brutale de masses humaines extrêmement
hétérogènes. Dans de telles réalités urbaines la solidarité est vite
concurrencée et remplacée par l’anomie.
Notons
que certaines situations récentes dans les grandes villes européennes ou
nord-américaines donnent toute son actualité aux analyses de Durkheim vieilles
d’un siècle.
En résumé, la pensée sociologique de
Durkheim, quand elle s’attaque au fait urbain, l’analyse principalement dans
son rapport à la société globale. Elle est de ce fait dans le prolongement de
la sociologie européenne classique qui considère le fait urbain comme une
problématique liée à des institutions, à des groupes, à un tout social régi par
une loi générale du développement : la ville serait l’expression d’un degré de
développement de la civilisation, à mettre toujours en rapport avec un système
de valeurs idéales. On perçoit d’ailleurs nettement chez Durkheim une sorte de
morale sociologique que dénotent ses développements sur l’urbanisation en tant
que facteur d’intégration sociale.
Une autre tendance de l’école
française, a tenté de traiter la problématique urbaine comme une problématique
spécifique. Son représentant le plus célèbre est sans nul doute Henri Lefebvre.
2. H. Lefebvre et la théorie de
« l’urbain »
Lefebvre chercha à fonder une
théorie de l’urbain dont l’essentiel du contenu fut développé dans son livre
intitulé : « La révolution urbaine ».
Pour H. Lefebvre, la ville est la
matérialisation sur l’espace-support, c'est-à-dire le sol, des rapports
sociaux. La société contemporaine est pour lui une « société
urbaine » générée par le long processus historique d’industrialisation.
Auparavant, on assista à l’enchaînement des réalités urbaines suivantes : la ville politique qui gérait un vaste
territoire, la ville marchande
médiévale où le commerce tient lieu de fonction urbaine, et enfin la ville industrielle où l’on aboutit à
une énorme concentration de la population et des moyens financiers techniques
et culturels. Ces différents moments de la réalité historique de la ville
correspondent à trois époques : le
rural, l’industriel, l’urbain.
Les dimensions de l’urbanisation
contemporaine laisse Lefebvre penser que l’urbain n’est plus seulement le
produit d’une autre réalité, d’une autre instance, il devient producteur ou
inducteur. C’est lui qui domine et s’impose à une époque marquée par ce
basculement vers la mondialisation de l’urbain.
Parallèlement, H.. Lefebvre n’oublie
point ses racines marxistes pour rappeler que les dimensions constitutives du
phénomène et de l’espace urbain sont les suivantes : la projection au sol des
rapports sociaux, le terrain de confrontation des intérêts et des stratégies
des acteurs sociaux, une pratique urbaine. De même il n’omet pas de critiquer
l’urbanisme le considérant d’abord et avant tout comme une idéologie qui
cherche à occulter la réalité des diverses stratégies dont l’espace est le
champ et l’objet.
Comme nous l’avons signalé au début,
l’originalité et l’importance des recherches menées par H. Lefebvre tient au
fait que ce sont des tentatives pour faire la « théorie de
l’urbain ». Cette démarche cherche à accorder un statut à l’urbain, dans
le champ des connaissances, au même titre que la psychanalyse, la linguistique
ou l’anthropologie.
L’Institut de sociologie urbaine où
H. Lefebvre eut à diriger un certain nombre de recherches, poursuivra
l’approfondissement de la problématique des expressions idéologiques de
l’urbain en abordant les thèmes du mode de vie de quartier. On peut aussi y ajouter
les travaux de l’équipe Raymond-Haumont sur l’« idéologie du
pavillonnaire ».
L’Ecole Américaine :
L’école américaine est l’orientation
la plus ancienne en sociologie urbaine, et l’« École de Chicago » en
est une référence incontournable et classique pour le nombre de travaux et les
thèmes traités se rapportant à « l’écologie urbaine ».
L'Ecole de
Chicago, à l'origine de l'écologie urbaine, n'est pas à confondre avec les
autres "écoles" de pensée qui ont vu le jour à Chicago. Ainsi, les
architectes, qui ont participé à la reconstruction de la ville après l'incendie
de 1871, et ont réalisé les premiers gratte-ciel, sont regroupés sous le label
"Ecole de Chicago". Les économistes monétaristes, partisans des
thèses néo-libérales de Milton Fridman (né en 1912) constituent également une
"école de Chicago".
Rev.
Sciences Humaines, Au coeur de la ville,
n°70 - Mars 1997
L’épanouissement de cette École est
à rapporter à l’explosion urbaine toute particulière que connaît Chicago qui,
de petite bourgade de 5000 habitants en 1840, devient une capitale provinciale
de 3,4 millions en 1930. Dans cette ville pluriethnique américaine en proie aux
maux sociaux de l’urbanisme moderne : conflits sociaux, ghettos, misère,
prostitution, délinquance juvénile s'inquiètent chercheurs et sociologues et
suscitent enquêtes, entretiens et méthodes d’interventions sur le terrain
social et urbain pour tenter de résoudre les pathologies de la ville.
1. Les modèles urbains de Wirth, Burgess, Hoyt, Harris et Ullmann
1.1.Louis Wirth, un des
représentants les plus célèbres de l’« École de Chicago »,
construisit un type idéal de la personnalité urbaine défini par
l’individualisme, l’agressivité, l’absence de participation à la vie sociale,
la concurrence interindividuelle.
La ville est pour L. Wirth une
collectivité relativement permanente, de grande dimension, dense et formée
d’individus socialement et culturellement hétérogènes. Quand la population de
la collectivité dépasse un certain seuil de croissance, sa nature et les
relations sociales en son sein changent : la différenciation sociale
s’accentue, l’anonymat augmente, le sentiment de liberté est plus grand.
Les travaux de L. Wirth ont
certainement suscité l’intérêt des chercheurs mais ont provoqué aussi critiques
et controverses. Ce qui a surtout été reproché à cette théorie, c’est l’idée
que la ville en tant que telle allait créer une culture nouvelle, que le
mouvement d’urbanisation allait donner lieu non pas à des groupes ou des
classes sociales, mais à la formation de types culturels.
Une des dimensions intéressantes des
recherches menées par l’« École de Chicago » est celle qui assimile
la ville à un milieu naturel auquel l’individu s’adapte et qu’il modifie à son
tour ; à un champ social où s’exercent des forces humaines et techniques qui
remettent sans cesse en cause son équilibre. Ces forces, au fur et à mesure de
leur adaptation, aménagent leur espace propre et donnent une configuration à la
ville dont les chercheurs de Chicago ont tenté de faire la typologie.
1.2.Le modèle
concentrique de Burgess: Pionnier de la
sociologie urbaine américaine, Burgess s’affirme dans les années 30 en
développant une typologie des zones urbaines en fonction des structures
familiales. Selon lui, la croissance des zones urbaines se déroule selon un
agencement en zones concentriques à caractères spécifiques et présentes dans
toutes les villes.
Il a décrit un modèle idéal composé
de plusieurs zones :
-
La première zone : zone centrale
C’est là où se positionnent les
centres de décision politiques administratifs et d’affaires, ainsi que les
équipements de commerces et de loisirs .
-
La deuxième zone : zone d’activités à caractère semi-industriel :
C’est la zone des marchés, magasins
de gros, activités portuaires qui côtoie généralement la zone centrale.
-
La troisième zone : zone de transition :
Dans le passé, elle était le lieu de
résidence de la petite bourgeoisie aisée ; actuellement, elle accueille les
populations émigrées et déviantes dont les moyens d’existence sont précaires.
C’est dans cette zone également que se concentrent les restaurants, les bars de
nuit, les maisons de jeux,...
-
La quatrième zone : zone de résidence pour ouvriers et employés :
Aux États-Unis, c’est dans cette
zone que vit la seconde génération des émigrants.
-
La cinquième zone : zone de résidence de la classe moyenne supérieure.
C’est la frange aisée de la
population qui occupe cette zone. On y trouve de même des immeubles à
appartements multiples, des maisons individuelles, des petits centres
commerciaux et d’affaires.
-
La sixième zone : zone suburbaine
C’est un espace caractéristique par
sa fonction essentiellement résidentielle.
Dans sa typologie concentrique de la
ville, Burgess fait remarquer que chaque zone tend à envahir la suivante, et
qu’il y a une lutte pour l’occupation de l’espace central. Cet enjeu de l’espace urbain met en mouvement
la structure interne de la ville à partir du centre : « les bureaux chassent les bourgeois,
les bourgeois chassent les ouvriers, la ville agit à la manière d’une
centrifugeuse qui rejette au loin les éléments les plus légers ».
Burgess nous montre aussi qu’à
chaque type de zone urbaine peut être associé un type de famille. Selon la
zone, on se trouve en présence de familles dont l’organisation interne et le
rapport de voisinage est différent.
Dans la zone centrale et de
transition, c’est la famille de type traditionnel (autorité paternelle et
division stricte des rôles) ouverte sur le voisinage qui domine. Dans les zones
plus éloignées, on trouve des familles dont l’organisation interne est beaucoup
plus floue, plus souple, des familles de type égalitaire (répartition peu
stricte des rôles) à contacts peu fréquents avec le voisinage. Et dans la
grande banlieue, c’est la mère qui marque de sa présence le fonctionnement du
noyau familial vu l’absence prolongée du père sollicité par le travail et la « navette »
quotidienne ou le déplacement « pendulaire ».
Nous constatons donc que pour
Burgess, le tissu urbain n’est pas homogène sociologiquement et il existe un
rapport complexe et subtil entre le type de famille et la zone habitée.
1.3.Le modèle sectoriel de Hoyt : Il
s’inspire des développements entamés par Burgess dans ses travaux, tout en s’en
écartant quelque peu. Pour lui, la ville se développe rarement selon des formes
concentriques, mais plutôt suivant des secteurs différents découpés en arcs de
cercles.
Le moteur du développement urbain
pour Hoyt, c’est la classe dirigeante et le comportement d’initiation qu’adopte
les catégories moins aisées à la recherche du prestige social.
L’auteur s’intéresse principalement
aux résidences et aux choix de localisation des familles. Ses conclusions
proviennent d’enquêtes empiriques poussées de relevé des loyers qui lui
permettent d’établir des cartes en vue de relever les mouvements des loyers, le
sens des directions des loyers élevés. Il s’aperçoit qu’au départ de ces choix,
se placent des considérations d’ordre écologique.
Ainsi les zones à loyers élevés se
situent généralement dans des terrains situés le long de la mer ou de rivières,
dans des zones ouvertes et à proximité d’emplacements
« privilégiés », de résidences de notables. La proximité de ces zones
des voies rapides de circulation leur permet un accès facile au centre ville.
D’autre part, Hoyt note que tous les
secteurs urbains connaissent des moments d’apogée dont les traits
caractéristiques sont : catégories sociales supérieures, population active et
jeune, loyers chers, enfants en bas âge. Mais cette situation peut aussi connaître
une sorte de dépérissement avec le phénomène de vieillissement de la génération
qui se manifeste par le départ de la population jeune, l’entretien moins suivi
de l’habitat et la dégradation du cadre bâti. Quand les résidents d’origine
disparaissent, ils sont remplacés par des catégories moins favorisées et non
par leur descendance.
1.4. Le modèle polynucléaire de Harris et
Ullmann : L’originalité de l’apport de Harris et Ullmann réside dans le
poids qu’ils accordent aux aspects économiques de la structuration des villes.
La croissance de la ville selon nos deux auteurs
se fait selon plusieurs noyaux ayant chacun sa propre dynamique. En fait, la
structure et la lisibilité urbaines deviennent complexes : certaines fonctions
se rassemblent, d’autres se dispersent.
En d’autres termes, dans toutes les
agglomérations urbaines, il y aurait des noyaux multiples avec leur propre
développement. De cette dynamique, Harris et Ullmann essaient de dégager des
lois qui s’inspirent de l’économie politique où le sol est considéré comme une
marchandise.
A partir des lois propres aux
localisations des activités dans les villes et du modelage incessant du tissu
urbain, les deux auteurs distinguent un certain nombre de noyaux urbains :
- Le noyau central : il subit un compartimentage et une segmentation de plus en plus
prononcés de son espace (quartier des affaires, quartier des commerces,
quartier des cinémas, quartier des marchés,...)
- Les noyaux des
entrepôts, industries, commerces de gros : Ils sont
situés à l’origine près des centres villes, mais peuvent se déplacer vers la
périphérie.
- Les noyaux des
industries lourdes :
- Les noyaux de
résidence : ils peuvent se développer d’une façon autonome à l’intérieur du
noyau urbain.
- Les noyaux
mineurs : ils peuvent convenir à n’importe quelle vocation (noyaux
universitaire, commercial, récréatif).
- Les noyaux
satellites : qui peuvent se développer de façon relativement autonome.
Ce modèle de croissance urbaine est présenté par certains
comme celui de l’avenir de nombreuses villes européennes : le travail à
domicile rendu possible grâce à l’emploi de l’ordinateur est supposé favoriser
la dilution de la ville.
