mercredi 13 janvier 2021

Les composantes de l'espace dans les Sciences Humaines et Sociales

 

 

SOMMAIRE

                                                                                              Page

Préface

Introduction

L’espace-temps : de la cosmologie à la science

Les conceptions de l’espace-temps dans les différentes cultures

Le passage d’une conception anthropomorphique et religieuse à une conception scientifique de l’espace 

 
Les philosophes et l’espace

Aristote (384-322 avant J-C)

Descartes (1596-1650)

Kant (1724-1804)

 

La psychologie de l’espace

Perception et espace 

La perception de l’étendue et de l’espace 

L’instrumentalisation de l’espace par la psychologie clinique 

 

Piaget et l’espace de l’enfant

La première enfance 

La seconde enfance 

La troisième enfance 

La puberté-adolescence 

 
Les coquilles de Moles

Les huit coquilles spatiales

L’individu entre errance et enracinement 

 
Distances, espace et proxémique

La distance et la proxemié 

Autres approches de l’espace personnel 

 
Lynch et l’image de l’espace

Les nœuds

Les voies

Les quartiers 

Les points de repère

Les limites

Ethologie, Comportement et Territoire

Ethologie animale 

L’Ethologie humaine 

Le territoire et la territorialité 

Les significations socio-culturelles du territoire 

 
Espace – Société – Culture

Les leçons de l’histoire 

Sociologie et anthropologie de l’espace 

Durkheim 

Marcel Mauss 

Claude Lévi-Strauss

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Préface

 

 

Ce cours a une longue histoire. Il a plus de vingt ans, un temps passé à essayer d’enseigner aux étudiants-architectes, ce fonctionnement des hommes et des sociétés pour lesquels ils bâtissent. Cette activité d’enseignement des sciences humaines et sociales dans une école d’architecture, sans cesse objet de débats et de contestations, m’a beaucoup appris sur ce qu’étaient :

·      une activité d’aménagement des lieux que l’homme et la société habitent,

·      l’espace qui m’apparut de plus en plus comme une sorte de prisme dont chaque facette devait être éclairée par une discipline particulière des sciences humaines. La construction du sens de cet espace étant le résultat de la fusion de tous les éclairages précédents.

Comment se constitue l’espace humain ? Comment se construisent l’être humain et la société dans leurs interactions avec l’espace, les autres hommes et les autres sociétés ?

Le cours tente de répondre à ces questions en adoptant une approche transversale qui s’articule autour quelques concepts et auteurs : les coquilles (A. Moles) ; la bulle (E. Hall) ; la carte mentale (K. Lynch) ; le territoire (recherches en éthologie) …

M’adressant à des bacheliers provenant essentiellement des sciences « dures ». Il m’apparut essentiel de les sensibiliser à la relativité comme à la complexité de la connaissance que nous avons de notre environnement construit, et de les mettre en garde contre tout systématisme dans l’analyse des rapports tissés par l’ homme avec ce même environnement. Cet objectif du cours j’ai essayé de le concrétiser par le biais d’une illustration de tout le chemin parcouru par l’humanité pour passer de conceptions de l’espace-temps influencées par la cosmologie antique et les religions, à des conceptions « plus » scientifique et moderne de l’espace.

Puis sont abordés les rapports espace-société, à partir de l’apprentissage, des comportements, du filtre de la perception de l’individu en mettant en exergue l’importance de l’affectivité, de l’imaginaire et des référents culturels.

On peut alors examiner l’espace vécu, la pratique de l’espace et le territoire, l’appropriation de l’espace par les objets avec ses limites dues à des contraintes ( pas toujours physiques et matérielles comme semblent le croire les étudiants architectes ) culturelles et psychologiques. Enfin, la représentation de l’espace est analysée à partir des cartes subjectives, ces images mentales qui sont construites à partir des signaux qui nous proviennent de note environnement : quartier, maison, paysage …

Finalement le but à atteindre à la fin du cours, c’est la prise de conscience par l’étudiant que l’espace et le temps ne sont pas  « des données immédiates de la conscience », d’abord parce qu’on les utilise le plus souvent en dehors de tout phénomène conscient, ensuite, parce qu’ils ne sont pas « donnés » mais construits. La comparaison des comportements spatiaux dans diverses cultures lui permettra de saisir que le fonctionnement de chaque homme, de chaque société, est unique et spécifique à travers des processus relationnels identiques pour tous.

Ce cours semble intéresser les étudiants (es) et mes collègues me disent qu’il semble bien « passer » ; je ne sais pas dans quelle mesure cela est exact, mais, alors que j’enseigne en premier cycle, j’eus fréquemment la surprise de voir resurgir ces notions lors des soutenances du diplôme d’architecte, alors que je les croyais oubliées. Une autre anecdote qui confirme mes dires : une jeune enseignante-architecte (A.G), qui suivit ce cours lorsqu’elle était étudiante, me contacta à la fin de l’épreuve d’examen de ma matière lors de la session de mai 2003, pour me dire avec une pointe de fierté : « Monsieur, j’ai lu les questions de votre épreuve et j’ai répondu juste 10 ans après avoir suivi votre cours ! ».

Bien sûr, il y a certainement dans ce cours des passages qui sont trop longs, d’autres redondants ou trop allusifs. Je souhaite que les lecteurs pardonnent ces fautes et je leur serais reconnaissant de leurs observations, critiques et enrichissements.

 

Moncef BEN SLIMANE

  ENAU, juin 2003

 

 

 


Introduction

L’espace-temps : de la cosmologie à la science

 

Les hommes, dès qu’ils ont organisé leur vie en groupe ou en société, ont cherché à comprendre les rapports qui les lient à leur environnement. Ils ont essayé de trouver des explications aux relations qui existent entre la nature, l’individu et la société.

L’une des premières formes d’expression d’une pensée humaine organisée dont le rôle est de formuler un discours sur la place[1] qu’occupe l’homme dans l’espace, fut la cosmologie antique.

La cosmogonie est l'exemplaire type de toutes les constructions. Chaque ville, chaque maison nouvelle que l'on bâtit, c'est imiter une nouvelle fois et en un certain sens répéter la Création du Monde. En effet, toute ville, toute habitation se trouve au « centre de l'univers » et à ce titre, la construction n'en a été possible que moyennant l'abolition de l'espace et du temps profanes et l'instauration de l'espace et du temps sacrés. De la même façon que la ville est toujours une imago mundi, la maison est un microcosme. Le seuil sépare les deux espaces ; le foyer est assimilé au centre du monde. Le poteau central de l'habitation des peuples primitifs (Urkultur de l'école Graebner-Schmidt) arctiques et nord-américains (Samoyedes, Aïnou, Californiens du Nord et du Centre, Algonquins) est assimilé à l’Axe cosmique. Quand la forme de l'habitation varie (par exemple chez les pasteurs-éleveurs de l'Asie centrale) et que la maison est remplacée par la yourte, la fonction mythico-religieuse du pilier central est assurée par l’ouverture supérieure destinée à l'échappement de la fumée. A l'occasion des sacrifices, on introduit dans la yourte un arbre dont la cime débouche par cette ouverture. L'arbre sacrificiel avec ses sept branches symbolise les sept sphères célestes. Ainsi, d'une part, la maison est homologue à l'Univers, et d'autre part, elle est regardée comme sise au « centre » du monde, l'ouverture ménagée pour la fumée se trouvant en face de l'étoile polaire. Chaque habitation, par le paradoxe de la consécration de l'espace et par le rite de construction, se voit transformée en un « centre ». De sorte que toutes les maisons - comme tous les temples, les palais, les cités - se trouvent situées en un seul et même point commun, le Centre de l'Univers. Il s'agit là, on s'en rend compte, d'un espace transcendant, d'une tout autre structure que l'espace profane, compatible avec une multiplicité et même avec une infinité de « centres » (...).

M. Eliade, Traité d’histoire des religions

Aussi les premières approches de l’espace se sont confondues avec de multiples visions du cosmos où la conception du monde physique, de l’environnement matériel de l’homme était encore prisonnière d’un ordre spirituel. Ce lien entre la connaissance du monde sensible et l’ordre divin du monde, ne va se briser qu’avec la Renaissance.

L’attitude humaine envers la nature passa d’une attitude passive, où l’homme se limite à contempler l’espace, à une attitude pragmatique et active où il s’intéresse plutôt à ce qu’on pourrait en faire.

L’homme de l’antiquité examinait l’univers et y voyait comme des sphères concentriques à partir du milieu terrestre jusqu’à la sphère illimitée de « l’Esprit divin ». Il pensait que cet espace environnant n’est pas toute la réalité, qu’il est comme entouré et pénétré par une réalité à la fois plus grande et plus subtile, la volonté et la puissance divines.

Mais que ce soit l’homme de l’antiquité ou l’homme d’aujourd’hui, le besoin impérieux de se situer dans l’espace et dans le temps, de définir un système spatio-temporel de référence, a toujours été présent. C’est en effet par rapport à ce système que l‘homme organise les diverses perceptions et actions dans ce qui est en dehors de son corps, en fonction de ses projets, son histoire, ses craintes et contraintes du réel. Pour cette raison probablement, ont été bâtis une multitude de systèmes spatio-temporels qui rendent intelligible l’univers de l’homme et des sociétés.

Ces divers discours sur l’espace et le temps ne sont d’une certaine façon ni plus « faux » ni plus « justes » les uns que les autres. La vérité de chaque modèle spatio-temporel, qui est bien sûr relative, nous permet de mieux comprendre comment l’homme se fabrique une théorie pour rendre compte, en transitant par son imaginaire, de la réalité à laquelle il est confronté.

L 'ethnologue devra donc toujours distinguer entre les deux situations où il risque de se trouver placé. Il peut avoir à construire un modèle correspondant à des phénomènes dont le caractère de système n'a pas été perçu par la société qu'il étudie. C'est la situation la plus simple, dont Boas a souligné qu'elle offrait aussi le terrain le plus favorable à la recherche ethnologique. Dans d'autres cas, cependant, l'ethnologue a affaire, non seulement à des matériaux bruts, mais aussi à des modèles déjà construits par la culture considérée, sous forme d'interprétations. J'ai déjà noté que de tels modèles peuvent être très imparfaits, mais ce n'est pas toujours le cas. Beaucoup de cultures dites primitives ont élaboré des modèles - de leurs règles de mariage, par exemple - meilleurs que ceux des ethnologues professionnels. Il y a donc deux raisons pour respecter ces modèles « faits à la maison ». D'abord, ils peuvent être bons, ou, tout au moins, offrir une voie d'accès à la structure; chaque culture a ses théoriciens, dont l’œuvre mérite autant d'attention que celle que l'ethnologue accorde à des collègues. Ensuite, même si les modèles : sont tendancieux ou inexacts, la tendance et le genre d'erreurs qu'ils recèlent font partie intégrante des faits à étudier ; et peut-être comptent-ils parmi les plus significatifs. Mais, quand il donne toute son attention à ces modèles, produits de la culture indigène, l'ethnologue n'aura gardé d'oublier que des normes culturelles ne sont pas automatiquement des structures. Ce sont plutôt d'importantes pièces à l'appui pour aider à découvrir celles-ci : tantôt documents bruts, tantôt contributions théoriques, comparables à celles apportées par l'ethnologue lui-même.

