1ère partie :
Tout est patrimoine Et
Le patrimoine appartient à tous
POLYSEMIE :
1- inflation du sens
Objets ;
ville ; vêtements ; cuisine ; métiers ; jardins, animaux,…
Le patrimoine se colle à plusieurs épithètes : littéraire, musical,
cinématographique, naturel, rural, urbain,…
2- fragmentation de l’usage
Manipulation,
instrumentalisation par différents acteurs
·
Autorités administratives,
politiques ;
·
Médias, journalistes,
TV ;
·
Promoteurs ;
·
Hommes de culture :
cinéastes, plasticiens, designers ;
·
Universitaires,
scientifiques…
·
ONG ; UNESCO,
ICOMOS
=>
FLOU, INCERTITUDES sur le sens
Reconstruction scientifique du CONCEPT :
NETTOYER le Patrimoine des poussières et
scories de l’idéologie
De qui ?
De quoi ? et comment parle-t-on du patrimoine ?
Les définitions du patrimoine selon les dictionnaires
témoignent d’une carence terminologique et sémantique.
Le patrimoine
ne se classe pas dans une définition a priori avant que la société
dans son ensemble ou qu’un ou plusieurs groupes sociaux ne décident qu’il le
devienne.
Le patrimoine
est le résultat d’un changement de regard sur le temps et sur le territoire
qu’accompagne la construction d’un sens et des représentations du monde qui nous
entoure.
L’idée du
patrimoine s’articule a 4 dimensions fondamentales
1-
Le temps historique
2- Le territoire à ses
différentes échelles (architecture, urbanisme, paysage, environnement…)
3-
Les acteurs sociaux
4- Le référentiel cad
des contenus et des représentations
En fait le
patrimoine étant dynamique et évolutif, il serait plus pertinent de parler de patrimonialisation …
Le
référentiel Temps historique
Patrimoine
Acteurs sociaux Territoire
1-
Le Temps historique:
« conjugaisons du temps social : mise au
présent du passé, mise au passé du présent » (Henri Rousso)
Dans l’histoire
occidentale, le patrimoine voit le jour avec
C’est le
résultat d’une désacralisation, laïcisation du rapport au monde. L’homme
devient le sujet et le centre de l’univers… la dimension religieuse est évacuée
de la sphère publique entraînant une laïcisation des objets et des pratiques.
• L’objet
d’art n’est plus au service de la religion
•• L’objet
est choisi par le regard occidental moderne pour son intérêt pour l’histoire,
pour le plaisir de l’art indépendamment de ses finalités premières. L’objet,
symbole intemporel de la divinité, devient le témoin d’une activité humaine à
répertorier.
Ø Jusqu’à fin du XVIIIe siècle : les monuments
historiques vont s’appeler les antiquités
Ø
A partir du XIXe
siècle :
- mise en place
d’une action de conservation et d’une législation du patrimoine
- éveil de
l’intérêt pour le patrimoine urbain (réaction face à la destruction des vieux
centres-villes)
Ø
Au XXe siècle :
·
1931 : Conférence
d’Athènes : conservation du patrimoine
·
1964 : Chartes
de Venise (UNESCO-ICOMOS)
·
1972 : Adoption
à Stockholm de la notion de patrimoine mondial
·
A partir de 1990 :
-
l’environnement est patrimonialisé comme objet de responsabilité collective de
l’avenir. Non comme objet d’une transmission au sens propre.
- démarrage
d’un processus de patrimonialisation du paysage
2- Le territoire :
Etalement
géographique du patrimoine :
Valorisation
du passé : =>de territoires limités => d’une nation => d’une aire
civilisationnelle (en l’occurrence l’Occident) =>des pays du tiers Monde
=> de l’ensemble de la terre => de l’univers (y compris l’espace
interstellaire)
v La naissance, l’évolution de l’idée de protection du patrimoine
est un processus propre au continent
européen qui accompagne la construction des nations aussi bien sur le plan
identitaire que territorial.
v Le nationalisme patrimonial laisse aujourd’hui sa place à
l’internationalisation du patrimoine (« le patrimoine commun de
l’humanité »)
Le patrimoine fut exporté dans un
premier temps vers les sociétés sous domination occidentale et ensuite vers le
reste du monde (plus de 700 sites dans 122 pays sont inscrits sur la liste du
« patrimoine mondial » établie en 1972)
La notion de patrimoine commun de
l’humanité signifie que l’assise territoriale ancienne de l’Etat-nation est
remplacée par celle de l’espace mondial entendu comme un espace économique
commun ouvert au jeu des lois du marché (OMC).
Remarque :
Le patrimoine mondialisé est de plus en plus la matière première d’une
industrialisation de la culture (2ème source mondiale après le
Pétrole) qui conduit à une uniformisation des consciences, des comportements et
des lieux (risque de « disneylisation »)
3- Le referentiel:
Extension du
contenu de patrimoine : Objet, œuvres d’art d’une époque => production
matérielle et intellectuelle de l’homme => nature.