L’URBAIN DANS SES INTERACTIONS
AVEC L’ESPACE ET LA
SOCIETE
Les acteurs de la ville
On peut partir d’une idée toute simple, c’est que
l’urbain est un creuset qui accueille une structure matérielle et une société
organisée dont les individus véhiculent des idées, des attitudes et des
comportements déterminés.
Pour connaître cette population urbaine (regroupement
d’individus), on a d'habitude recours à
une série de critères considérés pertinents par les chercheurs : critères démographiques,
socioprofessionnels, géographiques, ethniques,... Cette façon d'opérer a
l’avantage d'identifier dans la collectivité urbaine ce qui peut se révéler
homogène (communauté), par rapport à certains de ces critères, et hétérogène,
par rapport à d’autres.
Les individus et les ensembles ainsi identifiés sont
simplement situés ou positionnés dans l’urbain. Encore faut-il voir de quelles
manières ils entrent en communication et en relation. Ce n’est qu’à partir de
ce moment-là qu’on pourra véritablement parler cohérence et de solidarité de
groupes étant donné qu'on aura saisi la nature des liens sociaux privilégiés
(alliance, parenté, sociabilité) qui structurent ces groupes.
L’autre aspect qu'il faut aborder lors de l'étude de la
population urbaine, c’est son aspect dynamique.
En effet, les groupements urbains changent par rapport à
trois données : l’espace, le temps et les rapports sociaux. Il faut donc
prendre en considération cette spécificité dans l'étude de chaque collectivité
urbaine pour pouvoir ressortir le type de mobilité sociale et spatiale qui la
caractérise.
L’espace urbain
La première réalité qui se présente à tout observateur de
la ville, c'est l'espace qui supporte les acteurs et les activités de la
société qui l'occupe. Le poids et le rôle que joue cette réalité spatiale dans
la dynamique urbaine ont souvent interrogé tous ceux qui ont cherché à
maîtriser sur le plan théorique et méthodologique la problématique urbaine.
On admet généralement que l’espace, quel qu’il soit,
porte les stigmates, les traces ou les marques des hommes qui l’occupent. Cette
affirmation s’applique également à la ville qui a donc une configuration qui
est le reflet de la société qu’elle accueille en son sein.
Mais il faut attirer l’attention sur l’aspect
relativement réducteur de ce type d’affirmation qui risque de présenter
l’espace urbain comme une surface d’enregistrement totalement neutre des
structures et des activités sociales.
Durkheim note d’ailleurs qu’il est préférable de parler
de “symptômes” que de “reflets” de la vie sociale lorsqu’on veut définir ce
qu’on entend par “structures morphologiques”(la ville est une structure
morphologique).
Le même auteur qualifie de “morphologiques” les faits
sociaux qui se cristallisent pour former des substrats relativement
stables.Dans ce sens, l’espace urbain est un produit social. Mais on
négligerait les autres facettes de sa réalité si on ne signalait qu’il est de
même:
* un milieu
spécifique qui met en présence les citadins avec leur environnement
physique sur lequel ils agissent mais dont ils sont, en quelque sorte, aussi le
produit.
* un enjeu entre différents acteurs de la ville qui usent
du culturel, du symbolique ou du
politique pour gagner la compétition pour le contrôle du sol urbain.
Les acteurs et les agents
de la vie urbaine.
Quand on parle de la dynamique et des transformations de
l’espace urbain, on se pose en même temps la question de l'origine de ce
phénomène. Et la réponse, on la cherche parmi les individus et les institutions
qui sont censés être intéressés par la ville et ses enjeux.
Le terme convenu pour désigner ces animateurs de la
"scène" urbaine est celui d'"agents urbains".Ces derniers
pouvant être formés d’un regroupement de personnes impliquées dans des
relations de rôles avec d’autres intervenants, qu’on appelle acteurs.
Les agents des villes sont donc soit des personnes
physiques, soit des entités collectives (ou les deux à la fois) engagés dans un
contexte urbain et intéressés par les enjeux et les usages dont ce contexte est
l’objet.
On distingue deux types d'agents urbains: les agents
privés et les agents publics.
1. Les agents privés
Quand une entité collective ou individuelle engage une
action dans la ville et entraîne un certain nombre d’effets sur le devenir de
celle-ci; c'est un agent privé.
L’exemple le plus courant d’agents privés est donné par
les promoteurs et constructeurs qui interviennent sur la ville. Mais ce ne sont
pas les seuls puisque, par extension, on peut dire que tout promoteur dans les
secteurs industriel, commercial ou tertiaire a des intentions sur l’espace
urbain et vise donc à lui donner une forme et un contenu spécifiques.
2. Les agents publics
La mission de toute puissance publique est la défense de
la collectivité et de l’intérêt général. Elle exige donc que les agents privés
se soumettent à son contrôle et à son autorité puiqu'elle est, en principe,
l'émanation et la représentation de la volonté générale de la société.
L’action des pouvoirs publics sur la ville est donc
double étant donné qu'ils considèrent l’espace urbain comme objet et
instrument. Ceci implique que ces agents publics utilisent la ville pour exercer leur pouvoir
et ils interviennent sur la ville pour concrétiser leur politique.
Parmi les agents collectifs publics des villes, on peut
citer les agents municipaux qui assurent un contrôle social typiquement urbain
et font partie d’institutions qui jouent un rôle d’intégration à la ville.
Il y a aussi les agents des services locaux des
administrations centrales qui détiennent leur pouvoir des collectivités
locales.
Il existe aussi dans une ville un certain nombre d’autres
acteurs qui sont impliqués dans la dynamique urbaine par le biais des
compétences, des jugements, des savoirs ou des représentations qu’ils ont sur
ou de la ville.
C’est le cas de l’habitant, du politique ou de l’expert
qui sont intéressés, chacun à sa manière et en fonction de sa “spécialité”, par
les processus et les changements urbains.
Entre les différents types d’agents urbains précédemment
cités, il s’établit des relations déterminées qui vont retentir sur le mode de
gestion de la ville, les formes d'intégration des comportements et les
processus de participation des personnes formant la collectivité urbaine.
Il n’y a pas un agent urbain qui a le privilège exclusif
de l’action et de la réaction vis-à-vis de la transformation de l’espace
urbain.
Pour bien saisir les modalités de
fonctionnement de la ville quand elle est soumise à l'action des différents
agents urbains, il importe d'analyser les multiples interactions qui s’établissent
entre les trois modes d’existence suivants de la ville: les pratiques urbaines,
l'organisation institutionnelle et la structure spatiale.
Dynamique
de la population et dynamique de l’urbanisation
Jamais dans l’histoire les homme n’ont été aussi mobiles dans leur
vie quotidienne. Il est donc nécessaire d'engager une analyse de la mobilité si
l'on veut connaître les comportements de déplacements et comprendre les
déterminants de la mobilité.
"De l’après-guèrre au
début des années soixante-dix, la représentation dominante de la mobilité est gravitaire : les
zones de l’espace s’attirent en fonction de leurs différences de potentiel
(résidences ici, activités là) et de la résistance du milieu (les coûts
généralisés, monétaires et temporels, de la migration). L’objet n’est ni la
personne ni son déplacement, mais le flux. Souvent qualifiée de « physique
sociale » par ses détracteurs, l’approche sera aussi critiquée dans ses
modes opératoires : caractère exogène de la motorisation et de
l’urbanisation, logique causale sans rétroaction.
La fin de l’urbanisation
massive, l’émergence de problèmes nouveaux (choc pétrolier, révoltes
d’usagers), les succès - dans d’autres domaines - d’un marketing qui intègre
les différences d’attentes des consommateurs mettent alors la personne au
centre du dispositif.
Un premier courant, dérivé
de la théorie du consommateur, d’essence micro-économique et psychométrique,
met l’accent sur les attributs fins du déplacement : traitements
différenciés des temps de parcours, d’attente, d’accès, échelles de confort,
d’attente, d’accès, échelles de confort, de fiabilité, participent à la
définition d’une fonction d’utilité qu’il s’agit de maximiser.
Un second courant, celui de
la géographie du temps et des programmes d’activités, vise moins à quantifier
des relations simples qu’à documenter le champ des relations possibles, leur
formation, leur combinatoire : la demande de transport est explicitement
reconnue comme dérivée de la réalisation d’un programme d’activités, activités
elles-mêmes situées dans l’espace et le temps (rythmes familiaux et temps
sociaux). A la logique d’optimisation individuelle de l’approche économétrique
répond une logique d’appréhension des univers possibles... et des schémas
irréalisables. Les formalisations ici ne sont pas très éloignées des logiques
des systèmes à base de connaissance . Stimulante parce qu’elle révèle à la fois
des capacités d’adaptation insoupçonnées, mais aussi des contraintes
jusqu’alors non prise en compte, cette approche s’avère féconde pour la
conception de modifications marginales du système, mais bute sur le passage du
microsocial au macrosocial, sur l’extrême diversité des programmes d’activités
dans les sociétés modernes. Elle apparaît en outre, comme les approches
économétriques, trop statique et trop dépendante de la structure des espaces,
elle-même fortement dépendante des capacités de mobilité de la population.
Dans la seconde moitié des
années soixante-dix, la question de la transformation de l’urbanisation par la
mobilité et de la mobilité par l’urbanisation recevra une réponse théorique.
Enoncée brutalement, elle postule que la mobilité évolue de telle sorte que les
progrès de la vitesse qu’offrent la technologie et l’investissement sont
utilisés par les personnes pour augmenter la portée spatiale de leurs
déplacements, dans la limite d’un certain budget-temps (maximum qu’une
population considère comme normal de passer en déplacement) et d’un certain
budget monétaire (fraction caractéristique du revenu."
Jean-Pierre
Orfeuil, L'analyse de la mobilité,
in LA VILLE, CNRS n°81, 1994.
Commençons par dire qu'on peut ranger sous le vocable de mobilité spatiale "tout déplacement
de la population dans l’espace physique, quels que soient la durée, la
distance, les moyens utilisés, les causes et les conséquences de ce mouvement.
Ainsi définie, la mobilité spatiale englobe les migrations de tous types, les
mouvements pendulaires, la mobilité résidentielle, le tourisme, les voyages
d’affaires, les déplacements inhérents à la vie quotidienne comme les achats, la fréquentation deq équipemet
(écoles, cinémas, centre socio-culturels, etc.) ou la rencontre d’autres
personnes (amis, famille, connaissances, parents, etc.)."
Il est aujourd'hui admis que la mobilité transforme l'urbanisation
en même temps qu'elle est transformée par elle.
En effet, la mobilité évolue de telle sorte que les progrès de la
vitesse qu’offrent la technologie et l’investissement sont utilisés par les
personnes pour augmenter la portée spatiale de leurs déplacements, dans la
limite d’un certain budget-temps (maximum qu’une population considère comme
normal de passer en déplacement) et d’un certain budget monétaire (fraction
caractéristique du revenu).
On constate également que toute entité urbaine contient des éléments
fixes et des éléments mobiles qui mettent en relation les diverses parties de
la ville.
Parmi les éléments fixes, on peut citer les immeubles à vocation
résidentielle, économique ou mixte ainsi que les zones d’activités et
d’habitation (fixité relative).
Les éléments mobiles sont représentés par les échanges qui ont lieu
entre les différents secteurs de la ville et les mouvements de la population
résidente.
Toute organisation urbaine est par conséquent une association de la
stabilité et de la fluidité, de l’immobilité et de la mobilité des différentes
composantes de la ville.
Les mobilités urbaines
Bien sûr, faire état de la dynamique urbaine ne suffit pas à rendre
compte de la dialectique d’une ville. Encore faut-il saisir la logique des
acteurs, les intentions des résidents d'une part, et les déterminants structurels, les
tendances objectives et lourdes d'autre part.
Pour cette raison, il est préférable de parler de mobilités (au
pluriel) pour signaler qu’elles sont de nature différente. La construction de
cette typologie des mobilités est rendue possible grâce à la délimitation des
facteurs ou des objectifs qui se trouvent en amont ou en aval de cette
mobilité. Facteurs qu'on ramène généralement aux quatre variables suivantes: la
migration, le travail, la résidence et le statut social.
1.La mobilité géographique
La mobilité géographique est la plus importante parmi les mouvements
de populations urbaine. Elle couvre aussi bien le phénomène d’immigration que
d’émigration et doit être considérée comme la résultante de ces deux forces.
De ce point de vue, on peut affirmer que la mobilité est un flux
total qui laisse stable, durant une période déterminée, une proportion plus ou
moins grande de la collectivité urbaine.
Souvent, la populations stable joue un rôle prépondérant dans les
affaires publiques et occupe des
positions privilégiées dans la hiérarchie sociale en comparaison avec la
population fluide et mobile.
A l'intérieur de cette dernière, on trouve des sujets d’origine
rurale qui sont souvent plus jeunes que leurs homologues stables.
Il existe très peu d’échanges sur le plan social et sur le plan
géographique entre noyau stable et marge instable de la population urbaine. Les
deux types de collectivités s'ignorent et les citadins qui ont de vieilles
racines dans la ville sont les plus imperméables, socialement parlant, aux
nouveaux arrivants.