Durkheim et Mauss ont bien compris que les représentations conscientes des indigènes méritent toujours plus d'attention que les théories issues - comme représentations conscientes également - de la société de l'observateur. Même inadéquates, les premières offrent une meilleure voie d'accès aux catégories (inconscientes) de la pensée indigène, dans la mesure où elles leur sont structurellement liées. Sans sous-estimer l'importance et le caractère novateur de cette démarche, on doit pourtant reconnaître que Durkheim et Mauss ne l'ont pas poursuivie aussi loin qu'on l'élit souhaite. Car, les représentations conscientes des indigènes, tout intéressantes qu'elles soient pour la raison qui vient d'être indiquée, peuvent rester objectivement aussi distantes de la réalité inconsciente que les autres.

Cl. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale

Les conceptions de l’espace-temps dans les différentes cultures :

La nécessité de la mesure se fit présente très tôt au sein des organisations sociales. On a d’abord compté en utilisant les segments du corps ; puis, les distances à la marche mesurée en temps. Euclide crée la géométrie pour rendre compte d’un monde harmonieux où des cercles et sphères parfaits vont permettre de se représenter un cosmos harmonieux dont l’image se retrouve dans l’espace circulaire de l’agora de la ville grecque.

Si on prend l’exemple du système temporel maghrébin, nous noterons que le terme « Dahr » دهر)) signifie la durée, le laps de temps indéterminé, mais il veut dire également les vicissitudes du sort auquel l’homme est soumis. En grammaire arabe, le temps du verbe est centré non sur l’acte et l’état de l’agent, comme dans les langues européennes, mais sur l’action elle-même.

Dans la culture musulmane, le temps vécu est une suite discontinue d’instants ponctuels, et il n’y a de monde infini que celui du Paradis et de l’Enfer. Toute la société musulmane vit quotidiennement et annuellement en fonction d’un certain nombre de rites (cinq prières, mouled, aïd, achoura, etc.) qui viennent rythmer et organiser le temps social de la communauté.

L’Algérie a été le terrain d'expérience sur lequel l'esprit militaire, comme dans un test projectif, a plaqué ses structures. Souvent investis d'une autorité de fait absolue, les cadres de l'armée ont décidé de tout, de l'emplacement du village, de son plan, de la largeur des rues, de la disposition intérieure des maisons ; ignorant ou voulant ignorer les normes et les modèles traditionnels, peu enclins à consulter les populations concernées, placés dans une situation telle que, l’auraient-ils recherchée, cette participation leur eût été tacitement refusée, ils ont imposé leur ordre, sans percevoir, le plus souvent, le malaise et le désarroi que suscitaient leurs initiatives. A la façon du colonisateur romain, les officiers chargés d’organiser les nouvelles collectivités, commencent par discipliner l’espace comme si, à travers lui, ils espéraient discipliner les hommes. Tout est placé sous le signe de l'uniforme et de l’alignement : construites selon les normes imposées en des emplacements imposés, les maisons se disposent, tirées au cordeau, le long de larges rues qui dessinent le plan d'un castrum romain ou d'un village de colonisation. Au centre, la place avec la triade caractéristique des villages français, école, mairie, monument aux morts.

Les transformations progressives du mode de vie et des normes culturelles, sont ici imposées du dehors, par des autorités obstinées à refuser de reconnaître les modèles et les valeurs qui dominent la vie paysanne et qui s'expriment à travers l’habitat traditionnel (clôture, cour, absence d'ouvertures, etc.) (...) En bouleversant l’organisation de l’espace de vie, aire de l’action technique et rituelle, le regroupement altère les rythmes temporels qui en sont solidaires ; de plus, en imposant des contraintes arbitraires et en perturbant le rythme des activités quotidiennes, il affecte toute l’expérience de la temporalité. Dans la société traditionnelle, le rythme de la vie sociale que scande le retour périodique des activités techniques et rituelles, accomplies au même moment et souvent en commun par tous les membres du groupe, est à la fois principe d'organisation et force d'intégration. (...)

Les fellah’in ont toujours connu des périodes plus ou moins longues d'activité ralentie ; mais elles s'inscrivaient dans le cycle coutumier, fixé par la tradition, et solidaire des rythmes naturels. Or, avec le regroupement, ces cycles et ces rythmes sont altères ; par suite, ce qui est mis en question, ce n'est pas seulement la quantité objective de travail fourni, mais la distribution du travail et du non-travail dans le temps. Le paysan découvre le temps comme pouvant être perdu, c'est-à-dire l’opposition entre le temps vide ou perdu et le temps plein ou bien rempli, notions étrangères, de fait et d'essence, à la logique de l’économie pré-capitaliste. Le temps vide, éprouvé dans l’ennui, ne se laisse plus définir désormais qu’en termes négatifs par opposition au temps de loisir ou au temps de travail. Il n'est plus temps qui passe mais temps perdu ou dépensé, et maintenant il est vécu comme tel, parce que l’expérience que le chômeur forme de la durée enferme la référence explicite ou implicite à la vision capitaliste du travail et de la temporalité, condition de la conscience du chômage. Le temps chômé est temps vide aussi bien par opposition au temps que l’économie tournée vers la productivité tient une pour pleinement occupé que par opposition au temps propre à l’économie traditionaliste : en effet, n'ayant d'autre fin que de permettre au groupe de durer, celle-ci ne pouvait faire apparaître comme vide une expérience de la durée qui était à elle-même sa propre mesure.

Les rythmes nouveaux auxquels doivent se soumettre les paysans, avec le couvre-feu et la longueur accrue des trajets, tendent à supplanter les rythmes traditionnels. Des repères temporels tels que les heures d'ouverture et de fermeture des bureaux, l'entrée et la sortie de l'école - qui divisent la journée en deux moments - la sonnerie à heures régulières du téléphone de la tour de contrôle, les tours de garde et les rondes de la harka, le passage du facteur, l’ouverture de l'infirmerie et, à Matmata par exemple, la mise en service de la fontaine, se substituent aux repères traditionnels, tels que les cinq prières, et favorisent une nouvelle expérience de la durée : le temps scandé céde la place au temps mesuré et la montre commence à régler la vie de certaines catégories de gens.

La liberté d'organiser son travail et d'en définir le rythme ne fait qu'un avec le sentiment de familiarité qui unit le paysan à sa terre.

P. Bourdieu, A. Sayad, Le Déracinement

Chez les Mésopotamiens, on considérait que le passé se trouve devant soi. Les expressions qui désignent en akkadien et en sumérien, le passé et le futur signifient l’avant et l’arrière. Le passé est connu et se trouve donc devant l’homme. Celui-ci progresse donc vers le futur à reculons en tirant son expérience et en prenant pour exemple les événements passés, réels ou mythiques. La notion de progrès semble complètement  absente. Les connaissances qui sont transmises grâces à la tradition peuvent être enrichies au fil du temps, mais elles sont considérées comme complètes intrinsèquement, presque parfaites, et on n’y ajoutera que des variantes interprétatives. On retrouve la même conception en islam avec les mots « Taqlid », تقليد) ) qui veut dire tradition et « ijtihad », qui n’est qu’une interprétation de la tradition. L’avenir est inclus dans le passé ce qui nous mène à la notion d’éternité. On pourrait donc considérer que l’origine et la fin des temps sont perçues sur le modèle cyclique du voyage du soleil.

Par contre, le philosophe grec Aristote considère : « (qu’) Il ne peut y avoir de temps sans changement : lorsqu’en effet nous-mêmes, nous n’avons aucun changement en notre esprit, ou que cela a lieu à notre insu, il ne nous semble pas qu’il se soit passé du temps… S’il nous arrive de ne pas penser qu’il y a du temps, c’est que nous ne pouvons déterminer aucun changement et que notre âme paraît rester dans un état un et indivisible, alors que nous disons qu’il s’est passé du temps lorsque nous avons des sensations et des déterminations ».

Le système du christianisme va faire apparaître la notion de référence : le temps du Christ devient le point de départ du temps linéaire. Le christianisme considère le temps comme déterminé par et pour un événement décidé et choisi par dieu à une fin précise (la naissance du Christ). Pour l’islam, c’est l’Hégire qui correspond à la fuite de Mahomet à Médine.

Il faudra attendre de nombreux siècles pour que l’humanité arrive à unifier la mesure du temps de la terre, puisque c’est en 1885 seulement, qu’on organise les fuseaux horaires à partir du méridien de Greenwich. Avant cette date, on a observé, en Europe à la fin du XVIIIé siècle, une opposition entre le temps de l’agriculture et le temps des villes où sont apparus les horloges mécaniques qui vont permettre de mesurer le temps.

Toutes les considérations précédentes nous montrent à quel point la conception de l’espace-temps est une traduction des représentations qui ont été élaborées par des sociétés très différentes cosmologie pour expliquer, souvent sous une forme religieuse, leurs rapports au monde.

Dans la civilisation pharaonique tout tourne autour de la mort[2] qui joue le rôle d’un interface entre le territoire et le temps de la vie ici bas et ceux de l’au delà.

Les espaces tels que le tombeau, le temple ou la maison, sont conçus et construits avec l’idée qu’ils sont une image réduite du monde en même temps qu’un lieu de rencontre et de passage entre le monde des vivants et le monde des morts, entre le visible et l’invisible.

En outre, chaque cité traditionnelle devait contenir sur son territoire un certain nombre de lieux géographiques précis dont l’ensemble constitue un réseau sacré favorisant le lien ou le mariage entre le ciel et la terre. Ainsi en Egypte, les dieux étaient définis dans chaque grande ville et c’est à partir de chaque dieu local que se faisait la création du monde. Par exemple, Ré (le dieu soleil) fut d’abord un dieu local.

A Rome, seul peut-être considéré sacré, le terrain ou l’édifice qui a été désigné comme tel par une loi émanant du peuple romain. La ville est ainsi parsemée de temples dont les plus anciens sont en fait de simples quadrilatères dépourvus de construction et entourés par une palissade de bois. Ils marquent le lieu d’observation des augures[3] dont le regard ne doit être gêné par aucune construction.

Avec la pensée de la délimitation spatiale se développe la forme de la définition logique et mathématique. Limite et illimité, péras et apeiron s'opposent chez les pythagoriciens et chez Platon, comme le déterminant et l'indéterminé, comme la forme et l'informe, comme le Bien et le Mal. (...) Le langage a conservé des traces souvent encore vivaces de cette corrélation ; par exemple, l'expression latine pour désigner l'observation théorique et l'intuition pure, contemplari, remonte, par l'étymologie et le contenu, à l'idée du templum, du fragment d'espace dans lequel l'augure effectue son examen du ciel (...) Templum en effet (en grec, téménos) remonte à la racine tem-, couper, et ne signifie donc rien d'autre que ce qui est découpé, ce qui est délimité. En ce sens, il désigne d'abord le domaine consacré, qui appartient au dieu, pour ensuite s'appliquer à n 'importe quelle parcelle délimitée de terre, un champ ou un terrain planté d’arbres, qu’ils appartiennent à un dieu, à un roi ou à un héros.