L’histoire
des mutations référentielles passe par 4 étapes principales :
1ère
étape : désacralisation du patrimoine et valorisation du patrimoine
antique (essentiellement gréco-romain)
2ème
étape : passage de la conservation d’un patrimoine unique à la notion
de patrimoine national (nouvelle assise territoriale)
Annexion aux
grands monuments religieux d’autres types d’architectures : vernaculaire,
populaire, utilitaire (industrielles)
3ème
étape : passage du monument historique (l’objet architectural) à
l’espace urbain (patrimonialisation des vieux centres urbains)
4ème
étape : passage du patrimoine urbain au patrimoine naturel,
environnemental, paysager… On passe de la sphère du culturel (œuvre d’art,
architecture, ville…) à celle du naturel (génome, montagne, eau, littoral,
plantes…)
2 remarques à propos de la transition de l’architectural vers
l’urbain :
R1 :
La possession :
Cette
transition empêche la possession privative précédemment possible avec les
objets et les monuments…
On peut être
propriétaire d’un palais, mais peut-on posséder une ville ou un quartier ?
R2 :
L’utilisation :
Cette
transition crée une contradiction entre la fonction d’origine et la fonction
patrimoniale de l’objet conservé. Usure ou conservation ?
Un tissu
urbain ne peut subsister que vécu, c’est à dire utilisé (usure) alors que la
patrimonialisation implique la protection ou, du moins, une limite à imposer à
l’usage et à l’utilisation.
4- Acteurs sociaux :
Le discours
sur le patrimoine porte la marque d’une évolution en cercles concentriques du
plus en plus larges en passant de l’individu => famille => société =>
nation => humanité tout entière
On assiste
également à une inflation du public des utilisateurs du patrimoine :
habitants, commerçants, visiteurs, touristes, enfants,…
•
L’amplification du public des bénéficiaires de la patrimonialisation entraîne
une implication plus prononcée et plus forte sur les plans financier, des
représentations culturelles et mentales et du mode de vie…
•• Le culte
de l’ancien remplace de plus en plus le moderne en tant que moyen de
valorisation de couches de plus en plus importantes de la société :
artistes, intellectuels, universitaires, grands patrons,…
••• Le
patrimoine (de l’UNESCO) impliqué par la mondialisation fait vendre des espaces
de plus en plus importants aux touristes. La logique commerciale supplante
progressivement la logique culturelle avec tous les risques de perversion de
sens et des objectifs de la patrimonialisation.
- La gestion du patrimoine est
aujourd’hui une tâche complexe. Elle fait appel à un système d’acteurs
avec des enjeux et des stratégies multiples : paysagistes,
architectes, urbanistes, conservateurs, restaurateurs, ingénieurs,
juristes, politiques élus, chercheurs…
2ème partie :
Si le patrimoine est une invention occidentale, une question se pose
alors : EXISTE-T-IL du patrimoine arabo-musulman?
Un
constat : La mise en patrimoine accompagnant le phénomène colonial fut
un processus exogène aux sociétés du tiers-monde, une revendication occidentale
parfois soutenue par des élites politiques-relais.
- En occident :
-
La désacralisation d’objets
symboles intemporels de la divinité en a fait des témoins de l’activité humaine
précisément datés et répertoriés ;
- Dans les pays
arabo-musulmans :
-
Il y a une aversion originelle de
l’islam pour le culte des reliques et des édifices. Les constructions et les
décorations des monuments (mosquées ou sites archéologiques) sont considérés
périssables de la même façon que l’homme. Les rénover, les détruire ou les
transformer n’est pas contraire au dogme, seule la sacralisation de ces
monuments, traces de l’activité humaine en constitue un blasphème. Ce qui doit
être conservé et protégé dans la religion musulmane ce sont les pratiques du
culte considérés comme immuables et donc a-historiques.
- En occident :
-
Passage d’une conception du temps
historique comme succession de manifestations divines à un temps progressif,
cumulatif qui distingue des périodes (antique, médiévale,…) fait référence à
une conception profane d’historien de l’art.
- Dans les pays
arabo-musulmans :
-
Dans la culture musulmane, le lien entre la connaissance du monde
sensible et l’ordre divin du monde n’est pas entièrement brisé. le temps est éphémère comme les objets et il
n’y a de monde infini que celui du Paradis et de l’Enfer. Toute la société
musulmane vit quotidiennement et annuellement en fonction d’un certain nombre
de rites (cinq prières, mouled, aïd, achoura, etc.) qui viennent rythmer et
organiser le temps social de la communauté.
Les ambiguïtés de l’adhésion des sociétés
musulmanes à
Il se dégage
actuellement 2 attitudes en opposition par rapport au patrimoine et à sa
protection :
1- Les modernistes-réformateurs :
- Dans une première phase (les
indépendances), les élites politiques des pays arabes et musulmans ont eu
tendance plus au renouvellement qu’à la conservation du patrimoine :
se débarrasser du poids du passé qu’on ne peut ou on ne veut pas assumer.
MAIS la modernité est tributaire de l’occident et ses liens réservent des
surprises.