2.La mobilité professionnelle
Quant on s’interroge sur les flux de mobilité que l’on observe dans
un cadre géographique donné, on note souvent que les caractéristiques de
l’appareil productif ont une influence notable sur cette mobilité qu’on désigne
par mobilité professionnelle.
Le binôme qui est souvent le plus pertinent dans l’analyse des
mobilités professionnelles, est représenté par les deux entités domicile et travail.
En effet, il est indéniable que
les carrières professionnelles interviennent lourdement sur les facteurs
de mobilité ou d’immobilisation
résidentielles.
Ce lien entre emploi et domicile est très inégalement marqué selon
les groupes sociaux et les contextes locaux.
La délocalisation, la reconversion,
le chômage, la recherche d’emplois sont autant de phénomènes actuels qui
infléchissent très directement les mobilités résidentielles des citoyens en les
impliquant dans un tissu complexe de déterminants objectifs et subjectifs
(caractéristique du bassin d’emploi, opportunités, âge, situation familiale,
...).
3.La mobilité sociale
Elle signifie la position acquise par une ou plusieurs personnes par
référence (ou en comparaison) à celle qu’occupait dans le passé leurs
ascendants. Cette translation verticale qui affecte les individus sur l’échelle
sociale ne prend donc son sens que lorsqu’elle est rapportée au point de
départ, c'est-à-dire au milieu d’origine.
La mobilité sociale ne fait pas intervenir les déplacements dans
l’espace physique bien qu’elle induit largement des phénomènes comme la
localisation du domicile ; mobilité résidentielle et mobilité sociale sont
deux variables à très forte interdépendance.
4.La mobilité résidentielle
Elle concerne les positions successives qu’occupent les membres
d’une collectivité urbaine en passant d’une unité résidentielle à une autre.
On utilise aussi le terme de « trajectoires
résidentielles » pour indiquer que cette mobilité a un sens. La préférence
accordée à la notion de trajectoire en lieu et place de mobilité, implique
qu’on considère qu’une suite donnée de localisations ou positions successives
du domicile dans la ville n’est pas le simple fait du hasard, mais représente
un enchaînement logique.
De cette manière, la mobilité-trajectoire résidentielle peut faire
l’objet d’une interprétation qui cherchera à mettre en lumière les raisons qui
amènent les acteurs à prendre la décision de changer de logement.
"
La
mobilité sociale, même différée d'une génération sur une autre, nécessitée par
les changements de composition démographique de différentes catégories de
travailleurs dont a besoin la production, institue une dialectique dans
laquelle la distinction d'un groupe à l'autre passe non seulement par
l'habitat, mais où l'habitat devient un élément de classification. Il doit par
conséquent offrir la possibilité d'une maîtrise de l'appropriation des signes
distinctifs, condition nécessaire du passage d'une catégorie à une autre. On ne
peut comprendre ces différences dans la typologie architecturale, en tant que
distribution des signes distinctifs du statut social dans l'habitat, si on ne
prend pas en considération le fait capital que la transformation de la morphologie sociale ne peut s'opérer que par le
passage d'un mode d'habitat à un autre, à partir du moment où la
qualification des sujets sociaux en tant que producteurs industriels est réglée
par des éléments du mode de vie et non pas seulement par le type de tâche à
accomplir dans la production. Les types d'habitat et la place qu'ils prennent
dans l'espace urbain ne sont plus simplement la trace de modes de vie et de
conditions d'habitation différents, ce sont aussi des moyens, des instruments
de la promotion sociale, et qui supposent à ce titre de devenir des biens arborés,
appropriés et capitalisés en vue non plus seulement de signifier sa position
statutaire, mais de la constituer.
Classeurs classés par leurs
classements, comme le dit Bourdieu, ces différentes catégories de main-d'oeuvre
vont user des signes distinctifs dans l'habitat comme d'un moyen leur
permettant de se situer les unes par rapport aux autres dans une organisation
sociale où la reproduction de la structure sociale n'est possible que dans une
transformation de la morphologie, où le changement de position est possible et
valorisé en tant qu'ascension sociale. L'habitat doit donc offrir la
possibilité, par le rôle qu'il joue dans la production et la signification des
statuts sociaux, de se parler et se lire comme un langage à la disposition de
tout le monde, ce qui suppose que l'espace urbain et les types d'habitat, tout
en évitant une trop nette ségrégation qui créerait des barrières insurmontables
d'une catégorie d'une condition sociale à une autre. C'est cet échange pratique
et symbolique qui est en jeu dans le rapport entre la morphologie sociale et la
morphologie urbaine double lieu des luttes de classement dont les règles ont
été fixées au départ par le patronat. Ce que Devillers appelle le
"réinvestissement d'un espace urbain" et où s'inaugure la création de
nouveaux quartiers organisés de façon rationnelle, correspond à la mise en
oeuvre d'un espace programmatique destiné à régler le fonctionnement de la
morphologie tant urbaine que sociale.
J.P. Frey, Le Creusot société et urbanistique patronale,
in Anthropologie
de l'espace de F. Paul-Lévy et M.
Ségaud, 1983.
En matière de mobilité résidentielle comme pour d’autres types de
mobilité, la description du phénomène doit être accompagnée d’une analyse qui
permet de rendre compte du poids du subjectif et de l’objectif, des projets
individuels et des contraintes extérieures qui délimitent la marge de liberté
dont dispose autant les individus que les groupes sociaux dans leurs mouvements
dans l’espace urbain.
En résumé, on peut dire qu’un type de mobilité urbaine ne peut être
envisagé sans les interférences qu’il a avec d’autres formes de mobilité.
Posée ainsi la question des mobilités nous renvoie immédiatement à
l’analyse des processus qui mettent en jeu tout à la fois les dimensions
subjectives et interpersonnelles, des lieux géographiques et des statuts
sociaux.
Mobilité et intégration
L’un des effets les plus significatifs de la mobilité sur l’urbain
nous est donné par le degré et le mode d’intégration collectif des groupes
sociaux intéressés par cette mobilité.
Le premier constat qu’on peut faire est que le rapport numérique
entre population stable et population mobile et l’intensité de la mobilité ont
une conséquence directe sur l’intégration collective.
"D'un point
de vue étymologique, l'intégration -
action ou processus - signifie rendre complet, achever ou rétablir
"l'entièreté".
Elle désigne, en
philosophie et dans les disciplines scientifiques, l'établissement
d'interdépendances étroites entre les parties d'un ensemble, mais aussi le
processus intellectuel de réunion, dans une conception et une compréhension
uniques, d'éléments séparés ou distincts (théories, phénomènes, faits...).
Appuyant la constante métaphore biologique appliquée aux faits sociaux, Lalande
la définit comme interdépendance "entre les parties d'un être vivant, ou
entre les membres d'une société" (Vocabulaire de la philosophie).
Dans le langage
courant, enfin, l'intégration est généralement envisagée comme le mouvement qui
fait entrer la partie dans le tout, qu'il s'agisse d'éléments matériels ou
d'une démarche intellectuelle. Comme d'ordinaire, la langue de tous les jours
ne distingue pas clairement les mots de sens voisins, et tend à rendre
équivalents, par exemple, intégration et incorporation ou assimilation."
Rev.
Puriel - recherches, Vocabulaire
historique et
critique des relations
inter-ethniques, L'Harmattan, n°1
1993.
La mobilité donne peu de chance aux relations sociales et aux
interactions de se développer, étant donné les difficultés rencontrées par le
citadin instable pour nouer des contacts. La collectivité urbaine à forte
mobilité est une collectivité à faible dynamisme car la frange instable de la
population est rarement intéressée par ce qui se passe dans une cité à laquelle
elle ne s’identifie pas.
Si la mobilité s’accroît, le risque est de voir une frange
importante de la population pratiquant la rémigration dans une ville se sentir étrangère et parfois même en
situation de rupture ou de conflit avec le petit noyau stable et intégré de la
collectivité. La cohésion collective et l’ordre social sont alors très
profondément atteints, la désorganisation sociale s’accroît, l’individualisme
s’installe en même temps que le désintérêt et l’absence de participation aux
affaires de la cité.
Si la mobilité est basse, on peut supposer que les petits groupes de
migrants vont finir par se stabiliser et aboutir à la
« cristallisation » de l’urbain, à la constitution d’une ville
capable d’intégrer des populations, des activités et des espaces.
L’intégration serait donc la dynamique qui fait pénétrer une partie
dans un tout et l’état de cohérence résultant de cette dynamique.
Le flou sémantique qui entoure la notion d’intégration nécessite
qu’on délimite le sens qu’on lui attribue en distinguant les différentes
échelles d’organisation sociale (groupe, classe, société, ...) et de structure
urbaine (quartier, village, ville,...) concernées par cette intégration.
Quand les collectivités urbaines sont des petits groupes sociaux
particuliers, des communautés aux contours bien délimités; nous sommes en
présence d’espaces urbains occupés qui servent à la fois de supports et
d’instruments pour renforcer l’identité du groupe.
Les pratiques qui se développent dans ces entités urbaines
renforcent la solidarité du groupe, son idéologie (références à des valeurs et
des normes) et cherchent à véhiculer tous les signes qui aident à distinguer socialement le groupe de ses
voisins.
Certains quartiers de la ville jouent ce rôle quand on y relève un
peuplement homogène, des modes de vie qui se rapprochent, une vie de quartier
intense et une forte identification territoriale.
Les réseaux des sociabilités et d’entraide ainsi que le contrôle
social du voisinage sont fortement développés dans ces espaces qu’on désigne
souvent par le terme de « quartier-village ».
Dans la mesure où les migrants en ville retrouvent leurs
compatriotes ou leurs coreligionnaires, ils sont protégés du choc culturel
« désorganisateur » de la ville « étrangère » qu'ils
perçoivent, à tort ou à raison, hostile à leur arrivée.
Ce type de quartier qu'on appelle communément ghetto, va donc jouer
un rôle de « relais » qui facilitera l’intégration par étapes de ces
populations à la société environnante.
Souvent d’ailleurs, l’émigré « intégré » cherchera plus
tard à quitter le ghetto pour s’installer ailleurs et se fondre dans la société
d’accueil.
Ce départ est facilité par la mobilité sociale du groupe extra
-communautaire et par le changement des comportements et des attitudes de la
société autochtone à l’égard de ses « immigrés ».
A l'autre pôle de la société et de la ville, un type de
territorialisation urbaine nous est donné par ce que l’on appelle les
« beaux quartiers » où se cantonnent des groupes sociaux
« privilégiés » qui cherchent à préserver signes de distinction
sociale et emplacements urbains valorisants et prestigieux.
Dans tous les cas de figure la mobilité urbaine se traduit par des
parcours individuels ou groupaux dans la ville qu’accompagne souvent un
remodelage des attitudes, des comportements et des conditions de vie.
L'étude de l'intégration en tant que mise en relation de la société,
de l'espace et de l'identité peut se faire dans deux directions:
*Soit en focalisant l’analyse sur un espace (quartier, ville, ilôt
...) fortement marqué socialement et culturellement pour, par la suite, repérer
les populations qui s’y fixent ou qui s’en servent comme
« relais » ;
*Soit en s'intéressant aux populations dans leurs parcours
résidentiels pour comprendre les modes d’appropriation des espaces urbains
qu’elles occupent, quittent ou convoitent.
L’intégration urbaine se situe au confluent des deux logiques: la
logique sociale et la logique spatiale. Et si toute société urbaine s’alimente
de sédentarité et de mobilité, de racines et de ruptures; il est donc juste
d'affirmer que, paradoxalement, toute intégration urbaine a pour corollaire une
marginalité ou une exclusion urbaine...
Mobilité et socialisation
Dans certains travaux qui analysent les relations entre
collectivité, individus et espaces urbains, on utilise la notion de
« socialisation » pour décrire cette interaction.
Il existe plusieurs acceptions du terme « socialisation »
que l’on peut ramener à deux référents principaux:
*Le premier sens de socialisation désigne les mécanismes
d’apprentissage qu’utilisent les individus pour assimiler les valeurs et les
normes d’une société ou d’une communauté particulière.
*Le second sens véhicule l’idée que des individus ou /et
groupes, mis en présence les uns des autres, interagissent et construisent un
tissu de relations psychosociales déterminées.
La première définition a plutôt une connotation conservatrice
puiqu'elle donne la primauté à l’ordre et à l’intégration que devraient assurer
des systèmes régulateurs associés à des territoires urbains.
La seconde acception de socialisation est plus dynamique vu qu'elle
considère que la mobilité et les mutations urbaines constituent la tendance
dominante de la ville.
Cependant, tout processus de socialisation a pour finalité
l’émergence de « sociabilités », c'est-à-dire de réseaux relationnels
(inter-individuels ou inter-groupes) dont l’agencement et la cohésion sont
soumis à l’influence d’institutions sociales comme la famille, l’école, la
municipalité, etc.
Chaque réseau relationnel ou sociabilité porte la marque d’un groupe
social : appartenance sociale, modèles culturels, expérience urbaine...et
traduit en même temps un rapport plus ou moins intense au territoire urbain où
ce groupe est implanté.