E. Cassirer, La Philosophie des formes symboliques

La fondation de la ville romaine devait observer un certain nombre de rites dont « le limitatio » qui consiste en un creusement d’un sillon au moyen d’une charrue qui sert à délimiter la zone urbaine, c’est à dire l’espace entièrement contrôlé par les hommes dans un environnement hostile. C’est à l’intérieur de cet espace que seront recueillis les auspicia urbana, ces signes, positifs ou négatifs, envoyés par les dieux, et en fonction desquels se détermine toute action intéressant la communauté.

Cette division du territoire entre espace consacré et espace profane, nous la retrouvons dans le calendrier romain qui organise le temps en deux moments différents : les jours fastes et néfastes, les fêtes religieuses et jours  ordinaires de la vie profane.

Un autre phénomène social et culturel tel que le pélerinage vers un lieu sacré a également joué un grand rôle pour les hommes et les sociétés qui ont cherché à exprimer le lien particulier qui les unit à l’espace et au temps.

Le pèlerinage, c’est d’abord une route, un voyage au cours duquel le pélerin parcourt l’espace et traverse des territoires où il est perçu comme un étranger, un nomade, par les sédentaires. Au cours de son périple vers le lieu sacré, le pèlerin assiste à une transformation autant spirituelle que matérielle de sa personne qui est soumise à un certain nombre d’épreuves et de rites ; le but à atteindre étant de remplacer progressivement l’âme de l’homme ordinaire par celle du pèlerin (le Haj, chez les musulmans).

L’aboutissement du voyage se fait dans un espace précis en un jour précis, c’est le jour de la célébration du temps sacré dans l’espace sacré, un jour de fête collective avec des offrandes qui marque un temps de fraternité, de salut commun et de puissance collective (exemple : le rassemblement de la communauté musulmane, la Umma, à la Mecque). Le corps doit redevenir sain, à la recherche de l’éternité ou d’une nouvelle naissance.

Ainsi les hommes ont créé des espace-temps qui, à travers de multiples systèmes, utilisent tous des procédés analogues, pour obtenir des résultats différents mais où le symbolique et le sacré sont fixés dans leur espace-temps vécu.

Il est important de relever que toutes ces mesures du temps et de l’espace, d’une part, sont conçues en fonction de l’usage quotidien et, d’autre part, n’ont de valeur que sur le plan local au sein de la communauté qui les a adoptée et inventée. Mais cette situation était appelée à évoluer au fur à mesure du développement des échanges qui imposait aux hommes et aux sociétés une mesure commune. C’est le même mouvement que connut l’économie en passant de l’usage du troc et des coquillages à celui de la monnaie.

Toutes les mesures du temps depuis l’invention du gnomon sont des mesures spatiales. En effet, cette structure simple et fixe d’une tige plantée verticalement va engendrer une ombre mobile et de longueur variable en fonction de l’heure de la journée, des saisons, des latitudes : on va pouvoir donner l’heure par l’organisation spatiale de l’ombre. Ainsi la mesure du temps acquiert le statut d’un système spatial. Les mesures électriques ne vont pas déroger à cette règle puisqu’elles seront toutes représentées de façon analogique avec une organisation spatiale de flux : hauteur d’une chute d’eau pour le voltage, diamètre d’un tuyau pour l’intensité, etc.

Comme on l’a vu, la culture, la religion, les techniques sont importantes pour analyser l’utilisation du temps et de l’espace. Il en résulte des cultures temporelles et spatiales souvent très différentes en passant d’une civilisation à une autre.

Le passage d’une conception anthropomorphique et religieuse à une conception scientifique de l’espace :

On peut dire que l’histoire de l’humanité a connu deux grandes phases dans sa recherche d’une définition de l’espace tant sur le plan intellectuel que symbolique et technique..

Au cours de la première phase qui s’acheva avec la Renaissance européenne, les sociétés concevaient leur espace, donc leur univers, comme un tout où s’assemblaient et interféraient la nature, la culture, l’individu, la société et la divinité. L’espace identifiait un groupe social, le qualifiait et le différenciait des autres groupes voisins. Il n’avait pas de prétention universelle.

Chaque clan ou tribu traçaient, selon ses mythes et ses croyances, une limite entre le cosmos et le chaos, le sacré et l’impur, le civilisé et le sauvage. Fonder une ville, orienter la construction des maisons ou choisir la direction des ouvertures obéissaient à une conception de l’espace où interféraient l’axe des fleuves, le cycle solaire, les saisons, le corps humains ou de tel animal. Dans la Chine antique, les quatre directions de cet espace, associées aux saisons de l’année, se reconnaissent par des couleurs et par des animaux ; et chez les Aztèques par des vents.

«  L'étendue ne reste point indéfiniment elle-même. Par-delà les quatre côtés de l'Espace, se trouvent, formant une sorte de frange, quatre vagues régions qu'on nomme les Quatre Mers. Dans ces Mers diverses, habitent quatre espèces de Barbares. Ceux-ci, apparentés à différents animaux, participent tous de la nature des Bêtes. Les Chinois-les humains -ne peuvent résider dans les Marches du Monde sans perdre tout aussitôt leur statut d'hommes. Les bannis, qu'on veut disqualifier, revêtent, dès qu'on les y expulse, l'apparence à demi animale qui signale les êtres de ces confins déserts. L'Espace inculte ne supporte que des êtres imparfaits. Il n'est qu'un espace dilué, une étendue qui s'évanouit. (...) Mais l'étendue n'est entièrement elle-même, elle ne possède, si je puis dire, sa densité intégrale que dans l'enceinte où tous ses attributs se fédèrent. L'emplacement sacré des réunions fédérales est un monde clos qui équivaut à l'Espace total et à l'Espace entier. Il est le lieu où, regroupant les emblèmes de ses différentes fractions, le groupe social connaît sa diversité, sa hiérarchie, son ordre et où il prend conscience de sa force une et complexe.

M. Granet, La pensée chinoise

La seconde phase du passage de l’humanité d’une conception anthropomorphique et fortement symbolique de l’espace à une conception abstraite de l’espace,  commence avec la Renaissance.

Brunelleschi introduit dans le mode de représentation une véritable révolution, ce n’est plus la qualité intrinsèque des objets ou leur utilité morale qui sert d’échelle, mais leur position réciproque.

Dans l’espace figuré, le lien devient géométrique et la perspective adopte la loi du point de vue unique. On passe de l’espace symbole chargé des vitalités intérieures des hommes et des sociétés, à un espace neutre qu’on a mis à plat à la façon d’un géomètre et dont on a effacé les qualités sensibles et les dimensions imaginaires et identitaires.

Une formulation moderne et scientifique de l’espace commence à voir le jour, avec pour objectif de se dégager de plus en plus de la subjectivité, de la perception immédiate par les sens et son assimilation spontanée par l’imagination, pour tendre vers l’objectivité sans se soucier du fait que cette formulation n’ait plus qu’une lointaine ressemblance avec la réalité apparente des phénomènes.

En physique moderne, l’espace où se meuvent aussi bien les astres que les électrons, est conçu comme un vide. Cette approche est purement mathématique, elle est une abstraction, mais elle a l’avantage de faciliter l’analyse des relations spatiales et temporelles entre divers corps ou corpuscules.

Dans le même sens, la géométrie euclidienne, qui sert de modèle officiel à notre représentation, a institué un espace théorique qui possède un certain nombre de propriétés caractéristiques :

Il est infini car on peut toujours concevoir d’aller plus loin et de diviser un segment, aussi petit soit-il, en deux ;

Il est unique puisque plusieurs espaces sont nécessairement situés les uns par rapport aux autres et doivent toujours être rapportés à un seul espace de référence ;

Il est isotrope, c’est-à-dire qu’il a la même valeur dans toutes les directions ;

Et il est homogène et ne possède pas d’endroits plus ou moins denses que d’autres.

Pourquoi avoir cherché à construire une telle conception de l’espace qui n’a rien à voir avec notre pratique concrète et vécue ? Précisément pour y faire entrer et y coordonner la multiplicité et la diversité de nos expériences individuelles de l’espace.

Cette approche moderne et scientifique de l’espace va connaître d’autres développement avec les géométries dites non-euclidiennes reposant sur d'autres postulats et d'autres concepts de 1'espace que la géométrie classique, et ces nouvelles géométries se sont révélées parfaitement cohérentes du point de vue logique et capable même d'application empirique.

On peut donc concevoir des « hyperespaces », c'est-à-dire des espaces à plus de trois dimensions; des espaces pour lesquels l’axiome des parallèles (postulat d'Euclide) n'est plus valable, etc. Il se révèle ainsi que 1'espace euclidien n'est pas le seul que puisse construire la raison et que, si elle avait jusqu'ici privilégié celui-là, c'est uniquement qu'il correspond mieux que les autres à un moment du développement de la connaissance humaine.

La physique contemporaine a entraîné une révision des notions anciennes se rapportant à l'espace physique. La théorie de la relativité d’Einstein a démontré qu'il fallait ajouter une 4éme dimension à l'espace. C’est celle du temps.

En outre, Riemann a montré que 1’on pouvait concevoir un espace-courbe, illimité, mais non infini, où il est impossible de tracer des figures semblables à n'importe quelle échelle. La géométrie sphérique, affirme que la somme des angles du triangle est plus grande que 2 droits et qu’on ne peut mener aucune parallèle.

Par conséquent, il n'y a pas, comme on l'a cru longtemps, un espace puisqu'il n'y a pas une physique, une géométrie, une mécanique qui s'impose absolument du point de vue de la raison pure. Plusieurs géométries sont possibles logiquement. Une géométrie n'est pas plus vraie qu'une autre ; elle est seulement plus commode.

 

A lire

·         Delachet A. :

·La Géométrie Contemporaine, Paris, PUF, Coll. Que sais-je ? 1965.

·         Poincare H. :

·La Science et l’Hypothèse, Paris, Flammarion, 1968 (réédition).

·         Petonnet C. :

·Espace, distance et dimension dans une société musulmane

·L’Homme n° XII, 2 avril-juin 1972 – p. 47-84.

·         Granet M. :

·« La civilisation chinoise », 1 vol. 505 p., Albin Michel éd., Paris, 1929 et 1968

·         Boughali M. :

·« La représentation de l’espace chez le Marocain illettré », 1vol., 302 p., Afrique Orient éd., Casablanca, 1988.

·         Bachelard G. :

·« La formation de l’esprit scientifique », 1 vol., 256 p., Vrin éd., Paris, 1960.

·         Bachelard G. :

·La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1957.

·         Duby  G. :

·Le temps des cathédrales, Paris, Gallimard, 1976.

·         Francastel P. :

·La figure et le lieu : l’ordre visuel du quattrocento, Paris, Gallimard, 1967.

·         Levi-Gouran  A. :

·Le et la parole, Albin Michel, 1945.

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Les philosophes et l’espace

 

L’effort des philosophes pour définir l’espace est intéressant, d’abord pour lui-même, mais également pour saisir les rapports étroits qui existent entre les progrès faits par les sciences exactes et une discipline, la philosophie, dont les préoccupations semblent à première vue différentes.

La philosophie grecque s’est intéressée à l’espace au sens où elle tenta la mise en place d’un système d’interprétation qui ne se réduit pas des analyses grossières que la philosophie moderne aurait dépassées, mais des systèmes exemplaires qui continuent à solliciter notre réflexion.