- Dans une seconde phase (années 60),
ce sont les pays occidentaux qui vont envoyer vers les ex-colonies des
signaux réclamant la protection des vieux tissus, créant le trouble chez
les modernistes et rendant encore plus ambiguë la notion de patrimoine.
- Le patrimoine protégé, nouveau
signe d’adhésion à la modernité, finit alors par avoir une vocation
touristique, perd ses racines culturelles et ne contribue nullement à la
construction de l’identité nationale. Les autorités et les populations des
pays arabo-musulmans se transforment en « gardiennes » du
patrimoine pour le regard du visiteur occidental.
- Actuellement, on met en place une
approche « vernaculaire » du patrimoine : la conservation
est délaissée au profit d’une patrimonialisation de l’activité elle-même
(les métiers de l’artisanat) qui permet de reproduire les objets qu’on
n’aurait donc pas besoin de protéger.
- D’une manière générale, la défense
du patrimoine reste encore du domaine du discours et de l’engagement
intellectuel portés par les élites, c'est-à-dire une fraction limitée des
acteurs sociaux. Les sociétés arabo-musulmanes ont du mal à faire la
synthèse entre les valeurs de l’islam à conserver et celles de l’occident
à adopter.
2- Les traditionalistes-intégristes :
- Le monument religieux musulman ne fut
jamais considéré comme la demeure de la divinité, mais comme le lieu de
rassemblement de la communauté qui ne nécessite pas de mesures de
conservation particulière. D’autant plus que la tradition musulmane a
toujours regardé avec suspicion la volonté de pérenniser toute œuvre
humaine.
- La protection du monument ou de
l’espace urbain doit être assurée par la gestion communautaire, son
authenticité serait garantie par l’adhésion de communauté à la loi divine
d’une part, et par le respect des pratiques rituelles sanctifiées par le
texte, d’autre part.
- Paradoxalement, les
traditionalistes ne sont pas contre toute action de rénovation du
patrimoine ou de modernisation de l’environnement construit à condition
qu’elle se limite à ses aspects matériels et qu’elle soit conforme aux
préceptes de l’islam.
3ème partie :
patrimoine urbain :
problématique et axes de recherche
Le
patrimoine au sens où on l'entend aujourd'hui dans le langage officiel et dans
l'usage commun, est une notion qui couvre de façon vague tous les biens
culturels et naturels hérités du passé.
Cette
extension typologique du patrimoine, s'accompagne d'une extraordinaire
diffusion géographique et d’une inflation sémantique qui touchent à l'heure
actuelle presque tous les pays du monde.
Si
les discours et les travaux scientifiques à propos de patrimoine ne manquent
pas, ceux-ci se limitent trop souvent à des prises de positions doctrinales
(qu’est-ce qui doit être protégé ou pas, pour ou contre telle ou telle manière
d’opérer en matière de sauvegarde, etc) ou à une tentative de construction
d’une définition globale de ce que serait « Le » patrimoine.
Rares
sont, par contre, les recherches portant sur les processus même de
patrimonialisation et leur compréhension.
1-
- Au premier niveau se situe l'ensemble des
interrogations ayant trait au processus de patrimonialisation ;
- Le second niveau est lié aux modes et
pratiques de gestion du patrimoine.
2- Le processus de patrimonialisation.
Le processus de patrimonialisation nous pousse à nous
interroger sur les discours et les enjeux politiques et culturels, économiques et sociaux, locaux et
internationaux. En tant que construit social, la notion du patrimoine est intrinsèquement liée au
contexte socio-historique et politique où elle émerge et évolue. Les
différentes acceptions qu'on lui attribue, la définition de son contenu, les critères de sélection des objets à sauvegarder et les moyens mis en oeuvre, changent au gré des idéologies, des référents culturels, des conflits, des rapports de force, des pratiques et des perceptions. Identifier et analyser les phases
successives du processus en les restituant dans leur contexte historique constitue donc un premier axe de recherche incontournable.
Pour être pertinente, l'approche de la gestion du patrimoine doit s'inscrire
dans une approche plus globale de la gestion urbaine. Quels que soient les objets qui
seront privilégiés dans l'analyse, monuments ou ensembles urbains, il s'agit
d'abord d'identifier à l'échelle d'une ville les acteurs de la gestion urbaine, leurs prérogatives, les modes de gestion adoptés, les instruments et le cadre législatif et institutionnel.
Il s'agit ensuite de s'interroger sur la place qu'occupe le patrimoine et sa sauvegarde dans les plans d'aménagement
urbain, s'interroger sur les notions de
réhabilitation, de restauration, de rénovation urbaine et de mise en valeur,
quels sont leurs contours et leurs contenus, quels types d'outils ils ont
générés, quels modes d'organisation et d'exploitation des informations et des
données recueillies en amont.
Enfin, la question de l’échec de certains processus de
patrimonialisation mais aussi celle de la non-patrimonialisation de certains
objets pourront également être abordées : pourquoi certains objets, au
moins comparables à défaut d’âtre identiques, peuvent-ils être patrimoine là et
non ailleurs aujourd’hui et non hier ?
Moncef BEN SLIMANE
Professeur
d’urbanisme
Juillet 2005
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