Selon qu’on privilégie telle ou telle échelle spatiale (habitation,
quartier, petite ville ... ) nous aurons une forme particulière de sociabilité
rattachée à telle ou telle institution sociale.
Par conséquent, la nature du registre de la sociabilité va être
différent en passant du foyer domestique au voisinage, et ensuite à la grande
ville.
A l’échelle du voisinage, les aspects relevant de la
« diplomatie » des rapports (se dire bonjour-bonsoir, échange de
services, etc.), du bruit, de la cohabitation pèsent lourdement dans la
configuration du réseau des relations sociales.
Par contre, à l’échelle d’une petite ville, on accordera plus
d’attention au fonctionnement de la vie publique, aux modes de vie des groupes
résidentiels et aux activités associatives, par exemple.
L’espace public occupe une place particulière dans l’analyse des
interactions entre socialisation et espaces urbains.
Cette singularité de l’espace public provient du fait que le réseau
de relations sociales qu’il accueille est - contrairement au foyer, au voisinage ou à la petite ville-
de caractère instable et éphémère : les différents acteurs sociaux s’y
évitent, s’y rencontrent et s’y
séparent.
Les interactions sociales qui se développent dans ces lieux de
« libre » usage, se structurent, se déstructurent et se restructurent
d’une façon continue sans aboutir à des sociabilités et des identités durables.
En conclusion, on remarque que les développements précédents
concernant la mobilité, l’intégration et la socialisation montrent à quel point
ces phénomènes agissent sur la formation des espaces urbains et sur l’émergence
de collectivités urbaines.
L’appartenance à la ville nécessite un niveau et une forme
déterminés de participation et d’intégration collective des individus et des
groupes sociaux.
La vie collective, pour qu’elle existe, suppose des institutions et
des organisation plus ou moins formelles.
Il est donc indéniable qu’un intérêt commun lie les membres d’une
collectivité territoriale et fait qu’ils se sentent intégrés à la ville
c'est-à-dire qu’ils partagent un consensus et des objectifs quant à la manière
avec laquelle conduites et relations sociales prennent place dans l’espace
urbain.
Les différents agents et acteurs de l’urbain se chargent
généralement d’exercer un contrôle social capable de gérer aussi bien la
communauté d’intérêt que le compromis ou le conflit pour assurer la pérennité
de la ville.
Comme on l’a vu précédemment, la mobilité est parmi les variables
les plus influentes sur le renforcement ou la déliquescence de l’intégration en rapport avec l’espace
urbain.
Uniformité
et diversité des hommes et des espaces
L’intégration urbaine considérée comme l’une des conditions de la
pérennité de l’espace et des hommes qui l’utilisent, n’a pas que des avantages.
La littérature sociologique a souvent attiré l’attention sur les
maux de la ville souvent dus à un excès d’uniformité des collectivités et des
lieux, sur la pression et la tension sociales engendrées par la ségrégation des
quartiers, leur monotonie et leur homogénéité exagérée.
Les maux de la ville et les situations de tension urbaine sont donc
souvent associés à un excès d’uniformité ou, au contraire, de ségrégation des
espaces et des populations.
On conclut assez rapidement que la position optimale de la ville
idéale se situerait à égale distance de l'intégration totale et de la
ségrégation, dans une situation d’équilibre urbain où disparaîtraient les
tensions et les contradictions.
On parle d’uniformité quand on relève qu’un caractère de l’entité urbaine pèse fortement sur sa
dynamique interne et sur ses relations avec le reste de la ville.
Ce manque de variété qu’on risque d’observer à l’intérieur d’une
collectivité ou d’un secteur urbain, peut revêtir plusieurs formes et nous
permet alors de parler de plusieurs uniformités possibles.
Les uniformités:
1.L’uniformité morphologique et typologique
Souvent décriée par les analystes et les observateurs de la ville,
elle signale un espace urbain où l’architecture est répétitive, monotone et où
la structure urbaine se présente souvent comme un modèle standard reproduit
plusieurs fois. C’est souvent le cas dans les quartiers des grands ensembles et
les cités de logements sociaux résultats d'une logique industrielle de
production du bâtiment et d'une conception techno-bureaucratique des
organisations spatiales architecturales et urbanistiques.
Plusieurs travaux ont insisté sur les avatars d’une architecture et
d’un urbanisme moderne inspirés des théories fonctionnalistes et de la Charte
d’Athènes.
Cette uniformité typo-morphologique de l’espace entraîne des
pratiques de la ville et du quartier où les parcours génèrent une « image
de la cité » (Cf. les travaux de Kevin LYNCH) très peu suggestive pour
l’usager.
A contrario, on estime qu'une production de l’architecture et de
l’urbanisme diversifiée peut faciliter une personnalisation de
« l’habiter » et une appropriation réelle des espaces par les
habitants.
2.L'uniformité sociale
Elle est le résultat d’une contrainte et d’un contrôle exercés par
la collectivité sur ses membres.
Elle est d’autant plus mal vécue que les individus concernés la
ressentent et la considèrent comme un acte de coercition illégitime.
La densité de la population et son appartenance à des catégories
sociales proches ou similaires (couches moyennes, populaires ...) favorisent
l’émergence de ce type d’homogénéité et de ses conséquences sur le plan du vécu
de l’espace par les citadins.
Ces cas de figure de l’uniformité s’accompagnent souvent de
relations difficiles, de conflits et d’attitudes d’hostilité entre les membres
de la collectivité.
On peut prendre l’exemple des rapports de voisinage quand le voisin
est considéré comme un « voleur de chez soi » et son regard une
intrusion dans l’intimité du foyer.
3.L'uniformité démographique et professionnelle
Cette situation, nous la rencontrons dans les quartiers où certaines
classes d’âge et catégories socioprofessionnelles sont fortement représentées.
Parties de la ville où les jeunes ont presque disparu (quartiers du
3ème âge), cités ou quartiers dont les habitants travaillent dans
une seule entreprise sont la matérialisation dans notre urbanité contemporaine
de cette espèce d’uniformité.
4.L'uniformité fonctionnelle
Elle désigne souvent les quartiers de la ville qui assurent presque
exclusivement une fonction de résidence. Les quelques équipements de service
d’usage courant ne modifie en rien l’aspect monotone et ennuyant de ces espaces
où manquent l’ambiance de quartier, les activités culturelles et les lieux de
rencontre et d’échanges.
On désigne souvent ces quartiers par le terme « cités
dortoirs ».
La diversité:
A l’opposé de l’uniformité, nous trouvons les espaces urbains
qualifiés de complexes, diversifiés ou hétérogènes. Comme dans le cas des
espaces uniformes, la diversification des résidents, des lieux et des fonctions
est une affaire de degré et de nature.
Mais l’on considère que la tendance à l’hétérogénéité interne du
corps urbain favorise la communication entre les différentes parties de la
ville et à l’intérieur de chaque partie.
Diversifier chaque composante de la ville évite, semble-t-il, la
ségrégation urbaine découlant de l’excès de l’homogénéité (ou identité) en
complexifiant le tissu urbain et en enrichissant les relations entre ses
différents secteurs, eux-mêmes
hétérogènes.
Le quartier animé se distingue souvent par une pression sociale
faible et par une structure qui aide au développement de la vie publique et des
échanges.
Ce qui vient d’être énoncé ne doit pas nous conduire à penser que
l’uniformité débouche indubitablement sur la ségrégation et la diversité sur
l’harmonie de l’urbain.
En réalité, la cohabitation de populations hétérogènes dans une même
ville ne préjuge pas des formes et de la nature des rapports qui vont s’établir
entre elles.
Pour aborder la question de l’intégration ou de la ségrégation susceptibles d’être pénétrées par
l’uniformité ou la diversité des habitants et des espaces ; il nous faut
analyser ce phénomène aux trois niveaux de manifestation suivants:
*Les positions sociales objectives occupées par les acteurs et les
groupes au sein de l’entité spatiale ;
*Le poids et la qualité des rapports qui se tissent entre ces
acteurs et ces groupes ;
*Les configurations spatiales qui interagissent avec ces positions
et ces rapports sociaux.
A chaque fois que se pose le problème de la « gestion » de
la distance et de la proximité entre groupes sociaux au sein de la ville, on
est amené à parler d’ « effets de classe » (Y. Grafmeyer) c'est-à-dire des positions,
des relations sociales et des contextes spatiaux susceptibles d'influer sur
les « modes d’ajustement » plus ou moins durables entre
regroupements humains et espaces résidentiels.
"La notion de distance
sociale, en général, suppose qu'une collectivité donnée (un Etat national
ou un ensemble international, une région, une ville, un quartier, etc.) soit
définie comme un espace au sein duquel les divers groupes (classes sociales,
catégories socio-économiques, groupes ethniques, religieux ou
"raciaux") sont représentés comme plus ou moins proches ou plus ou
moins distants les uns des autres, en fonction de critères tels que les
revenus, les modes de vie, le statut social, le prestige. etc.
Les expressions "distance culturelle" ou "distance
ethnique" pourraient, à l'image de la "distance sociale" faire
apparaître les sentiments de différence, tels qu'ils sont ressentis dans les
contacts entre groupes ethno-culturels."
Rev.
Puriel - recherches, Vocabulaire
historique et
critique des
relations inter-ethniques, L'Harmattan, n°1
1993.
La ségrégation urbaine
"D'origine
latine, et signifiant "séparation d'avec le troupeau", la ségrégation est une séparation
physique des groupes dans l'espace. le terme désigne à la fois des pratique
sociales, des politiques institutionnelles ou des mesures juridiques conduisant
à la séparation totale ou tendancielle, et leurs effets dans la répartition et
les usages de l'espace. Selon les auteurs, elle peut être appréhendée comme un
état, comme une pratique ou comme un processus.
On distingue
généralement la ségrégation sexuelle, la ségrégation sociale - qui isole des
groupes socio-économiques - et la ségrégation ethnique ou "raciale",
qui vise des groupes étrangers ou d'origine étrangère, ou des groupes
minoritaires diversement définis (culture, religion, langue...)
L'étude empirique de la
ségrégation sociale ou ethnique pose de nombreuses difficultés instrumentales,
telles que la détermination de l'échelle à laquelle elle doit être appréhendée
(pays, région, ville, quartier, îlot, immeuble...), le choix de critère
pertinents (localisation géographique, environnement, densité et qualité des
équipements, type des logements, degré de confort, degré de défectuosité...),
la construction d'outils de mesure, etc. C'est souvent en termes de
"dissimilarité" (différences significatives sur plusieurs dimensions)
qu'elle a été appréhendée, notamment par la géographie sociale (écologie
factorielle...)."
Rev.
Puriel - recherches, Vocabulaire
historique et
critique des relations inter-ethniques, L'Harmattan, n°1 1993.
On a vu que l’uniformité ou l’homogénéité dans ses manifestations
architecturales, urbaines, sociales, démographiques, socioprofessionnelles et
fonctionnelles, quand elle est poussée à l’extrême, favorise l’isolement et le
désarticulation de la partie urbaine du tout de la ville. Pour cette raison, on
considère que l’uniformité et la ségrégation s’alimentent l’un de l’autre et se
renforcent mutuellement.
Cela a amené la sociologie urbaine à accorder un intérêt particulier
au phénomène de la « ségrégation urbaine ». Les mouvement sociaux
qu’ont connus divers parties des villes occidentales, américaines et parfois
même du tiers-monde n'ont fait que confirmer l'urgence d'une réflexion
théorique et de mesures pratiques autour de la question de la ségrégation
urbaine.
Quand on use de la notion de ségrégation urbaine on cherche la
plupart du temps à nommer et à interpréter une ou plusieurs formes fortement
contrastées de la division sociale de la ville.
Mais si le terme ségrégation signifie, au sens étymologique, séparer
et mettre à l’écart, ceci ne veut nullement dire qu’un accord existe entre
chercheurs et théoriciens de la ville sur l’usage et la sémantique de cette
notion.
Le fait que la ségrégation spatiale soit un objet d’analyse
théorique, d’une part, et une référence pour l’action, d’autre part, n’aide pas
à la clarification et à la précision du concept.
Au contraire, il a fait de la ségrégation urbaine un concept à
« polysémie élevée ».
On peut toutefois avancer que parler de ségrégation urbaine conduit
à aborder deux aspects liés à ce fait urbain : les formes revêtus par la
ségrégation et les processus qui la génèrent.
Dans cette optique, Y. Grafmeyer distingue trois formes de
ségrégation urbaine :
1.Les différences de localisation
Cette perspective donne la priorité au repérage des écarts qui
existent entre les groupes sociaux quant à leur localisation dans la ville.
On considérera ainsi qu’un groupe bien défini, sociologiquement ou
culturellement, est plus « ségrégué » qu’un autre à partir du moment
où sa distribution résidentielle est moins favorable que celle qui est accordée
à l’ensemble de la population de la ville.