Une première lignée de philosophes « physiciens » commencent à réfléchir dès le début du VIé siècle avant J-C, sur la nature profonde des choses, c’est-à-dire sur ce qui, derrière les apparences et la diversité quasi infinie des phénomènes, est l’origine unique. Pour Thalès (env. 630-570), le principe originel est l’eau, pour Anaximène (env. 580-520) l’air, pour Xénophane (env. 560-470) la terre. Evidemment, ces penseurs proposent un système de conversion qui doit nous faire comprendre de quelle manière on passe du principe unique, eau ou terre, aux phénomènes qu’on observe dans la nature.

Ce qui est intéressant à relever dans ces interprétations de la naissance du monde, c’est que nous sommes en présence d’un effort pour remplacer l’explication strictement religieuse par une explication plus scientifique. En fait, les philosophes grecques remplacent les divinités ancestrales : Zeus, Hadès, Poséidon, Gaia, … par des éléments naturels : le feu, l’air, l’eau, la terre.

Pour illustrer la démarche des philosophes grecs, nous allons aborder plus dans le détail le système proposé par Aristote étant donné que son influence perdura pendant de nombreux siècles.

Aristote (384-322 avant J-C)

L’observation immédiate et directe du ciel nous permet de voir que la lune tourne autour de la terre, et que le soleil observe la même rotation. Or l’astronomie contemporaine accepte la première proposition et rejette la seconde, bien que toutes les deux soient identiques pour la perception immédiate.

En outre, un ciel clair se présente comme parsemé par des étoiles disposées de manière sphérique, et que, tout tournant autour de la terre, celle-ci en est le centre.

La terre sphérique, immobile et occupant le centre de l’univers, tels ont été les bases du système aristotélicien, qui, conforme au sens commun, s’est assuré une certaine pérennité. D’autre part, Aristote considère qu’il y a deux sortes de corps : Les corps lourds (ex : les pierres) qui tombent et dont le « lieu naturel », c’est en bas ; Les corps légers (ex : nuages) qui s’élèvent et qui se situent en haut.

Mais Aristote considère que le lieu est quelque chose d’indépendant des corps, qu’il a une nature propre (le haut, le bas), une puissance propre, comme les différentes parties d’une habitation dont chacune a sa fonction propre.

Ainsi l’espace serait donc la somme totale de tous les lieux occupés par les corps, et le lieu (topos) étant compris comme la partie de l’espace dont les limites coïncident avec celles du corps qui l’occupe.

Notons qu’Aristote rejette le concept vide et ne développe, en réalité, qu’une théorie du lieu ou de la position dans l’espace et non une théorie de l’espace.

L’espace aristotélicien est donc fini ; il est relationnel puisque c’est un système de lieux définis par la relation contenu-contenant entre les corps ; et il est absolu car formée par une substance unique qui inclut aussi bien la matière, que l’esprit, l’âme et les idées de l’homme. Nous sommes loin de la physique moderne qui considère que l’espace est homogène[4] et isotrope[5], qu’il est abstrait et qu’on ne peut donc confondre avec les lieux concrets.

La dynamique d’Aristote a une sorte d’évidence intuitive qui associe remarquablement bien les données du sens commun et l’observation immédiate. C’est ce qui a probablement  fait qu’elle résista longtemps avant de céder aux avancées de la physique moderne.

Descartes (1596-1650)

Il avait une définition du lieu semblable à celle d’Aristote et s’accordait à affirmer que le vide n’existe pas.

Descartes oppose deux substances qu’il affirme comme étant radicalement distinctes (le dualisme cartésien) : la pensée et l’étendue.

Il explique que les « corps » (objets) ont des propriétés telles que la couleur, le son, l’odeur, mais celles-ci ne sont pas des qualités qui appartiennent en propre aux dits corps ; ce sont plutôt la manière dont nous ressentons par nos sens, ce qui en provient.

Par contre, le caractère spatial ou étendu de l’objet, qu’on peut traduire en idées claires, et en faire objet de science, constitue l’essence même de la substance corporelle.

En fait, Descartes fait de l’étendue (l’espace) l’essence de la matière, elle est indéfinie, homogène et isotrope. Il ajoute que la nature de la réalité extérieure, celle du monde qui nous entoure et nous englobe, diffère de celle qui caractérise la pensée (domaine des idées, de la raison et de l’âme). Cette conception débouche sur la négation absolue de tout déterminisme de l’espace par la pensée et par les idées. Inversement, la thèse cartésienne réfute toute détermination de l’ordre de la pensée (idées, représentations, mœurs) par celui de l’étendue, c’est à dire par la spatialité.

En niant toute influence de l’environnement sur l’homme, Descartes introduit une séparation nette et exagérée entre le comportement humain et le milieu.

Kant (1724-1804)

Kant va critiquer la conception cartésienne de l’espace, en affirmant que « l’espace n’est pas quelque chose d’objectif ni de réel, il n’est ni une substance ni un accident ni une relation, mais quelque chose de subjectif et d’idéal, issu, selon une loi fixe, de la nature de l’esprit à la manière d’un schéma destiné à coordonner l’ensemble de tout ce qui vient de l’extérieur par les sens ».

Pour Kant, nous ne pouvons accéder à la connaissance  de l’espace qu’à la condition de disposer de la capacité mentale de concevoir et d’associer les objets dans un univers à trois dimensions, de les intégrer dans des dispositifs ou systèmes spatiaux lisibles et dotés d’un sens. Il s’agit là de la véritable nature de l’espace Kantien. La forme y précède en quelque sorte la substance.

Il existe, pour Kant, dans toute connaissance, deux éléments distincts : des éléments empiriques qui nous viennent de l’expérience : par exemple, la taille, la forme et la couleur d’une pierre ramassée sur le bord du chemin. Mais il existe aussi des éléments non empiriques, des cadres mentaux ou « catégories » dites a priori qui ne résultent pas des choses elles-mêmes, mais de ma façon de les concevoir ; ainsi, lorsque je prends et manipule cette pierre dans la main, mes sens me font percevoir plusieurs images consécutives, la pierre m’apparaît sous différents angles... C’est la structure de mon esprit qui me permet de réunifier ces différentes images en un seul et même objet. Sans cette capacité mentale à coordonner les images, à leur attribuer une certaine unité, une continuité dans le temps, le monde nous apparaîtrait comme une suite désordonnée et chaotique d’images et d’événements. Kant soutient donc cette thèse provoquante : l’unité de l’objet n’est pas un produit de l’expérience empirique. C’est nous qui mettons le monde en ordre pour le penser. L’unité de l’objet est un cadre de pensée a priori qui nous permet de penser le monde.

La plus grande partie de son livre « La Critique de la Raison pure » est consacrée à mettre au jour ces catégories a priori qui structurent et donnent forme à notre connaissance.

Certaines de ces « formes » de l’esprit s’appliquent à la « sensibilité » (étudiées dans la première partie : l’Esthétique transcendantale) : ce sont l’espace et le temps. Kant, en anticipant à sa manière sur la théorie de la relativité montre que notre représentation du temps linéaire de l’espace à trois dimensions ne sont pas des propriétés de la nature mais des cadres de notre pensée.

De la même façon, il est toute une série de notions logiques, comme celle d’unité, de pluralité, de causalité… qui aident à penser la monde mais ne sont pas issues du monde lui-même. Par exemple, l’expérience nous dit qu’une pierre est pesante mais c’est une loi a priori qui nous fait dire qu’il ne pourrait en être autrement et que toutes les pierres ont un poids. Mêmes si c’est l’expérience qui nous fait constater que les pierres sont pesantes, c’est la raison (et non l’expérience) qui nous permet d’en établir une loi générale.

La raison transcende l’expérience et nous faire dire des choses qui vont au-delà des strictes constats empiriques. La « raison pure » nous conduit à l’universalité, à la nécessité. L’expérience, elle, est toujours contingente et partielle.

S’il est vrai que nous ne pouvons voir et penser le monde qu’à travers des « lunettes », qui structurent le monde d’une façon particulière, il en résulte que nous ne connaissons pas (et nous ne pourrons jamais connaître les choses telles qu’elles sont en réalité. Le monde en soi (noumène) nous est inconnaissable. Seul le monde des phénomènes nous est accessible.

Mais Kant attire notre attention sur certains aspects de l’espace qui montrent qu’il n’est pas réductible à une idée, comme le paradoxe des symétries. Une main droite et une main gauche présentent en effet une situation étonnante. Toute propriété de l’une est propriété de l’autre, tout ce qui est pensable de l’une l’est de l’autre. Et cependant, elles ne sont pas superposables dans l’espace. Il y a donc quelque chose de spatial irréductible à la pensée.

Notons d’ailleurs qu’on ne peut trouver de définition théorique de la droite ou de la gauche.

On aboutit dans la démonstration de Kant à la conclusion que l’espace n’est ni une réalité, ni une idée qui émanerait de l’esprit, puisque toute démarche de la connaissance exige deux facultés. L’une, la sensibilité, nous donne, par les sensations, l’existence même des choses. L’autre, l’entendement, entreprend un travail pour construire la connaissance à partir de la réalité et des objets divers que nous offre la sensibilité.

C’est pour cette raison que Kant parle en ces termes de l’espace : « (il) n’est pas un concept empirique dérivé d’expériences extérieures … l’espace est une représentation nécessaire a priori qui sert de fondement à toutes les intuitions extérieures… ».

L’espace est une condition préalable de toute représentation immédiate du réel sensible. Il est, avec le temps, l’un des deux repères[6] formels de la perception du monde extérieur : la sensibilité nous communique les objets dans leur diversité ; l’entendement nous permet de les relier, de les unifier et de les penser. L’espace est autant un concept, une « idéalité transcendantale », qu’une « réalité empirique ».

A lire

·         Kant E. :

·Critique de la raison pure (1781), PUF, 1968.

·         Aristote :

·Physique, Livres IV (Belles lettres).

·         Descartes R. :

·Oeuvres philosophiques, Paris, Pléiade, 1978.

·         Perec  G. :

·Espèces d’espaces, Paris, Denoël-Gonthier, 1976.


La psychologie de l’espace

 

La psychologie considère l’espace d’une façon totalement différente de celle des sciences exactes. Alors que pour ces dernières le monde est étendu, illimité et isotrope (dans lequel tous les points sont équivalents) avec un espace réductible à un système de coordonnées purement arbitraires ; pour la psychologie, l’espace n’existe que par ce qui le remplit (il n’est jamais vide), que par la référence à l’homme, au groupe, au vécu, etc.

En prenant pour point d’appui l’expérience qu’a chaque individu de l’espace, la psychologie formule un certain nombre d’énoncés sur l’espace qui contredisent la conception que s’en font les sciences exactes :

L’espace n’est pas infini mais toujours limité par un horizon,

L’espace n’est pas isotrope car une salle de classe, un supermarché ou une maison n’ont pas des directions équivalentes,

L’espace n’est pas homogène, ce qui veut dire que se situer à 50cm de quelqu’un n’est pas la même chose si on le fait à 5m de lui,

L’espace n’est pas divisible à l’infini parce qu’il y a toujours une limite humaine dans la possibilité d’aller vers le détail,

L’espace n’est pas unique parce que chaque jour nous vivons des expériences différentes dans des lieux différents. Expériences qui se superposent et s’enchevêtrent tout au long de la vie mais sans jamais se confondre.

Chaque individu est partagé entre deux systèmes de référence à l’espace. D’un côté, il s’inscrit dans une approche théorique, il sait raisonner de façon scientifique, il s’oriente, calcule, dessine selon des normes, élabore des plans. De l’autre côté, il adopte une approche psychologique, il investit l’espace d’émotions, de souvenirs, de valeurs et de symboles qui lui sont personnels.

En ville, ou dans les campagnes, nous nous déplaçons, nous fréquentons des équipements, nous utilisons et nous consommons de l’espace pour toutes nos activités de loisirs, de travail, d’habitat. Au cours de notre  « existence spatiale », nous ne nous contentons pas d’utiliser mais nous nous faisons une idée, une représentation des lieux où nous vivons ou avons vécu.

L’espace commence justement à avoir un sens pour tout individu à partir du moment où il se transforme en une représentation qui reflète des valeurs, les codes culturels, les identités individuelles et collectives. Mais il est un fait établi, c’est que ce processus de transformation commencent souvent par le regard qu’on porte sur son environnement, la perception qu’on en a et qui engendre un attachement à une rue, une maison ou une ville pour des raisons esthétiques, symboliques, affectives ou utilitaires.

Ce phénomène de la perception de l’espace a suscité un grand intérêt chez les psychologues qui ont cherché à l’analyser et à le définir.

Perception et espace :

La connaissance du monde extérieur, de l’objet  architectural à l’espace urbain, se fait pour nous tous par l’intermédiaire de nos sens. Cependant, il nous faut pas confondre entre sensation et savoir.

On ne peut comprendre le message des sens qu’à partir du moment où ils sont interprétés par l’esprit. Sans ce travail d’analyse et d’organisation, on apercevrait des formes, on entendrait des bruits sans être capables de dire de quoi il s’agit.

Ceci nous conduit à dire qu’il y a une différence entre sensation et perception :

La sensation est le donné brut tel que nous le donnent nos sens. C’est l’état de conscience élémentaire consécutif à une impression faite sur l’un de nos organes sensoriels.

La perception serait la sensation interprétée, devenue significative, c’est-à-dire un apprentissage et un travail d’organisation qui dépassent la simple réception d’informations venues de notre environnement.

Chacun de nous apprend à percevoir d’abord à travers les yeux de son entourage, de ses parents et de son milieu social et culturel. Il faut avoir appris à voir ce qu’il y a à voir, tout en sachant qu’il peut bien y avoir plusieurs manières de voir, car il peut exister plus d’une manière d’organiser un paysage sensoriel.

On a pu dire que les primitifs ne perçoivent rien comme nous, non que leurs sens ou leur appareil cérébral soient différents des nôtres, mais parce que les représentations collectives différentes des nôtres viennent se mêler chez eux à la perception, ou plutôt en sont partie intégrante. Quel que soit l’objet qui se présente à eux, il implique des propriétés mystiques ou magiques. L’eau qui coule, le vent qui souffle, la pluie qui tombe, un son, une couleur, implique des « participations » mystérieuses, des propriétés invisibles.

La distance qui nous sépare de cette perception primitive  de l’univers a nécessité que l’humanité passe par toute une série de vision collective du monde jusqu’à arriver à une conception de la réalité qui s’est dépouillée de ce caractère mystique pour se faire de plus en plus positive, abstraite et scientifique, d’une certaine manière.

Mais si notre perception est fortement influencée par la société, les pratiques et les mœurs, comment alors expliquer que chacun de nous dispose d’une perception individualisée, personnelle et singulière ?

L’étude des dessins d’enfants, par exemple, montre que c’est seulement à partir d’un certain âge qu’apparaissent les dessins figurant des motifs individuels nettement spécialisés pour leurs détails distinctifs ; que l’enfant dessine non plus la maison en général, mais une maison qu’il a devant lui. Tout ceci prouve que la perception personnelle et historique (car elle implique la conscience de notre « histoire », du passé propre à chacun de nous) est une opération relativement indépendante et qui met en jeu des fonctions élevées. Ce qui vient d’être dit montre qu’elle suppose la mémoire : il suffit parfois que nous renvoyer un livre, un paysage, une photo pour que toute une scène de notre vie passée revienne à notre esprit. Elle suppose aussi l’attention : la reconnaissance d’un objet n’est possible qu’à l’aide de ces préperceptions. Elle suppose enfin le jugement. Ainsi, nous voyons un point blanc sur la mer : nous jugeons que c’est un bateau à voile ; nous entendons un crépitement sur la vitre : nous jugeons qu’il pleut, etc. La perception nous apparaît ainsi comme étant déjà un véritable acte intellectuel.

La perception de l’étendue et de l’espace :

Il existe une particularité de la perception qui intéresse de près l’architecture, c’est son caractère spatial. Les objets que nous percevons nous paraissent étendus : ils présentent des plans, des surfaces. Ils nous paraissent en outre se situer à une certaine distance, constituer des volumes et présenter des reliefs. En  un mot, nous percevons les choses dans un espace à trois dimensions, comme dotées de longueur, largeur et profondeur.

Des questions se posent à nous par rapport à cette perception : Ce caractère spatial est-il inhérent à la sensation, en tant que donnée immédiate de la sensibilité ? Ou bien est-il acquis, se forme-t-il peu à peu ? Le problème consiste à s’interroger sur la valeur et la portée de notre idée, de notre concept de l’espace, question qui intéresse toute notre connaissance du monde extérieur.

Parmi les doctrines philosophiques et psychologiques, deux s’étaient opposées sur ce point :

La première, l’empirisme (ou encore le nativisme, le sensualisme) estime que nous trouvons dans nos sensations l’origine de toutes nos connaissances, que la spatialité est une donnée immédiate que nos impressions sensorielles font naître, sans aucune expérience antérieure du sujet, des sensations d’étendue, de formes, de profondeur, etc.

Il n’est plus question de considérer la perception comme un travail de construction de l’entendement à partir du matériau brut des sensations. L’esprit serait passif et les diverses activités de l’intelligence, comme le jugement, ou encore l’attention, ne seraient obtenues que par abstraction, par rencontre et transformation des sensations.

La seconde doctrine, la théorie génétique, considère la perception de l’étendue, et, à plus forte raison, l’idée abstraite d’espace, comme progressivement acquise au cours de toute une éducation.

Le langage joue un grand rôle à ce niveau, car il encadre l’existence de ce que nous reconnaissons comme des objets. Les  choses ont été classées et nommées à l’avance, en vue du parti que je pourrais en tirer. Et c’est cette classification et organisation que j’aperçois beaucoup plus que le contour et la forme des choses. La perception est donc beaucoup plus déterminée socialement que nous ne pourrions le soupçonner d’abord.

Bien mieux, comme l’a signalé Piaget, il n’est nullement évident que la construction de l’espace perceptif et même représentatif commence par les formes euclidiennes : droite, plan, etc. Les résultats des recherches en psychologie génétique conduisent à penser que l’espace se construit progressivement dans la pensée de l’enfant en passant par un certain nombre d’étapes : différents espaces sont d’abord reliés aux sensations, puis unifiés dans un espace général grâce à la coordination des mouvements.

Mais l’espace n’est pas seulement pensé, il est aussi et peut-être même d’abord le domaine d’une certaine pratique.

On constate par exemple que sa représentation picturale varie à l’intérieur de l’historie de l’art : aucun espace pictural n’est à proprement parler plus « fidèle » au réel qu’un autre, tous sont fictifs, celui de la peinture figurative comme celui du cubisme ou de l’abstraction, et ils témoignent de l’évolution des attitudes intellectuelles de l’homme à l’égard du monde.


L’instrumentalisation de l’espace par la psychologie clinique :

En se penchant sur les aspects affectifs en relation avec l’espace, la psychologie clinique a élaboré quelques outils concernant les aspects projectifs de la perception : les tests de Rorschach, le dessin d’enfant et le village d’Arthus. Il faut cependant noter que ces outils sont destinés à nous renseigner non sur l’espace en tant que tel, mais sur le sujet qui se soumet à l’expérience.

Le rorschach : il s’agit de la présentation à un sujet d’une feuille représentant des tâches d’encre possédant un axe de symétrie obtenu par pliage. Celui-ci interprète ces tâches, qui ne représentent en fait rien de précis.

Face à un ensemble de stimuli faiblement structurés, chaque sujet les organisera d’une manière qui lui est propre. C’est à dire qu’il existe une infinité de façons de percevoir le monde et chacun possède une manière tout à fait spécifique de la structurer.

Le village d’Arthus : C’est autre test projectif consiste en un jeu de construction avec lequel le sujet doit construire un village.

Le H.T.P. : ce test ne nécessite aucun matériel et est très fréquemment utilisé avec les enfants. Ils doivent dessiner une maison (Home), un arbre (Tree) et un bonhomme (Person).

L’interprétation de tous ces tests projectifs obéit aux même règles que l’interprétation des rêves. On part de l’hypothèse que tous les éléments produits par le sujet ne sont jamais dus au hasard mais ont une signification, même si celle-ci reste indéchiffrable à l’observateur. La signification profonde de certaines réponses au Rorschach, de certaines particularités d’un village donné, ou d’un dessin de maison ne peut-être saisie que si l’on peut connaître par ailleurs ; les réponses du sujet ont ainsi, comme le rêve, un caractère égocentrique : la « maison », « l’arbre », « le village » représentent en réalité le sujet lui-même et celui-ci peut même y révéler, à son insu, des particularités organiques ou fonctionnelles.

Dans le cas de dessins d’adulte, on retrouve certaines constantes dans l’utilisation symbolique de l’espace de la feuille de papier : le côté gauche représenterait le passé, le droit, l’avenir, le côté le plus proche du dessinateur, le bas, représente le monde matériel, le haut, le monde intellectuel ou spirituel, etc.

La recherche en psychologie de l’espace ne s’est évidemment pas limitée à l’étude des comportements de l’être humain réduit au jeu des stimulations et des réponses. Un certain nombre de travaux ont débouché sur des avancées théoriques et ont constitué des modèles d’analyse de l’espace incontournables, dont, en particulier, les recherches de Jean Piaget et d’Abraham Moles.

A lire

·      Kohler W. :

· Psychologie de la Forme (trad.) Paris, Gallimard 1964 – Coll. “Idées”.

·      Pieron H. :

·La Sensation, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? 1964.

·      Merleau-Ponty M. :

·Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945.

·      Bourdon B. :

·La perception visuelle de l’espace, Costes, 1902.

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Piaget et l’espace de l’enfant

 

L’apport fondamental des recherches de Jean Piaget en psychologie consiste en la brillante démonstration que les structures de l’intelligence de l’enfant s’adaptent et évoluent progressivement aux situations en fonction des expériences qu’il a dans son milieu environnant. Ainsi, les relations de l’enfant à l’espace ne sont pas le résultat, selon la démarche de la psychologie génétique de Piaget, de données innées ou d’instincts, mais elles seraient plutôt l’expression de l’expérience vécue.

On peut retenir de l’ensemble des travaux de Piaget que la formation de l’espace vécu chez l’enfant passe par quatre étapes principales :

La première enfance :

L’expérimentation avec l’enfant dans les premiers mois de sa vie, est très difficile. C’est juste l’observation d’activités telles que le réflexe de succion, de toucher, de vision de tâches lumineuses, qui permet d’analyser et de démonter les mécanismes de formation de l’espace dans la perception primitive.