Ce contenu de la ségrégation a toutefois l’inconvénient de se
confondre avec le sens qu’on attribue également à la simple différenciation
sociale de l’urbain.
2. L’accès inégal aux espaces et aux services urbains
Une seconde perspective autorise l’usage du terme de ségrégation urbaine
à partir du moment où les groupes sociaux n’ont pas les mêmes chances d’accès
aux biens matériels et symboliques existant dans une ville.
Les travaux du Centre de Sociologie Urbaine en France ont développé
cette approche en abordant des questions relatives aux équipements collectifs,
à la situation et à la qualité de l’habitat et à l’impact des distances entre
lieu de résidence et lieu de travail.
3. la "
ghettoisation"
On qualifie couramment de ghetto toute manifestation d’un
regroupement d’individus, appartenant généralement à des couches sociales
modestes ou défavorisées, dans une partie bien délimitée de l’espace urbain.
"Les Juifs, comme on
l'a déjà montré, sont entraînés vers le
ghetto, pour les mêmes raisons qui poussent les Italiens à vivre dans une
Little Sicily, les Noirs dans un Black Belt et les Chinois dans les Chinatowns.
Les différentes aires qui composent la communauté urbaine attirent le type de
population dont le statut économique et les traditions culturelles sont le
mieux adaptés aux caractéristiques physiques et sociales de chacune d'elles.
Chaque fois que la population s'accroit d'un nouvel apport d'individus,
celui-ci ne se fixe pas n'importe où au hasard, mais il entraîne un nouveau
filtrage de toute la masse des habitants au terme duquel chacun finit par
s'enraciner dans un milieu qui, à défaut d'être plus désirable, est en tout cas
le moins repoussant.
Il convient toutefois de
signaler à ce sujet que l'important n'est pas l'endroit où chaque groupe se
fixe, mais le fait que chacun d'eux trouve, semble-t-il son propre emplacement
distinct en dehors de tout projet manifeste. Une fois installé dans son
quartier, chaque groupe tend à reproduire, aussi fidèlement que le permettent
les nouvelles conditions, la culture à laquelle il était habitué dans son
ancien habitat. C'est cette tendance qui explique les changements soudains
d'atmosphère qu'on peut observer parfois quand on passe d'une rue à une autre,
dans cette mosaïque de petits ghettos qui composent les grands quartiers d'immigrants
de nos grandes villes. A la différence des ghettos de l'Ancien Monde, ces
nouveaux ghettos n'ont pas besoin de murs ni de portes pour maintenir à part
les différents groupes humains. Chacun de ceux-ci, à l'instar des plantes et
des animaux du monde naturel, recherche son propre habitat ; chacun a son
propre genre de nourriture, de vie familiale et de distractions.
La distance physique qui
sépare ces quartiers d'immigrants de ceux qu'occupe la population d'origine
constitue à la fois une mesure de la distance sociale et un moyen de la
maintenir."
L.Wirth, Le Ghetto.
Cette définition du ghetto ne permet toutefois pas de faire la
différence entre quartiers où dominent un mode de vie et des valeurs populaires
et traditionnels, zones urbaines où se concentrent des populations de diverses
origines mais partageant une situation d’exclusion et de précarité et
« ghettos », au sens anglo-saxon du terme, qui regroupent des franges
sociales d’origine ethnique identique et de statuts sociaux et professions
différents.
"Le terme,
d'origine italienne, n'a pas une étymologie parfaitement établie. Il désigne,
en son sens originel, l'institution médiévale de quartiers urbains où les Juifs
étaient regroupés et contraints de résider.
Les quartiers
d'assignation à résidence des Juifs se sont développés progressivement en
Europe depuis le 13è siècle à partir de recommandations de l'Eglise (4è Concile
de Latran, 1215) pour s'institutionnaliser et se systématiser au cours du 16è
siècle, après l'encyclique Cum nimis absurdum du pape Paul IV. Auparavant, on
trouvait généralement en Europe comme en Afrique du Nord ou en Asie, des
regroupements de Juifs (appelés, en France, "juiveries"), dont la
toponymie des grandes villes garde encore souvent la trace. Pour ne pas risquer
l'anachronisme, il faut rappeler qu'à cette époque, les concentrations par
corps de métier ou catégories socio-culturelles constituaient la norme. Mais,
d'une part, la résidence dans ces secteurs n'était pas obligatoire, et, d'autre
part, les Juifs n'en étaient pas les seuls habitants. Ils cohabitent avec des
Chrétiens, souvent de haut rang.
En France, depuis
quelques années, la notion de ghetto
est utilisée pour désigner des phénomènes divers : quartiers centraux des
villes à forte proportion d'étrangers, aires péri-urbaines de regroupement de
populations laissées pour compte de la croissance économique et de son modèle
de carrière résidentielle ascendante, victimes de la crise et de
l'accroissement du chômage. Certaines cités ou grands ensembles, en particulier
dans le secteur social du logement, voire certaines communes entières de
banlieues excentrées, sont ainsi souvent baptisés "ghettos"...
Quoiqu'il en
soit, l'élargissement du sens du terme "ghetto" entraîne la perte de
vue des traits essentiels du phénomène. La confusion entre le sens propre, même
si l'on tient compte des évolutions historiques, et le sens figuré comporte le
risque d'induire des confusions dans l'analyse des réalités elles-mêmes."
Rev.
Puriel - recherches, Vocabulaire
historique et
critique des
relations inter-ethniques, L'Harmattan, n°1
1993.
Cette confusion qui risque de s’introduire à chaque fois qu’on
cherche à identifier une « forme » socio-urbaine particulière,
peut-être atténuée en analysant les « processus » qui produisent la
ségrégation urbaine.
Thomas Schelling (in "la
tyrannie des petites décisions", Paris, PUF, 1980) indique qu’il y a trois
processus fondamentaux de ségrégation :
1 . Le premier processus est présenté comme étant le résultat
d’une « action organisée, légale ou illégale, par la force ou simplement
par l’exclusion, subtile ou criante, directe ou indirecte, aimable ou
malveillante, moraliste ou pragmatique ».
On constate que dans ce cas,
la ségrégation peut bien être justifiée juridiquement, moralement,
politiquement ou socialement ; elle n’en garde pas moins son caractère
ségrégatif de séparation physique.
2 .La ségrégation est induite par les inégalités dues aux
différences sociales sans qu’il y ait, au départ, action consciente ou une
intention dans ce sens.
3 .Le troisième processus intéresse les formes de ségrégation qui
sont le résultat de comportements individuels basés sur une perception
discriminatoire. Le rejet de l’autre est, dans ce cas, soutenu par une
perception négative, consciente ou inconsciente, du sexe, de l’âge, de la
religion, de la couleur, ou de n’importe quel autre facteur qui justifie et
rationalise la ségrégation.
Cette perception a un impact sur les choix opérés par les individus
en matière de quartiers de résidence, de voisinages souhaités, etc.
Elle ne débouche pas automatiquement sur des formes ségrégatives de
la localisation urbaine, mais peut, sous l’influence d’autres facteurs,
favoriser la discrimination et son corollaire la ségrégation entre acteurs et
espaces urbains.
En réalité, les trois processus de ségrégation ne fonctionnent pas
de façon isolé et singulière. Au contraire, la ville et les conjonctures
historiques, économiques et culturelles font que ces trois processus
s’associent ou se combinent et produisent des effets cumulatifs sur l’espace
urbain.
Habitat : usages et contenus
Les outils théoriques et méthodologiques
proposés à l’étudiant devront lui permettre de saisir les rapports
qu’entretiennent l’habitat avec les usagers. L’hypothèse qui sous-tend cette
approche est que la médiation entre l'espace et les acteurs sociaux se fait par les pratiques, les discours et la
symbolique de l’objet architectural: l’habitation.
Il est
donc important d’expliciter les contenus de l’espace de vie quotidien perçu et
utilisé de manières différentes par des résidents ou des collectivités de
résidents ayant des caractéristiques socio-démographiques, une expérience
urbaine, une histoire individuelle et un ensemble d’autres variables
différentes.
La morphologie sociale:Le
premier fait qui s’impose à nous est que le logement et son environnement
immédiat sont façonnés en fonction des populations résidentes, c’est-à-dire
en fonction de leurs niveaux de revenu
et de leur place dans un certain fonctionnement de la ville et de la société.
Qui
sont ces populations on plus exactement ces habitants ? Et quels facteurs
paraissent déterminer leur appartenance aux principaux groupes ou classes
sociales ?
Le Logement : Savoir
de quelle manière le logement est appréhendé par les résidents implique la
connaissance des caractéristiques et des conditions de leur habitat,
l’adéquation ou la non-adéquation de cet habitat par le biais de l’étude de « la satisfaction », et les
différentes pratiques du logement et leurs significations.
Y’
a-t-il différents modes d’habiter ? Que signifient les notions
d’ « appropriation de l’espace » et de « socialisation de
l’espace » ?
Le quartier: Le logement
abrite une vie intime et domestique. Les habitants n’y passent qu’une partie de
leur temps hors-sommeil, aussi est-il
nécessaire de dépasser cette limite et de voir en quoi consiste
l’environnement immédiat du logement c’est à dire : le quartier.
Le
terme quartier a acquis une multiplicité de signification dans la langue des
chercheurs : Quels sont donc les différents contenus qu'il véhicule? De
quelles pratiques du quartier sommes-nous
en présence ? Quelles relations s’y développent ?.Peut-on parler de vie
de quartier ? Quelles activités se développent dans le quartier?quel sens
ont-elles pour les résidents?
I- INTRODUCTION
Notre
hypothèse générale est que l’espace n’est pas simplement, même s’il l’est
également, un donné avec lequel une population entre en rapport, mais qu’il est
une certaine organisation délibérée (avec ses composantes économiques,
techniques, sociales, urbanistiques, etc.) c’est-à-dire un produit.
Les
relations d’une population déterminée avec ce produit dépendent des
caractéristiques finales de celui-ci, mais aussi, à travers celles-ci, des
finalités qu’il a été censé servir, des contraintes que les responsables se sont fixées ou qu’ils
ont indirectement subies, de la nature
même des catégories de population qui ont été concernées par cet espace et
appelées à habiter le cadre qu’il constitue.
Parce
que le logement et son prolongement immédiat, le quartier, sont un produit qui
obéit à un ensemble de finalités sociales implicites et à un certain ordre de
la société, il ne peut-être envisagé sous le seul point de vue de son apparence
perceptive - Il est en réalité le cadre
de vie, dans ses multiples aspects, des populations urbaines.
Ce cadre de vie en plus des particularités urbanistiques,
architecturales, socio-démographiques qu'il véhicule et manifeste, occupe une
place particulière dans notre histoire contemporaine. Il fait aussi l'objet
d'une action institutionnelle qu'on appelle communément la politique de
l'habitat.
Les trois moments de la question du logement
1. Fonctionnalisme et " habitat pour le plus grand nombre
":
Les années qui suivirent la seconde guerre mondiale ont vu le
démarrage d'ambitieux programmes de Reconstruction. Cette conjoncture va
susciter un intérêt grandissant pour la recherche sur le logement.
Un grand nombre d'écrits et d'études vont mettre l'accent sur la
situation des mal-logés, des bidonvilles, des taudis... tout en argumentant en
faveur de la construction de grands ensembles considérés alors comme la
solution incontournable à la crise du logement.
L'architecture et l'urbanisme progressiste et fonctionnaliste
étaient devenus au cours des années 50 et 60 le remède miracle aux
disfonctionnements de l'habitat et de la ville. Implicitement l’idée
était : un bon espace est un « espace fonctionnel » qui répond à
des besoins et des normes universels.
Abordée sous cet angle, la problématique du logement impliquait une
direction de recherche qui s'appuie sur des études démographiques et
descriptives pour faire l'inventaire des besoins, en vue de la production d'
" habitat pour le plus grand nombre ".
Un peu partout, on chercha à mettre en place une politique sociale
du logement par le biais de la mobilisation des institutions, des instruments
juridiques et des capitaux publics. la promotion de l'accès au logement public
se fit sous deux formes principales: l'aide à la pierre ou l'aide à la
personne.
Cette période d'euphorie se heurta à trois limites au moins: le
niveau de la richesse nationale ( part publique ou privée à investir); le
niveau de solvabilité des ménages et des bénéficiaires des aides; le
mécontentement et les explosions de violence dans les cités réalisées.
2. L'émergence de l "Habiter":
Les chercheurs et experts mis face à la crise du logement finirent
par reconnaître que le rapport entre habitat et habitant est régi par une
articulation complexe, qui ne peut se résumer à une réponse technique
standardisée et normalisée à des besoins[1]
universels. Cette articulation utilise un certain nombre de médiations qui
relèvent de dimensions aussi différentes que les dimensions psychologiques,
sociologiques, économiques, politiques...
L'erreur théorique et méthodologique des adeptes de la Chartes
d'Athènes provient du fait qu'ils considèrent l'habitation comme un problème
d'équipement, une "machine à habiter" comme l'affirme Le Corbusier.