Au cours de cette première découverte par l’enfant du cadre familial, interviennent successivement l’image maternelle (visage humain en même temps que satisfaction  de besoin et de désir), la coordination des sens et de la motricité (étape importante dans la découverte du corps à 6 mois) et la maîtrise du schéma de  l’objet permanent (1an)[7].

La remarque la plus intéressante à faire à ce niveau, est que les rapports du nouveau-né à l’espace ne sont pas du type euclidiens, mais sont des rapports topologiques : ce sont des relations de voisinage, de séparation, d’ordre (la perception des barreaux du lit), d’entourage (le nez encadré par le visage), et de continuité.

Au cours de la seconde période (4 et 12 mois), l’enfant réalise la coordination entre le geste de toucher et de prendre d’une part, et la vision de l’objet, d’autre part s’organisent alors les rapports projectifs et les rapports métriques.

La troisième période (12 à 24 mois) est marquée par l’accomplissement d’actes d’intelligence pratique par l’enfant. La perception des objets et de l’espace devient solidaire de la motricité et le début de la marche.

Piaget insiste sur deux faits importants :

La coordination des espaces sensoriels n’est ni naturelle, ni évidente. Le monde visuel et le monde auditif sont différents, et leur ajustement ou coordination est le résultat d’un apprentissage, d’une opération de l’intelligence de l’enfant ; La stabilisation des propriétés de l’espace telles qu’elles sont finalement diffusées et conçues par la géométrie, est le résultat d’un processus où l’intelligence des sens et la motricité jouent un rôle fondamental.

La marche et les déplacements sont aussi pour l’enfant une première expérience des distances, des directions et de la localisation. Viennent ensuite les premiers mots prononcés, l’accession au langage, c’est à dire à la fonction symbolique[8] qui détache peu à peu l’action immédiate d’un espace mental.

La prise de conscience de l’existence du père signifie l’émergence,  dans le monde de l’enfant, d’un être à la fois proche et lointain, qui disparaît et réapparaît, celui qui s’en va hors de la maison et qui revient.

La seconde enfance :

Au cours de cette période (3 à 7 ans), l’enfant approfondit sa maîtrise des diverses catégories de rapports spatiaux. Il parvient à établir une correspondance entre des objets qui se ressemblent, à les associer en couples (principe de voisinage), à les ranger selon un ordre linéaire (acquisition des notions d’espace et de temps successifs) et à réussir l’ordre inverse.

L’extension du champ d’expérience de la maison à la ville est rendue possible grâce à la pratique de la cour, du jardin et de l’école maternelle.

A toutes les étapes, l’élaboration perceptive de l’espace est solidaire de la motricité et le développement intellectuel de l’enfant est régi, selon Piaget, par l’équilibre de deux processus biologiques fondamentaux : l’assimilation ou intégration des données de l’expérience aux cadres intellectuels du sujet, et l’accommodation ou la transformation de ces cadres en fonction de nouvelles données.

La troisième enfance :

On a bien analysé les progrès accomplis par l’enfant durant cette phase (7 à 12 ans) grâce à l’étude de ses dessins.

En effet, l’enfant qui dessine devient soucieux simultanément des perspectives, des proportions et des distances. Cette évolution signifie un dépassement de l’étape des rapports topologiques de la seconde enfance puisque les figures sont positionnées les unes par rapport aux autres (rapports projectifs[9]) et en respectant leurs distances réciproques (rapports euclidiens[10]).

C’est également à cet âge que l’enfant découvre son quartier et sa ville, ou son village, avec des informations encore vagues sur des régions plus vastes ; en même temps, il développe le réseau de ses relations sociales en ayant des rapports avec des personnes qui ne font pas partie du groupe familial.

La puberté-adolescence :

Elle provoque chez l’enfant une double transformation du corps et de l’affectivité en l’introduisant dans un monde nouveau (les amis, les camarades de classe …) à découvrir.

Si, au départ, l’espace vécu est égocentrique centré sur le moi et plus particulièrement sur le corps ; il est aussi peuplé d’autres personnes tels que la mère et le père, les frère et sœurs, les enseignants, les camarades, les premières grappes d’une société ; l’espace vécu est aussi dès le plus jeune âge un espace social.

Comme on l’a vu précédemment, l’étude de la psychologie de l’espace chez l’enfant et l’adolescent montre, dans la complexité des représentations, toute l’épaisseur des valeurs qui lient l’homme jeune puis l’homme au milieu dans lequel il vit.

L’espace vécu doit intégrer la dimension du temps historique mais aussi, et surtout, le temps personnel ainsi que le mouvement qui est déplacement dans le temps et dans l’espace. L’espace vécu est un espace mouvement et un espace temps vécu.


 A lire

·      Piaget J. :

·Les Mécanismes Perceptifs Paris, PUF, 1960.

·      Piaget J. & Inhelder B. :

·La Représentation de l’Espace chez l’enfant, Paris, PUF, 1948.

·      Piaget J. & groupe d’Auteurs :

·L’Epistémologie de l’Espace Paris, PUF, 1964.


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Les coquilles de Moles

 

En abordant la connaissance et l’analyse des rapports  que tissent l’individu avec son espace environnant, on ne peut ignorer les travaux d’Abraham Moles pour la pertinence des analyses de l’auteur, d’une part, et pour leur diversité et originalité, d’autre part. C’est dans son ouvrage « la psychologie de l’espace », écrit avec Elisabeth Rohmer à partir du cours qu’il a donné il y a plus de 20 ans à Strasbourg, que nous découvrons les principales notions et la méthodologie adoptées par Moles pour la saisie du mode de fonctionnement du binôme individu-espace.

Moles signale, dès le début de l’ouvrage, qu’il y a deux approches possibles de notre rapport à notre environnement qui conduisent à deux psychologies de l’espace différentes, apparemment contradictoires et pourtant toutes deux essentielles.

La première approche correspond à une philosophie cartésienne de l’espace[11] comme étendue ; elle adopte le point de vue d’un observateur extérieur (qui n’habite pas cet espace) et qui examine de manière rationnelle un monde étendu et illimité dans lequel tous les points s’avèrent équivalents, car aucun n’a à être privilégié. L’espace se réduit alors à des formes géométriques inscrites dans un système de coordonnées purement arbitraire.

La seconde approche correspond à une philosophie de la centralité où l’individu, « Ici et Maintenant », joue la rôle de repère exclusif. Un individu qui éprouve son rapport à l’environnement à partir de son propre point de vue, ce qui a pour conséquence cette tendance de l’être de dominer l’espace, de s’y fixer, de se l’approprier, au lieu d’être dominé par lui.

En analysant le rapport de l’homme à l’espace avec ses différentes séquences, Moles privilégie le point de vue individuel[12], le moi dont il fait l’origine et le centre de l’espace environnant. Il l’appelle « le point-ici » et le définit comme une unité de lieu et de vie, un espace construit, approprié, délimité par des parois, physiques, thermiques, sensorielles. C’est un espace riche en actes et en objets familiers, qui a une durée relativement longue puisqu’il subsiste dans le langage et dans la mémoire même lorsqu’on doit le quitter.

L’individu situé en un point de l’espace-temps, Moi, ici, Maintenant, existe parce qu’il agit. L’action confère à l’individu son existence car elle implique l’usage de l’espace qui en est la matière. On pourrait même énoncer l’enchaînement logique suivant : pas d’espace, pas d’action, par d’individu.

La construction du point-ici a pour corollaire une partition de l’espace en deux entités : l’ici et l’ailleurs, le dedans et le dehors, l’intérieur et l’extérieur.

Autour de ce point-ci, en cercles concentriques se structurent la perception et l’appropriation de l’espace, les relations avec autrui, la nature et le degré de contrôle du regard social. Ces cercles, sortes d’enveloppes du point-ici, Moles leur donne le nom de coquilles.

Les huit coquilles spatiales

Moles établit donc une typologie, une théorie des coquilles de l’homme. Il définit une série de huit zones concentriques autour de l’être, comme des coquilles ou les peaux d’un oignon qu’il va peler. Ces zones correspondent à la position d’un être isolé qui appréhende son environnement comme un espace illimité. Elles s’étendent depuis l’espace corporel jusqu’au vaste monde ; ces zones sont évidemment différenciées dans l’espace selon leur distance au point ici (ou plus exactement selon le logarithme de cette distance). Mais cette distance ne suffit pas à la définition des zones. Le critère de partition décisif est la représentation, donc le vécu de l’individu pour qui l’expérience du quartier est autre chose que son expérience de la ville.

Ainsi l’homme, face à un monde discontinu, dénomme, classifie et construit différentes dimensions indépendantes les unes des autres et sur chacune d’elles des repères utiles à son désir de connaître et d’agir. Ces dimensions psycho-socio-spatiales sont représentées par les coquilles suivantes :

Le « corps propre » matérialise le moi par le « point ici ». le rôle de la peau est fortement souligné car il ne se réduit pas à une simple membrane mais le dépasse pour devenir un organe de contact, le premier, le plus élémentaire, mais aussi peut-être le plus essentiel ente le corps et le monde environnant.

Le « geste immédiat », c’est la sphère d’extension du geste autonome. C’est l’ordonnancement du "tout" à portée à la main.

La «pièce d’appartement » qui est une sorte d’enveloppe parfaitement close sous l’emprise directe du regard.

L’ «appartement » est la coquille individuelle ouverte par une clé, le refuge où l’être n’est entouré que par des êtres et des objets familiers. La paroi est ici épaisse et dure : la domination s’exerce à l’intérieur des murs résistants et s’arrête à l’extérieur.

Le « quartier » se présente comme un lieu connu, exploré et sans imprévu, le territoire du contrôle social où l’on se déplace sans effort, sans projet programmé, sans longue perte de temps.

La « ville » est la zone où l’on peut voir sans être vu, où l’on peut aussi être vu, regardé, observé déjà comme étranger. C’est le lieu des services rares (on fait appel au médecin de quartier mais on consulte le spécialiste de la ville).

La « région » est définie comme l’ensemble des lieux où l’homme peut aller et revenir en moins d’une journée. La région conduit hors du quotidien et du familier mais sans contrôle extérieur ni sentiment d’insécurité, elle s’arrête aux limites de l’exceptionnel, de l’aventure.

Le « vaste monde » qui englobe la planète se situe comme un espace de projet, la zone de voyage et d’exploration, l’inconnu plus ou moins connu, le réservoir du nouveau.

Figure : quelques caractères psychologiques des coquilles de l'homme          

Nous avons résumé sur ce diagramme la variation de quelques-uns uns des caractères psychologiques des différentes coquilles de l'homme telles qu'elles sont définies dans le cours. En noir, le coût en effet généralisé pour aller effectuer des actions ou transactions dans telle ou telle zone lointaine de chacune de ces coquilles. En cercle blanc, la notion de présence d'autrui qui est en fait maximum dans les zones moyennes de l'accès de l'homme et se raréfie ensuite. En traits croisés, l'idée de maîtrise cognitive, de possession par l'esprit, de relation entre le connu ou l'inconnu. Enfin en traits pointillés, l'idée d'emprise : dans quelle mesure l'être est-il susceptible d'exercer sa dominance à chacun des niveaux de l'espace. Ainsi se proposent les éléments d'un portrait psychologique des domaines de l'espace selon la façon dont l'homme se les approprie. (Source : Moles A. « la psychologie de l’espace » )

On peut comparer cette typologie des espaces personnels à celles d’Edward Hall qui combine, lui aussi, des observations, des mesures et considère l’espace comme un langage silencieux dans le sens où les comportements spatiaux mobilisent un code culturel. Il identifie également des « bulles » qu’il étage de façon concentrique autour de l’individu.