Suite aux remous sociaux[2]
des années 70, il va devenir nécessaire de cibler une approche du logement où
les instances sociales et psychologiques vont peser d'un poids certains. C'est
l'époque de l'"Habiter" et de la fameuse thèse de Heidegger:
"habiter" c'est "exister".
L’approche en terme d’"Habiter" a permis de comprendre et
de comparer les modes de vie matériels de groupes humains, ainsi que leur
évolution. Elle a mis en évidence l’impact sur la morphologie et la typologie
de l’habitat de réalités telles que: le rapport au corps comme le rapport au
divin ; les structures de relation entre les sexes (espaces secs et
humides), le mode et le degré d’organisation de la famille... Toutes ces
réalités transforment le besoin universel de se loger en une demande
particulière d’habiter débouchant sur une réponse spécifique : une
habitation située dans le temps et dans l’espace des hommes et des
civilisations.
Le nouveau concept parce qu'il rétablissait le logement dans sa
pluridimensionnalité, inaugurait une voie nouvelle: l'étude de l'habitat dans
sa signification relative à des aspirations, des désirs de compensation, des
représentations idéologiques, des formes de sociabilité,...se développait de
même un appareil méthodologique et des techniques d'investigation qui
intégraient les apports de disciplines comme la sémiotique, l’anthropologie, la
psychanalyse et la psychologie sociale.
3. Le logement face aux défis de la mondialisation et de l'
explosion urbaine:
La dernière décennie que nous avons traversée a surtout été marquée
par des transformations politiques, sociales et spatiales rapides et profondes
à l'échelle internationale.
Deux phénomènes nous intéressent d'une façon toute particulière,
c'est la mondialisation et l'explosion urbaine pour l'impact qu'elles ont sur
l'offre et la demande de logement.
La mondialisation, dans sa dimension économique, se manifeste par
une extension sans précédent dans l'Histoire du libéralisme entraînant ainsi le
déclin sinon la disparition des formes traditionnelles de production et
d'appropriation du logement.
Sur le plan culturel, la mondialisation des images médiatiques
venues des pays riches bouleverse, à travers le monde, les représentation
vécues en matière de mode de vie et d’habitat : même sous forme rêvée,
fantasmée, ce sont les normes occidentales en matière de construction, de
dispositif de confort qui prédominent.
L’homogénéisation des modalités de rapport au logement est redoublée
par l’homogénéisation de la matérialité, réelle ou idéale, du logement (images
des villas de rêve dans les feuilletons américains, mexicains ...). Son
corollaire est la généralisation des formes occidentales de consommation :
demande nouvelle en matière d’équipement domestique, de pratiques alimentaires
et vestimentaires, de consommation culturelle (consommation de masse,
standardisation et universalisation des produits).
D'autre part, l'urbanisation accélérée se
caractérise par un départ de la campagne vers la ville sans retour. C'est la
fin du mythe de l'équilibre ville-campagne. la demande de logement enregistre
un accroissement exponentiel
Les difficultés -d'autres diraient les choix- des pouvoirs publics
en matière de politique de l’habitat (difficultés financières, limitation des
investissements sociaux et du déficit public, privatisation ...) vont avoir
pour conséquences le grossissement de la masse des déshérités urbains et la
prolifération de formes anarchiques et illégales d’habitat ("villes
parallèles").
Les mêmes
autorités politiques se sont trouvées devant la situation paradoxale suivante:
Comment améliorer les conditions d’habitat, réaliser les infrastructures urbaines
et les équipement collectifs nécessaires sans que cette action n'attire encore
plus de migrants vers la ville ?
II- Approche QUANTITATIVE
DU LOGEMENT
L'ensemble
des normes et critères disponibles pour faciliter l'appréciation de la
situation de l'habitat s'articule autour de 3 axes principaux:
a)
Les
critères se référant à l'évolution de la population: structurel, démographique,
mouvements migratoires (CSP, classes sociales, hiérarchies différentes)ainsi
que les sources où sont puisés ces critères.
b)
Les critères
se fondant sur les caractéristiques du patrimoine immobilier d'habitation
disponible, ainsi que les conditions de son utilisation.
c)
Les critères qui restituent le logement dans son environnement.
a) Critères relatifs à la population
L'évolution
des besoins en habitat vont dépendre en premier lieu des caractéristiques
démographiques de la population considérée.
Nous
avons d'abord les indications classiques d'évaluation de la population: taux de
natalité et de mortalité, taux de fécondité; auxquels il faut ajouter les
indicateurs de phénomènes de migration des zones rurales vers les zones
urbaines.
Il
faut attirer l'attention sur le fait que la relation entre croissance de la
population et évaluation des besoins en matière de logement se fait à travers
les structures familiales et des ménages.
Ce qui
précéde ne veut nullement dire qu'il est inintéressant de disposer d'une norme
ou d'une base de référence de la famille type. On la calcule généralement en
divisant la population résidente par le parc-logement à un moment t.
Mais
examinons en premier lieu les différentes sources qui servent d’outil de
connaissance de la population:
a.1. Le Recensement Général de la Population et de l’Habitat :
Lors
de chaque recensement général de la population, une information considérable et
intéressante est rassemblée que l’Institut National de Statistique présente
sous forme de tableaux. Mais il faut souligner que lorsqu’on travaille sur un
îlot d’habitation ou un quartier les tableaux statistiques ne sont pas d’un grand
secours étant donné la globalité de leurs données.
Que
faire ? A ce moment, on peut avoir recours
directement au fichier de l’INS dont l’exploitation directe peut être
une solution puisqu’elle nous permet de disposer d’informations précises grâce
aux fiches nominatives.
Une
première remarque s’impose, c’est que les fichiers sont conçus par des
enquêteurs qui les ont organisés en fonction d’usages précis : l’outil
commande alors l’objectif que l’on se donne, il n’est donc pas ordonné à une
problématique que l’on choisit.
Une
seconde remarque vient du fait que le recensement ne donne qu’une
« photo » à un moment donné de la personne ou du ménage. Il permet de
savoir par un certain nombre d’éléments la situation du ménage ou de
l’individu. Mais le recensement laisse sans réponse un certain nombre de
questions comme par exemple : l’activité exercée dans la passé ;
l’ancien logement dont on ne connaît ni la taille ni le confort ; etc...
Ce sont les limites du fichier du recensement.
Par
contre, l’enquête permet, à partir d’une hypothèse et une problématique qu’on a
choisies soi-même, d’enregistrer un certain nombre d’informations qui prennent
en considération l'aspect dynamique de la situation résidentielle en
reconstituant l’unité de la personne ou du ménage dans le temps au lieu de la
figer dans le présent.
D’une
façon générale, les analyses de processus ne peuvent se faire sur la base des
données du recensement.
Cependant,
comme nous l’avons vu, les renseignements tirés du recensement, aussi partiel
soient-ils, permettent de mettre en évidence des types de population, de
répérer leur aires d’implantation et
d’apprécier approximativement leurs besoins.
a.2. Le fichier des candidats au logement :
Dans
certains cas (comme par exemple pour les opérations d’habitations de promoteurs
immobiliers publics ou privés) nous pouvons disposer du fichier exhaustif des
acquéreurs de logements et donc de données les concernant.
Dans
ces cas, la règle veut que chaque candidat à un logement remplisse une fiche et
un dossier pour que sa demande soit
prise en considération. Sur la fiche de renseignements à remplir par les deux
conjoints les questions sont nombreuses et intéressantes. Elle concernent
généralement : Nom et prénom, date et lieu de naissance, nationalité,
adresse, profession, revenu mensuel, retenues sur salaires, propriétés
immobilières, date et lieu du mariage, nombre et qualité des personnes
composant le ménage.
Face à
cette masse d’informations on risque de conclure de conclure rapidement que
cette source est riche et variée. En fait, ces données doivent être maniées
avec prudence car il arrive que certaines réponses soient mal remplies ou
absentes parce que le candidat a intérêt à ne pas donner l’information ou que
le promoteur immobilier n’y attache pas d’importance. Par exemple, le travail
de la femme n’est pas déclaré dans le cas où le salaire du mari est suffisant
pour rassurer la société sur sa solvabilité; ou le nombre de personnes
hébergées est sous évalué lorsqu’il est important.
En outre, les termes utilisés dans ces fiches pour parler de la
situation professionnelle manquent souvent de précision lorsqu'une nomenclature
précise n’est pas donnée : on utilise des catégories très approximatives
comme employé de bureau, de commerce, ou celui
d’ouvrier.
Mais malgré toutes les imperfections citées précédemment cette
source est très riche et son analyse est d’autant plus intéressante que l’on
peut en disposer assez facilement dans toute grande opération d’habitation.
L'examen
des sources nous permet d'identifier des populations du point de vue des
caractéristiques socio-démographiques en isolant, par exemple, les trois
variables suivant:
·
Les
caractéristiques d’âge :
Exemple : La structure par âge suivante : Moins de 1O ans : 31%
Moins de 15 ans : 42%
Moins de 25 ans : 56%- Moins
de 40 ans : 84%
Cet exemple montre la faiblesse relative des effectifs entre 15 et
25 ans, période d’entrée au travail.
On cherche souvent à prendre en considération l'âge à partir duquel
la demande de satisfaction du besoin en logement peut-être prise en
considération .La réponse dépend de la société concernée et de son niveau de
développement .
Dans les pays à système capitaliste, c'est la capacité financière
qui détermine la satisfaction du besoin en logement .L'acquisition pouvant être
réaliser soit pour disposer d'une résidence principale ou secondaire, ou bien
encore pour une opération de spéculation.
Dans les pays où la politique de l'habitat planifie demande et offre
de logements, on cherche à respecter une certaine justice et équité sociale en
fixant des critères pour l'attribution des logements bénéficiant d'une aide
publique ( critères de l'âge, de non-propriété, de niveau de revenu, nombre
d'enfants, etc.)
·
La taille
des ménages :
C’est le nombre moyen de personnes/ménage. Si nous faisons par
exemple, une enquête dans des logements fournis
par la Caisse Nationale de Retraite, nous trouverons sûrement une taille
de ménage élevée. La raison est que ce genre d’organisme s’intéresse en
priorité aux mal-logés, aux familles nombreuses et chargées d’enfants dont les
revenus sont relativement bas. C’est une population dont les caractéristiques
s’opposent sûrement à celles qu’on trouvera dans des logements fournis par des
promoteurs privés.
·
La
composition sociale ou les Catégories Socioprofessionnelles et le budget :
A quelles catégories de population les logements sont-ils
destinés ?
C’est une question qui revient souvent et qui nécessite une grille
de professions ou une nomenclature : Ouvriers, employés, cadres moyens,
cadres supérieurs, professions libérales, commerçants, artisans, agriculteurs
...
En déterminant la CSP on demande souvent quel le montant du revenu.
Il existe selon les problématiques et les sujets d’intérêt une
batterie de questions et de variables encore plus large.
Pour illustrer l’importance de l’étude de la population, supposons
que l’on s’intéresse à l’étude des facteurs de ségrégation sociale et spatiale.
Nous constaterons que l’analyse des caractéristiques des différentes
populations est inévitable si l’on veut savoir par exemple si les différences
de revenus et de structure de la famille sont à la base de la tendance des
hommes à se regrouper entre semblables, surtout dans une société qui creuse les
écarts de revenus et leur donne une signification si forte.
Nous pouvons aussi à partir du constat de ces différences sociales
nous poser des questions sur le rôle des constructeurs et des gestionnaires du
parc logement dans les phénomènes de ségrégation spatiale et sociale constatés
dans les villes.
b) Les critères relatifs à la situation résidentielle :
Chaque société dispose à un moment donné de son développement d’une
population d’une taille et d’une structure particulières et d’un parc logement
répondant à certaines spécificités quant à son volume, à son état, à sa
typologie ou aux conditions de son utilisation.
La relation à tirer de la confrontation entre les deux grandeurs
population - parc logements, figurant
sur le tableau ci-après, donne les indications suivantes :
|
Année
a |
Année
b |
Population résidente
|
X1 |
Y1 |
Parc immobilier |
X2 |
Y2 |
Taille des ménages |
X1/X2 |
Y1/Y2 |
·
Le taux
d’occupation par logement : « T.O.L. »
Il
établit le rapport entre la population globale et le parc de logements habités
et nous permet de mesurer le
« surpeuplement des logements ».[B1] Exemple: entre les deux recensements de 1966 et 1975 le T.O.L. est
passé de 6,15 à 6,67 personnes/logement à Tunis.
·
Le taux
d’occupation par pièce: « T.O.P »
C’est le rapport de X1 sur
le nombre de pièces du parc logement. La
" norme
internationale en la matière est de = 1 personne / pièce.
·
le taux
d'entassement: Z
Si Y1 > X1
et Y2 > X2 alors Z = [ Y1/Y2 - 1 ] x 100 X1/X2
Ce calcul
peut être fait proportionnellement à chaque type de logement ou par localité,
région...
Il correspond à l'augmentation de la taille du ménage par logement
et se manifeste par la réduction de l'espace vital habitable, la détérioration
des conditions de confort et de la qualité de la vie telles l'intimité, la
cohésion, l'harmonie, la communication. Dans des pays telle que la Tunisie la
tendance est à la "mononucléarisation" et à la dislocation de la
famille élargie, ce qui a pour effet une diminution de l'entassement.