L’individu entre errance et enracinement 

En passant de la première à la dernière coquille, Moles considère que l’individu passe par trois degrés de valorisation de l’espace :

Le premier stade se caractérise par l’absence de relation puisqu’il s’agit de l’échelle la plus large et la plus ouverte : les déserts, océans et les espaces inhabités ;

Le second degré se manifeste par une identification et une reconnaissance de l’espace par l’individu. Ce dernier peut donner un nom au lieu et le repérer sur une carte ;

Le troisième degré, c’est la phase où l’espace n’est pas seulement défini par son identité, mais il est devenu mien. C’est ma présence, mes actes, mes objets qui m’ont permis de me l’approprier.

Il faut donc noter que Moles ne fait pas de la coquille une prison pour l’homme. S’il fait de l’enracinement (ou de la sédentarité) une source de sécurité, de maîtrise psychologique, mentale et comportementale de l’environnement ; il ne s’arrête pas à cette dimension exclusive de l’espace et s’emploie à décrire d’autres phénomènes tout aussi représentatifs de l’homme moderne tels que ceux de l’errance, du voyage et du tourisme.

A lire

·      Moles A. & Rohmer E. :

·Psychologie de l’espace, Paris, Casterman 1972 – Collection Mutations.

·      Moles A. :

·« Objet et Communication » in « Communications », N° 13.

·      Moles A. :

·Labyrinthe du vécu, 1982, Paris, Librairie des Méridiens, 183 p.


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Distances, espace et proxémique

 

Comme on l’a vu précédemment, le projet d’A. Moles fut de fonder une conception « égocentrée » de l’espace qui correspond au point de vue « Ici et Maintenant » de l’individu en situation, qui éprouve son propre rapport à l’environnement. Dans ce monde centré sur Moi, il existe des êtres, des choses et surviennent des événements dont l’importance diminue nécessairement avec la distance à mesure que décroît leur perception elle-même. Cette conclusion à laquelle est parvenue Moles constitue le postulat fondamental de la proxémique dont l’objet est d’étudier l’influence que peut avoir la distance sur la perception et le vécu de l’espace.

La distance et la proxemié :

Le traitement de la distance a toujours été au centre des préoccupations des hommes. L’histoire nous apprend que depuis l’Antiquité, toutes les civilisations ont cherché à réduire les distances pour augmenter le volume des relations et des échanges entre les hommes.

La distance se présente souvent comme l’expression du rapport entre deux objets distincts dans l’espace et le temps. Elle le caractérise quantitativement par la mesure à partir d’une unité établie arbitrairement : la seconde, le mètre, … la distance est donc quantitative.

Par contre, l’appréciation de la distance est l’expression d’un sentiment subjectif qui ne peut être cernée par les mathématiques. C’est ce qu’on appelle la proximité qui est un jugement de valeur qui porte sur une perception de la distance. Elle n’existe donc pas par elle-même mais seulement parce qu’un individu la crée en la déclarant, en la jugeant. Mais indépendamment du jugement qu’il porte sur l’objet, son appréciation reste dépendante de la perception qu’il a de la distance entre lui et l’objet.

A partir de cet intérêt pour la proximité et la distance, plusieurs études vont mettre en évidence le rôle de l’espace dans les relations et les processus de la communication humaine au point qu’une nouvelle discipline verra le jour : la proxémie.

La proxémie est connu principalement grâce aux ouvrages Edward.T. Hall qui est un adepte de la théorie de l’apprentissage social, le concept de distance étant pour lui non pas un comportement instinctif mais un comportement socialement acquis.

En étudiant la perception de la distance par une population blanche de la moyenne bourgeoisie de la côte Est des Etats-Unis, Hall va distinguer plusieurs types de distances en face à face :

La distance intime (45cm) : elle est aussi connue sous le nom de la « bulle » psychologique. C’est la distance la plus près de soi, celle qui nous entoure. Cet espace, variable pour chacun, représente environ le volume contenu entre les bras réunis. L’espace où l’on s’embrasse pour se dire « bonjour » ! C’est un espace émotionnel réservé à la subjectivité, à l’acceptation ou au refus de l’autre. Le contact est cutané, thermique, olfactif.

La distance personnelle (45 à 120 cm) : elle représente le volume contenu entre deux longueurs de bras. L’espace où l’on se serre la main pour se dire « bonjour ». C’est la distance relationnelle qui permet d’établir un échange sans risque, c’est la distance réservée aux rituels.

La distance sociale (120 à 350 cm) : c’est celle qui est établie au cours de la communication verbale sans contact physique. La vue s’exerce parfaitement et la voix de fait entendre, mais les membres supérieurs ne peuvent s’atteindre. Cette distance délimite le territoire social d’un individu par le biais de frontières « institutionnelles ». Ces dernières sont nettement marquées par un bureau, une table, une chaise, un guichet … qui tiennent l’interlocuteur à distance. C’est une distance fortement présente dans les espaces ou services administratifs et publies.

La distance publique : elle se divise en deux catégories. La distance publique rapprochée (moins de 8 m), c’est la distance qui sépare les professeurs des élèves … elle sépare et n’unit pas. Celui qui parle marque ses distances car il joue le rôle  social. Le regard ne dévisage plus, l’information devient plus formelle et officielle, la communication interpersonnelle s’appauvrit.

Dans la distance publique éloignée (au-delà de 8 m), on a d’un côté l’orateur, le comédien, de l’autre des spectateurs passifs. Le discours est très formalisé et les gestes stéréotypés.

A travers un ensemble de travaux menés sur l’appréciation des distances dans les actes de la vie quotidienne, Hall a fait de la proxémie une branche à part entière de la sociologie et de l’anthropologie, il est donc important de garder à l’esprit qu’à la base de cette théorie se trouve l’observation des différences interculturelles dans l’établissement de l’espace personnel.

Hall a démontré que les individu vivant dans une culture « à contact » (Espagne, pays arabes) maintiennent des distances interpersonnelles plus courtes que la population américaine baignant dans une culture « sans contact ». De même, dans un contexte européen, dans une conversation, par exemple, un Anglais qui parle à un Français se trouvera continuellement en position de retrait pour éviter « les postillons » du Français qui estimera, quant à lui, que l’Anglais se comporte d’une manière froide et distante à son égard.

Autres approches de l’espace personnel :

Il est à noter que cette question de l‘espace personnel, compris en tant que distance à respecter entre un individu et son entourage, a bénéficié de plusieurs définitions autres que celles proposées par Hall ou Moles.

Sommer considère l’espace personnel « une zone chargée émotionnellement, une aura qui aide à régler le comportement spatial des individus ; c’est aussi l’ensemble des processus par lesquels les gens marquent et personnalisent les espaces qu’ils occupent ».

Ce concept d’espace personnel intéresse d’autant plus Sommer qu’il le trouve opérationnel pour analyser plusieurs situations de la vie quotidienne comme dans le cas du choix d’une place dans un bus, dans un café ou sur un banc public.

Dans ses travaux sur l’espace des cafés, Sommer à montré que certains clients, les habitués, y ont leur chaise qui représente un espace personnel dans l’espace global de cet équipement. Il releva également que les clients respectent un certain ordre d’occupation des places : on choisit prioritairement les tables situées contre les murs, celles du centre n’étant occupées que par la suite. Dans une autre étude, Sommer analysa les différentes distances d’interaction qui s’établissent entre deux individus conversant dans un salon. Il remarque que quand deux personnes coopèrent l’une avec l’autre, elles s’assoient côte à côte.

Par contre, si elles sont en compétition, elles préfèrent s’asseoir l’une en face de l’autre. Quand elles travaillent à des taches différentes, elles s’assoient aux coins diagonalement opposés de façon à éviter de se voir.

En conclusion, nous pourrons dire que l’étude des distances et la proxémie nous ont permis de comprendre le mode de fonctionnement de l’espace personnel et individuel avec ses différentes limites. Ajoutons qu’outre la culture d’appartenance, et la fréquence d’interaction verbale, plusieurs autres facteurs interviennent dans la régulation de la distance interindividuelle : le statut, la personnalité, l’âge, le sexe ou la personnalité des sujets.

A lire

·     E. Hall :

·La dimension cachée

·New York, Seuil 1971 – collection Intuition

·     Sommer R. :

·« Personal Space », 1 vol. 1969 et en fr. : « L’espace personnel », La Recherche, N° 31, 2 / 1973, pp. 135-142

·     Levy-Leboyer  C. :

·Psychologie et environnement, Paris, PUF, 1980.

·     Goffman E. :

·La mise en scène de la vie quotidienne, 2t, Paris, éditions de minuit 1973.

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Lynch et l’image de l’espace

 

C’est en cherchant la réponse à la question : comment améliorer l’apparence physique des villes américaines ? que Kevin Lynch va engager une analyse et élaborer une théorisation du rapport entre l’espace, en tant qu’environnement physique construit, et sa perception par les usagers d’une ville.

Dans son livre le plus célèbre « L’image de la cité », K.Lynch compare les modes de perception, à l’égard de leur ville, des habitants de villes américaines ayant des configurations spatiales très différentes : Boston, Jersey City, et Los Angeles. Son postulat est que la beauté d’une ville est dûe en grande partie à sa lisibilité, à son imagibilité et ce n’est qu’à partir du moment où l’habitant a une perception structurée de son cadre de vie qu’il éprouverait du plaisir à s’y trouver.

La lisibilité signifie pour Lynch la facilité avec laquelle les éléments d’une ville peuvent être reconnus et organisés en un schéma cohérent.  Son imagibilité est l’aptitude de la forme urbaine à s’imposer aux sens de manière forte et pertinente. Le résultat de deux procédés est « la carte mentale ».

La carte mentale d’un lieu est donc l’image, la représentation qu’un individu se fait d’un lieu. Si l’on demande aux usagers de l’espace urbain d’en faire une représentation, on obtient ainsi des dessins plus ou moins précis et imagés, qui donnent une bonne indication de la façon dont cet espace est ressenti, de la lisibilité de cet espace.

Autrement dit, chaque individu élabore dans sa tête une "carte" des lieux allant du domaine quotidien aux espaces de plus en plus lointains, puis inconnus. "Toute l’analyse des représentations urbaines met en valeur le rôle de l’imaginaire spatial, intermédiaire indispensable entre la structure de la ville et nos pratiques. Ainsi les cartes mentales nous révèlent-elles la richesse de la ville imaginée par l’homme - villes rêvées, villes haïes. Elles facilitent la compréhension de nos pratiques spatiales et leur interprétation révèle des dimensions cachées de la ville et la façon dont pratiques et représentations interfèrent. En effet, les lieux ne peuvent être considérés indépendamment des sujets qui y vivent" (A.S. Bailly et Al, "Les concepts de la géographie humaine", Editions Masson, Paris, 1979).