·
Le nombre de
logements disponibles par millier d'habitant
(N)
N = X2 x
1000
X1
On peut examiner la variation de N
entre deux recensements ou comparer N dans
des pays différents.
·
Le nombre de ménages pour mille logements disponibles: (M)
.M = Y1 x 1000
Y2
Il est possible ici
aussi d'étudier les variations sur une année, région ...
Quand M
augmente d'année en année, Z augmente ce qui correspond à l'aggravation de
crise du logement.
·
La superficie
couverte par habitant : « S.C.H. »
Elle met en
relation la surface totale des logements par rapport au nombre de personnes y
résidant.
·
La superficie
nette habitable par personne : « S.N.H.P. »
Elle
s’obtient en retranchant de la S.C.H les superficies nécessaires à l’habitat
mais non directement et continuellement utilisable par l’habitant :
balcon, cuisine, placard, salle d’eau couloir, entrées, garage, cage
d’escalier, etc.
·
Le volume
disponible par habitant: « V.D.H. »
C’est un
critère qui combine superficie et hauteur des logements.
·
Taux de
vieillissement du parc immobilier comme critère d'appréciation:
Il
peut rendre compte de l'état de vétusté du parc logement dans la mesure où l'on admet, en général, que le niveau de
qualité de l'habitabilité d'une demeure diminue avec son vieillissement et,
qu'au fil du temps, la construction intègre des éléments de confort découlant
des progrès enregistrés dans le domaine.
On
considère généralement qu'on peut appliquer le qualificatif "vétuste"
à toute habitation ayant dépassé 50 ans d'âge.
·
Réseaux divers
et qualité d'habitabilité:
Le
rattachement aux réseaux d'eau, d'électricité, de gaz et d'assainissement sont
souvent prix en compte pour évaluer la qualité du parc immobilier.
Il existe encore un
ensemble d’autres critères qui permettent de caractériser le logement et que
nous citons sans entrer dans le détail : Le statut du
logement (location, propriété) ; les éléments de confort (W.C.,
douche ou baignoire chauffage, téléphone...); le type (haouch, maison
traditionnelle, villa, appartement ...
c) Critères relatifs à
l'aménagement de l'environnement
Le logement quelque soit son confort et son équipement interne, ne
peut à lui seul satisfaire toutes les conditions d'habitabilité.
L'environnement extérieur participe pleinement à faire qu'une habitation soit
d'une bonne qualité résidentielle.
En effet, les moyens de transports collectifs, les moyens
d'éducation pour les enfants, les moyens de culture et de loisir, les moyens
d'hygiène et de santé publique, les moyens d'information, d'expression, de
sécurité gagnent à être assurés dans l'environnement des zones habités pour
garantir le bien être et l'épanouissement des résidents.
Par conséquent, le besoin de logement ne peut être dissocié des
autres besoins d'habitation et de vie. Ainsi offrir des logements sans un
aménagement minimum de l'environnement, peut aboutir, aussi paradoxalement que
cela puisse paraître, à une détérioration, au plan global, de la situation de
l'habitat.
Pour cette raison, il ne faut nullement négliger les problèmes
d'aménagement et d'urbanisme, la réglementation relative à l'utilisation des
sols et aux lotissements, ainsi que les grilles d'équipement, qui ont une
grande influence sur la situation de l'habitat et sur son niveau de
développement.
III- Analyse qualitative du
logement
a) L’études de la satisfaction de l’habitant :
Le logement, aussi spacieux soit-il, aussi confortable soit-il,
aussi équipé soit-il ne suffit pas, à lui seul, pour rendre compte du degré
d’habitabilité entendu comme évaluation du niveau de satisfaction du ménage
dans sa globalité et de chacun de ses membres en particulier.
Pour connaître le niveau de satisfaction des habitants les enquêtes
sociologiques se sont efforcées de traduire les opinions des habitants
eux-mêmes par rapport à leur logement.
Pour pouvoir évaluer correctement le niveau de satisfaction il faut
rechercher les jugements émis dans des logements de types différents et habités
par des habitants ayant des situations sociales et personnelles différentes
afin de pouvoir mesurer les différences.
La satisfaction exprimée est influencée par plusieurs facteurs
autres que le logement. Ainsi il arrive que des personnes ayant des conditions
de logements médiocres les jugent bonnes parce que leur jugement est influencé
par leur attitude à l’égard du quartier.
Sur un autre plan, la satisfaction est dépendante de la place de
chaque habitant dans la hiérarchie sociale : supposons qu’un logement d’un
certain type représente pour les couches sociales moyennes auxquelles il est
destiné un niveau de confort bien supérieur à celui des anciens logements et
par là, jusque dans l’effort budgétaire, une promotion.
On peut s’attendre à ce que cette catégorie de logement soit en
général plus favorablement jugée par ces couches moyennes que par les couches
sociales supérieures parce que plus aptes à s’installer ailleurs. Pour ces
dernières le logement concerné est considéré dans ce cas comme une étape dans
la carrière résidentielle.
Les couches sociales très défavorisées risquent elles-aussi d'avoir
une évaluation critique de ses conditions de logement parce que soumises à des
difficultés budgétaires très grandes.
Nous pouvons donc dire que généralement les habitant formulent une
appréciation positive du type d’habitat dont ils bénéficient dans la mesure où
celui ci vise, dans l’ordre des budgets et de la hiérarchie sociale, ce profil
de population.
Autrement dit, la satisfaction que les représentants d’une catégorie
de la population éprouve est suscitée par la signification que prend aux yeux
de cette population le niveau de confort et de peuplement de leur logement dans
le contexte actuel des possibilités objectives que cette catégorie aurait
ailleurs en ville.
On peut avancer que la relation symbolique subjective (la
satisfaction) d’une population à son cadre de vie exprime et confirme cet ordre
des choses qui lui est réservé par la politique de l’habitat, en fonction de la
place qu’elle occupe dans la société.
Cette concordance ne veut pas dire que cette catégorie de logement
soit la meilleure possible, ni même la seule possible. Une évolution des
exigences de la population pourrait se produire sous l’impact de divers
facteurs- comme par exemple l’élévation du niveau de vie- entraînant une transformation de l'attitude
des habitants à l'égard de leur situation résidentielle.
b) Les pratiques du logement
Pour étudier les pratiques qui se développent dans le logement, il
faut aborder les deux dimensions suivantes : l’appropriation de l’espace
du logement et la socialisation de celui-ci.
b.1 L’appropriation de l’espace du logement :
La condition nécessaire à l’appropriation de l’espace du logement
n’est pas la propriété qui apparaît plus comme un moyen que comme une fin
(« marquer » l’espace, ce n’est pas se référer à une abstraction, la
propriété). Dire, par exemple, que les animaux ont l’instinct de propriété,
qu’ils défendent « leur » espace, c’est interpréter des comportements
qui sont simplement relatifs à des opérations.
Si nous définissons en général la notion
« d’appropriation », nous dirons que c’est une pratique spatiale
découlant de l’insertion d’un individu dans un espace et se traduisant par des
conduites d’aménagement.
Ainsi l’appropriation apparaît comme la projection de la conduite
humaine sur l’espace. Elle peut revêtir plusieurs formes.
·
Le regard
est la forme minimale d’appropriation de l’espace extérieur.
·
L’aménagement
de l’espace par la personne grâce à la disposition d’objets représente d’une
part une image de soi offerte ou imposée d’une certaine manière à l’autre et
d’autre part, un rapport plus ou moins intense avec cet espace.
·
La
délimitation de sous-espaces à l’intérieur d’un espace qui se manifeste
par :
Þ
La
fermeture topologique (un obstacle au regard de l’autre et la domination
visuelle à l’intérieur du domaine délimité).
Þ
Le
marquage des lieux
Þ
La liberté
d’accomplir certains actes à l’intérieur de cet espace.
Goffman (E. Goffman « la mise en scène de la vie
quotidienne » Paris - Editions de minuit 1973) a tenté de développer la
notion d’appropriation de l’espace en avançant l’idée qu’elle consiste en
l’utilisation d’un ensemble de « marqueurs ».
Goffman divise les « marqueurs » en plusieurs
catégories :
·
Les
marqueurs centraux : ce sont les objets placés au centre de l’espace dont
ils annoncent la revendication (c’est le cas du bouquet de fleur dans certains
bureaux par exemple).
·
Les
marqueurs frontières ou bornes : ce sont les objets qui marquent la limite
entre deux espaces adjacents. Notons que lorsque les marqueurs frontières sont
placés de part et d’autre d’un individu ou bien devant et derrière lui, ils ont
une fonction d’espacement et assurent un espace personnel à leur utilisateur.
·
Les
marqueurs signets représentent à travers un objet de véritables signatures
(exemples, noms gravés sur une table, affaires personnelles posées sur un siège
de train). L’appropriation de l’espace ne se réduit pas au marquage, elle se
fait aussi par la familiarisation avec l’espace et la construction pour en
faire un univers personnel. Un individu n’aménage pas seulement un lieu, il
dispose les choses d’une certaine manière et y ajoute des intentions et des
intensités personnelles. A travers ces comportements se profile aussi une façon
de vivre les relations sociales. Examinons comment se concrétise
l’appropriation de l’espace dans le cas du logement ?
A ce
niveau, l’habitant s’approprie l’espace de sont logement par un certain nombre
d’opérations dont les principales sont :
l’aménagement, l’entretien et le bricolage.
·
L’aménagement :
l’appropriation dans ce cas consiste à pouvoir aménager, transformer et décorer
son espace. Le propriétaire d’un logement ressent en général comme une
obligation de marquer son espace, sans doute parce qu’il témoigne pour lui,
qu’il exprime sa personnalité ou son désir d’affiliation (espace de
représentation). Les aménagements sont de type différent, nous ne pouvons pas
mettre sur le même plan « mettre le confort » (installation de la
salle de bain, placard, cuisine, etc.) par exemple et « transformer »
complètement l’organisation des pièces telle qu’elle a été imposée par l’architecte ;
·
L’entretien :
Dans l’entretien s’expriment à la fois une tendance vers le rangement et
l’organisation de l’espace, et un rapport culturel entre le propre et le sale.
(Ce rapport est culturel parce que l’espace du propre et du sale sont variables
suivant les cultures). L’entretien est pour de nombreuses femmes ce que le
bricolage et pour l’homme.
·
Le
bricolage : c’est un moyen de marquer son espace, de l’aménager et cela
peut représenter une économie. Le bricolage exprime aussi un investissement
affectif dans le chez soi.
b.2. La socialisation de l’espace du logement :
L’appropriation de l’espace dépend en premier lieu des opération que
l’habitant peut y faire pour le marquer, le clore, le transformer etc. la
socialisation c’est la capacité de l’espace, de recevoir un réseau de relations
sociales, qu’il s’agisse, des relations à l’intérieur du groupe familial, ou
des relations qui règlement les rapports de la famille avec l’extérieur
(famille au sens large, amis, relations, voisins, visiteurs, etc.).
Les différents espaces du logement sont ainsi organisés en fonction
d’un ou de plusieurs modèles culturels. L’opposition entre « public » et «privé » joue
dans ces modèles un rôle important.
Dans un habitat de type occidental cette organisation peut se
résumer dans le tableau suivant :
ESPACE PUBLIC |
ESPACE SEMI-PUBLIC |
ESPACE PRIVE |
Entrée, salon ou à défaut salle à manger |
Salle de séjour Chambre d’enfants |
Cuisine Chambre conjugale |
Le propre et l’ordre sont des qualités essentielles des espaces
publics et autant que possible des espaces semi-publics.
La répartition des rôles à l’intérieur de la famille se superpose à
cette organisation de l’espace et assigne aux différentes pièces d’autres
contenus :
DOMAINE DE LA FEMME |
DOMAINE DE L'HOMME |
DOMAINE DU COUPLE |
DOMAINE DES ENFANTS |
DOMAINE DE LA FAMILLE |
Cuisine |
Bureau |
Chambre conjugale |
Chambre des enfants |
Salle de séjour |
L’opposition travail/loisir en tant qu’activités de type différent
divise également l’espace du logement. Cette division recoupe l’assignation des
espaces en référence aux rôles masculin/féminin, à l’organisation familiale
etc.
|
TRAVAIL |
LOISIR |
Femme |
Cuisine |
Salle de séjour |
Homme |
Bureau à défaut chambre |
" |
Enfant |
Chambre |
" |
Famille |
|
" |
De plus la socialisation de l’espace implique
l'orientation selon 2 axes :
·
Un axe
vertical : exemple : la maison à l’étage est associée à la fatigue,
la maison au RDC à la disponibilité et à la facilité.
·
Un axe
horizontal (devant - derrière.): Le logement n’a ni un devant ni un
derrière prédéterminés, c’est une opposition qui se construit par les
significations suivantes :
DEVANT |
VOIR-ETRE VU |
PUBLIC |
ESTHETIQUE |
Derrière |
Ne
pas voir / Ne pas être vu |
Privé |
Fonctionnel |
b.3. Les rapports de voisinage
Dans la socialisation du logement la dimension du voisinage joue un
rôle stratégique, puisque l'habitant est appelé à développer dans son quartier
un certain nombre de relations qui ne doivent pas être en contradiction avec la
recherche d’une maîtrise de l’univers privé. c'est à cette condition que le
voisinage contribue à la satisfaction que l’habitant retire de son logement.
Quel est le contenu de la vie de voisinage et des relations avec les
voisins ?
On définit la vie de voisinage par le réseau d'échanges de services et d’information, et
par un degré minimum d'acceptation des conduites personnelles entre-ceux qui
vivent les uns près des autres, quelque soit la manière dont cette proximité
est définie.
Le rapport de voisinage est régie par une double tendance :
l’habitant veut bénéficier de la sollicitude des autres, il veut être admis
d’une part, mais il craint cette que ouverture du groupe de voisinage diminue
son autonomie propre d’autre part.
Cette double exigence implique une « diplomatie dans les
relations de voisinage » qui est une sorte de limites qu’on s’impose dans
les rapports concrets.
Existe-t-il différentes sortes de rapports de voisinages ?
Représentent-ils des degrés différents d’implication pour l’habitant ?
On dénombre généralement quatre types de relations entre les
voisins:
·
Le refus
de rapports avec les voisins : l’habitant refuse le contact et dénigre le
voisin dans ses moeurs et ses coutumes. Ce voisin et considéré comme un voleur
de chez soi, il trouble l’intimité par le regard, l’ouïe, le bruit qu’il fait.
Il impose son existence à l’intérieur du logement.
·
L’échange minimum avec le voisin : se dire bonjour
- bonsoir.
·
L’échange
moyen: les services rendus ou demandés
·
L’échange
maximum: recevoir et être reçu, et la possibilité de transformation des relations de voisinage en relation
« entre amis ».
Comme nous le remarquons
les relations de voisinage se manifestent par des actes et des attitudes qui
matérialisent en quelque sorte, son étendue, son contenue et sa fréquence. Ils
nous permettent de relever un certain nombre de pratiques qui ont un caractère
transitionnel mêlant l’intérieur du logement et son environnement immédiat.
c) Le quartier
c.1.- La notion de quartier
Le terme « quartier » a acquis une multiplicité de
significations dans le langage due au fait que le terme renvoie à une réalité
changeante en fonction des réalités socio-urbaines et des aires culturelles.
Si on prend, par exemple, le terme « houma » (quartier en
arabe) employé par les habitants de la médina, il ne recouvre pas la même
réalité socio-urbaine que le terme quartier
employé pour désigner un lieu ou un territoire déterminé en France.
De plus, l’habitant de l’agglomération accorde une place
particulière à son quartier parce qu’il constitue son cadre de vie et le lieu
où se passe une partie non négligeable de son quotidien. Il cherche donc à
l’investir psychiquement et socialement, étant de surcroît le prolongement
immédiat perçu et vécu de son logement.
Le quartier contient plusieurs réalités et relève de différentes
approches que M.J. Bertrand a synthétisé dans son livre « Pratique de la
ville » (Masson, Paris, 1978) en distinguant : « le quartier sociologique, qui est le plus
élaboré, est fondé sur la notion de proximité, de voisinage, car les phénomènes
de partition sociale, politique ou économique rassemblent dans des types
d’habitat caractérisés, dans certains îlots ou groupes d’îlots, des personnes
appartenant à des catégories socialement proches ou
complémentaires » ; mais aussi « le quartier géographique qui apparaît souvent dans un nom, un lieu-dit
.... mais psychiquement cette appartenance (à un quartier) fait que sortir de
son quartier devient pour certains une aventure, toujours un dépaysement. Pour
la ménagère, faire un achat ou une visite « dans le quartier » ou
« en ville » n’a pas la même valeur psychosociale, les comportements,
la manière de s’habiller ne sont pas les mêmes, surtout pour les classes
populaires, les plus captives de leur milieu. Nombre d’habitants ignorent les
autres quartiers de leur cité et cette connaissance diffère selon qu’il s’agit
de l’homme ou de la femme. Dans les grandes villes où aires de résidence et
aires d’activité sont dissociées - problèmes des villes dortoirs et des
migrations alternantes - la femme organise la vie résidentielle et domine dans
la conception mentale du quartier » ; et enfin « le quartier,
secondement, à une réalité
socio-administrative par la polarisation qu’exercent les équipements ...
Les services de plus en plus nombreux réclamés au monde urbain moderne ne sont
pas tous distribués à domicile, certains sont dispensés par des établissements
localisés dans l’espace en fonction des habitants-clients... L’organisation de l’espace est donc liée aux
comportements de consommation des résidents qui habitent, mangent, lisent, se
distraient, ... ».
Les définitions que donne M. J. Bertrand du quartier montrent qu’il
est varié et complexe et ne peut être le fait d’une seule discipline ou d’une
seule approche.
c.2. Les pratiques du quartier
La notion de quartier renvoie à deux aspects importants : le
quartier en tant qu’unité de consommation et le quartier résidentiel.
Ces deux aspects impliquent des pratiques de nature différente parce
qu’elles touchent des niveaux différents de la vie de l’habitant.
c.2.1. Pratique de la vie sociale de quartier
S’interroger sur la pratique de la vie sociale
de quartier conduit à aborder deux niveaux d’analyse : les relations
sociales dans le quartier et l’intensité de la participation sociale à la vie
de quartier.
Dans tous les cas, les rapports de voisinage
sont un indicateurs intéressant de la pratique de la vie sociale qui, associé à
l’analyse de la sociabilité de quartier, permet d’apprécier l’ambiance
spécifique de vie collective de quartier.
Pour rendre plus complète la définition du
quartier l’analyse des pratiques et des habitudes de consommation est
nécessaire.
c.2.2. Les pratiques de consommation
Avant d’aborder les pratiques de
consommation proprement dites, une description du niveau et du type
d’équipement est indispensable.
·
Les
pratiques d’achat
La fréquentation du commerce de quartier organise l’espace de
consommation de l’habitant et implique des pratiques d’achat spécifiques où des
facteurs tels que la proximité du commerce, la nature des produits achetés et
le rapport au vendeur jouent un rôle important.
L’autre intérêt de l’étude des pratiques d’achat au quartier est la
mise en relief de la sélection sociale que ces pratiques opèrent parmi les
habitants consommateurs.
·
Les
pratiques culturelles et ludiques
La
réalité de l’équipement de l’espace urbain nous pousse à évaluer les
possibilités réelles qu’elle recèle en matière d’activités culturelles et de
loisirs.
De
plus, l’aire civilisationnelle à laquelle appartient la Tunisie implique un
contenu particulier de ce que l’on entend par pratiques culturelles et de
loisirs de l’habitant.
Dans
tous les cas, la réaction du résident vis-à-vis de l’existence ou de l’absence
de pratiques culturelles et ludiques est à prendre en considération.
Les
pratiques culturelles et de loisirs constituent la forme la plus expressive de
l’utilisation du temps hors travail et ont donc des significations et une
ampleur à préciser selon les catégories sociales des populations concernées.
A.
CONCLUSION
Le logement :
une vieille question sociale en des termes renouvelés
L'actualité nous apprend chaque jour, qu'aussi bien dans les villes
du monde développé que celles du Tiers-Monde,
les problèmes de logement sont l'ordre du jour. Il ne serait pas faux
d'affirmer qu'en cette fin de siècle, la politique de l'habitat est en face de
situations sociales souvent alarmantes.
Cette hiérarchie dépendant en grande partie du niveau de solvabilité
de la population.
En effet, si on exclut un faible pourcentage de population qui
dispose d’assez de moyens pour s’offrir un logement à sa convenance, on peut
dire que la grande masse des candidats au logement est organisée d’une façon
fortement hiérarchisée à l’égard de l’accès au différents catégories de
logements.
On peut aujourd’hui distinguer six strates principales correspondant
à des catégories de logements et des populations résidentielles distinctes:
1/ Les couches sociales qui disposent de revenus suffisants et
stables qui les autorisent à devenir propriétaires de leur logement, en dehors
de toute aide publique ;
2/ Les couches sociales qui peuvent louer un logement du secteur
privé
3/ Les couches sociales qui peuvent prétendre soit à l’achat, soit à
la location d’un logement ayant bénéficié d’une aide publique.
Ces trois catégories de population sont assez proches les unes et
les autres, et le passage de l’une à l’autre, grâce aux mobilités sociales et
résidentielles, reste possible.
Par contre,
4/ Les personnes et les ménages ne disposant que de faibles
ressources se trouvent réduits à rechercher un logement dans les multiples
formes d’habitats hors normes.
5/ Ceux qui n’ont aucun moyen d’accéder à aucun segment du marché du
logement et qui se trouvent renvoyés à la rue.
Cette classification est valable pour les pays dits
« industrialisés ou avancés » ; dans ceux qu’on désigne par pays
en voie de développement, il faudrait ajouter:
6/ Une catégorie de citoyens pour qui l’important n’est pas de
disposer d’un droit régulier au logement, mais de trouver où se fixer au sein
de l’espace urbain[3].
Nous sommes donc en présence d'une crise du logement qui se posent
en des termes nouveaux puisqu'elle est actionnée par des facteurs différents de
ceux qu'on avait connus, par exemple, à la fin du 19ème siècle.
Les manifestations de la crise peuvent être résumées dans les traits suivants:
·
La
mondialisation et son corollaire, la délocalisation des activités économiques
entraînant la perte d’emploi d’un nombre de plus en plus important de
personnes, c’est une nouvelle menace pour leur situation résidentielle;
·
Le
renchérissement des coûts des logements offerts et la sélection de plus en plus
forte des candidats à l’épargne - logement limitant les possibilités d’accès
des couches moyennes et populaire à un logement décent ;
·
La crise
économique des pays « socialistes » qui a généré une crise du
logement pour des couches sociales qui se sont crues pendant des dizaines
d’années protégées ;
L’élargissement de la pauvreté et de
l’exclusion à des espaces économiques et des couchez sociales qui se croyaient
à l’abri de ces phénomènes de rejet. On trouve aujourd’hui des Sans Domicile
Fixe aussi bien à Calcutta, qu'à New-York et à Moscou.
La recherche d'une réponse à la
crise du logement
Une idée nouvelle est en train de voir le jour : l’urgence est
d’abord dans le traitement de la ville plus que dans la recherche de réponse
directe à la question du logement. Ce qui est donc considéré comme priorité,
c'est la satisfaction des besoins de base des communautés urbaines :
aménagement de voiries, adduction d’eau et d’électricité, construction de
réseaux d’assainissement, organisation de transports en commun, création d’équipement
et de services publics dans les quartiers les plus défavorisés.
Dans les pays en voie de développement de tels aménagements urbains
sont une reconnaissance de fait, par les pouvoirs publics, de ce qui n’était
jusqu’alors que quartiers irréguliers, hors la loi.
Une autre composante des nouvelles politiques du logement et de la
ville vise la création de disponibilités foncières ouvertes aux plus démunis
(petites parcelles de 100,200,300m2). On pense qu’avec cette garantie de la
propriété foncière, la population est capable de s’organiser afin de répondre à
sa demande d’habitat en comptant sur ses propres capacités[4].
Dans les pays développés, pour affronter la crise et trouver des
solutions dans des situations souvent de tension sociale et politique: on a
opéré une sorte d'inversion des priorités de l'économie libérale en faisant
jouer la prééminence du droit au logement sur le droit de propriété. L'appareil
législatif mis en place a permis la réquisition de logements inoccupés au
bénéfice des personnes sans abri.
Enfin, l'approche actuelle de la problématique de l'habitat tend à
mettre en relation la question du logement à la question de l'emploi ( ou de la
lutte contre le chômage ) et à la question de la ville. Et ce n’est qu’en
réfléchissant aux différentes interactions entre ces trois niveaux qu’une
solution à la crise du logement peut être trouvée.
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[1] La notion de
besoin est sujette à de grandes variations de son contenu, selon de multiples
paramètres : dans l’ESPACE et dans le TEMPS, en fonction du contexte
historique, social et culturel, de même que la possibilité de faire valoir et
prendre en compte l’exigence de ce besoin dépend du contexte dans lequel il
s’exprime.
[2] On enregistre un essoufflement du projet de développement global
promue dans les années soixante et qui était assorti de sa composante urbaine
et architecturale, qu’on pourrait résumer dans le mot d’ordre « l’habitat
pour le plus grand nombre ».
[3] L’objectif étant de construire un abri, avec ou sans droit de
propriété, de façon évolutive, à la mesure des économies du ménage et des aides
que l’on recevra et que l’on donnera en retour. Pour ces grandes masses de
déshéritées, « le droit à la ville prime sur le droit au logement ».
[4] Cette démarche d’auto-promotion semble intéressante parce que
souple et évolutive dans le temps en fonction des moyens dont disposent les
ménages intéressés.
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