La carte mentale est un produit complexe que l’individu n’explicite évidemment pas puisqu’il n’éprouve pas le besoin de décrire son propre fonctionnement mental. De plus, nombreux sont les éléments qui lui paraissent "naturels" mais qui sont, en fait, culturels et dont les valeurs symboliques lui échappent souvent.

Ces cartes sont des instruments destinés à nous éclairer à propos de la conception que nous avons du monde et qui sert de base à beaucoup de nos comportements. Il existe plusieurs méthodes permettant d’établir une carte mentale (G.Vignaux, "Le discours et l’espace. Schémas cognitifs, cartographies mentales et représentations des parcours urbains" . Dans "La ville, Arts de Faire, Manières de Dire". Université Paul Valéry. Montpellier. Collection "Langues et Praxis", pp 23-43, 1994) :

La carte peut être réalisée directement par la personne interrogée

La carte peut être construite de manière indirecte via une interview, par exemple

On peut établir une cartographie de phénomènes quantifiables à partir des données perçues par une population.

Les cartes mentales ont, bien sûr, de nombreuses applications pratiques : mesures des préférences résidentielles, promotion des images régionales, expression spatiale des frontières (symboliques ou non), influence de la formation professionnelle, de l’âge, etc. sur la représentation de l’espace...

Il ne faut cependant pas perdre de vue que "la conception de la carte mentale évoque mais n’équivaut pas à une mise à plat des représentations de la personne enquêtée ; entre représentations et cartes mentales se localisent le procédé graphique et le code de communication, eux-mêmes expression des paramètres physiques et sociaux largement indépendants des représentations elles-mêmes" (A.S. Bailly et Al, "Les concepts de la géographie humaine", Editions Masson, Paris, 1979).

Le temps intervient également dans le processus de représentation : il existe un décalage entre le moment où l’homme perçoit l’environnement et l’instant où il réalise la carte mentale. En effet, la mémoire enregistre certains signes auxquels l’individu attribuera une signification. Entre la perception et la réalisation, il se passe un laps de temps durant lequel la personne oublie, déforme les éléments de l’espace vécu et perçu. Il crée alors un modèle que nous pouvons qualifier de subjectif.

Etant donné l’influence de l’âge, de l’expérience culturelle, du niveau intellectuel, etc. il faut accepter l’idée que la carte mentale de chaque individu est unique. Néanmoins, ne pouvons-nous pas déceler, entre chacune de ces cartes, quelques similarités ? En fait, les cartes mentales sont suffisamment semblables pour nous permettre de partager et de communiquer nos images de l’environnement, et assez personnelles pour accommoder nos propres expériences, apparemment uniques.

Il existe des nécessités communes de repérage et des variations plus ou moins personnelles en regard de ces nécessités.

"Il n’existe pas de système "naturel" et universel des lectures de l’espace, mais bien des séries de systèmes lesquels vont traduire des stratégies d’adaptation et d’appropriation spécifiques en regard des déterminations de l’environnement et de l’organisation sociale".

C’est en enquêtant donc sur l’expérience spatiale des citadins américains, que Lynch va essayer de comprendre comment se forme l’image de leur espace pratiqué  et vécu, et la manière avec laquelle ils différencient les lieux et les relient les uns aux autres.

Pour pouvoir identifier et appréhender la forme de la ville, son image et sa représentation mentale individuelle ou collective, Lynch étudie les cartes mentales et décèle 5 composantes fondamentales : les nœuds, les voies, les quartiers, les points de repère et les limites.

Les nœuds sont des lieux dont l’étendue au sol peut êtres très réduite, mais qui constituent des points de convergence de voies, ou de convergence et de concentration de certaines activités ou même plus généralement de concentration de caractéristiques plus définies (types de plantations par exemple).

Les voies sont pour la plupart des gens les éléments prédominants de la ville. Elles permettent son fonctionnement et assurent sa structure. Pour eux, il y a d’abord les qualités qui leur confèrent une identité : les voies prendront un relief dans la mesure où elles sont le lieu d’un parcours habituel, comportent un rassemblement particulier d’activités, sont larges ou étroites, ont tel alignement de façades, sont proches des points majeurs de la ville, ont un rôle structurant parce que plusieurs rues y aboutissent.

Les quartiers sont les zones relativement étendues de la ville où l’observateur peut entrer par la pensée et qui ont une qualité interne qui leur est propre : « On peut les reconnaître de l’intérieur, et parfois s’en servir comme référence externe ». Pour les quartiers, ce qui leur confère, dans la représentation des habitants, une individualité, c’est que diverses caractéristiques d’environnement s’associent entre elles qui produisent une unité thématique et entraînent leur différenciation à l’égard d’autres quartiers.

Les points de repère sont les références ponctuelles considérées comme extérieures par l’observateur. Ils sont des éléments matériels simples. Ils peuvent être très divers, mais ce qui semble dans leur cas le plus important c’est le contraste qu’ils forment avec le fond du décor.

Les limites sont des frontières ou des coutures entre deux sortes de zones. Ils le font d’autant plus qu’ils sont davantage dominants visuellement, qu’ils s’étirent beaucoup et qu’ils ne peuvent être traversés.

A lire

·     Lynch K. :

·« L’image de la cité », éd. fse., 1 vol., 222 p., Seuil éd., Paris, 1969.

·     André Y., Bailly A., Ferras R., Guérin J-P et Gumuchian H. :

·Représenter l’espace : l’imaginaire spatial à l’école, Paris, Anthropos.

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Ethologie, Comportement et Territoire

Ethologie animale :

Ethologie vient du grec éthos qui veut dire « comportement habituel », c’est donc une discipline qui étudie le comportement animal en appliquant les méthodes mises en place par la biologie et les naturalistes.

C’est H.-E. Howard en 1920 qui a défini en premier la territorialité animale, « comme la conduite caractéristique adoptée par un organisme pour prendre possession d’un territoire et le défendre contre les membres de sa propre espèce. »

Cette approche classique du comportement animal dans l’espace a culminé avec l’obtention du prix Nobel de la médecine en 1973 par le trio constitué de Konrad Lorenz, Niko Tinbergen et de Karl Von Frisch pour l’ensemble de leurs travaux sur le comportement des oies cendrées, des épinoches et des abeilles.

Pour expliquer le territoire, l’éthologie animale, ou classique, cherche à déterminer, pour chaque individu d’une même espèce, une certaine surface ou un certain volume, zone lui permettant survie et reproduction. Les rapports entre individus de même espèce et d’espèces différentes, sont réglés par l’agressivité, les relations de dominance ainsi que les relations sexuelles. Il existe une distance individuelle entre les animaux de la même espèce qui quand elle n’est pas respectée, entraîne une attitude agressive entre congénères. Cette distance se nomme « distance critique ». Il existe également une distance de fuite, celle à laquelle l’animal va commencer à fuir quand un membre d’une autre espèce s’approche. D’une manière générale, l’accès à l’espace immédiat occupé par un animal est défendu à ses congénères ou aux autres groupes par des marquages olfactifs, auditifs ou visuels.

Cette nécessité de contrôle du territoire par l’animal implique l’existence de frontière ou limites protégées par des obstacles de telle sorte qu’elles garantissent une zone de repli en cas d’attaque par autre animal.

Sur ce territoire un certain nombre de paramètres doivent être respectés tels que la densité qui a une influence sur le comportement animal. Plusieurs expériences d’éthologistes ont montré que l’augmentation de la densité avait pour conséquence des perturbations dans la vie des animaux concernés : augmentation de l’agressivité et troubles de la sexualité.

L’ensemble des constatations suivantes a fait naître l’idée que probablement chez l’homme existe aussi un « instinct territorial » semblable à celui de l’animal.

Dans cette optique, différents parallèles entre animal et homme ont été tracés pour relever que :

Tout groupe social équilibré dispose d’un territoire qui lui permet de vivre et de satisfaire ses besoins.

Le territoire des hommes est aussi une zone de survie que ces derniers contrôlent et défendent par des attitudes agressives.

La réponse est qu’il est difficile de tenir ces parallèles pour des théories et des faits scientifiquement établis. Il serait même dangereux d’utiliser tels quels les acquis de la recherche en éthologie animale pour les appliquer à la situation humaine.

Le concept de territoire ne peut être transféré d’une façon automatique de l’animal à l’homme, car la territorialité humaine apparaît comme un comportement spatial beaucoup plus complexe et pas seulement déterminé par la fonction biologique comme chez l’animal.

L’Ethologie humaine :

Pour pouvoir transposer la notion de territoire[13] de l’animal à l’homme, il a fallu élargir sa définition et prendre en considération sa multidimentionnalité.

En effet, les modes d’insertion dans l’espace chez l’être humain sont multiples : individuel, familial, urbain ou national. Une réponse instinctive aurait beaucoup de difficulté à fonctionner dans ces conditions de territorialisation.

On peut dégager trois dimensions essentielles dans le concept de territoire : les dimensions sociales, spatiales et temporelle. La dimension sociale concerne les hommes, leur organisation en société et les différents rapports qui se tissent entre eux. La dimension spatiale se rapporte à l’espace en tant qu’entité physique, souvent limitée par des barrières naturelles. Quant à la dimension temporelle, elle met l’accent sur l’historicité, c’est à dire sur les événements, les actes qui vont contribuer à remplir de sens et de symboles la mémoire des hommes et des peuples.

Pour Claude Raffestin (« Pour une géographie du pouvoir » Litec 1980) le concept de territoire réunit les deux notions d’espace social et d’espace vécu en leur ajoutant quatre significations supplémentaires : l’identité collective, un mode de découpage et de contrôle de l’espace, une valeur symbolique, et du temps long.

Le territoire et la territorialité :

Toutes les études ont le mérite d’attirer l’attention sur le fait que le comportement territorial humain a valeur psychologique et non plus biologique : il représente une sorte de langage dans lequel s’exprime la réalité sociale.

Qu’il s’agisse de la réalité animale ou humaine, il y a dans la territorialité très clairement 6 éléments essentiels : l’appropriation plus ou moins exclusive à travers le temps d’un espace qui est l’espace d’un pouvoir ; la défense de cet espace approprié par la défense de frontières vis à vis d’un extérieur, d’un étranger.

Il est clair que la conception du territoire a été élaborée afin de prendre le contre-pied de cette notion d’espace homogène, vide et indifférent largement présente dans les sciences exactes tels que la géométrie. Elle permet de recentrer la réflexion sur l’homme et la société : le territoire n’existe que par la volonté créatrice de l’homme. Sans la société, le territoire perd toute raison d’exister. La société n’est donc pas indifférente à l’égard de son espace, elle l’investit pour y inscrire ses projets : le territoire est un espace produit et construit. La société est capable de concevoir des formes spatiales totalement artificielles, comme les bâtiments et les villes.

Le territoire est non seulement l’espace dans lequel la société vit, il est aussi le lieu où les hommes y inscrivent des pratiques et élaborent à partir de lui des représentations, qui influent sur leur perception de l‘espace.

Enfin, le territoire fait intervenir un effet rétroactif de l’espace sur la structuration et le fonctionnement des sociétés. Tout espace social est investi de sens, il est signe, il est parlant pour les sociétés qui l’occupent. Il est une sorte de mémoire visible dans laquelle la société s’exprime et se reconnaît. Tout individu, séparé de ses lieux familiers, perd ses repères, perd ses marques et est contraint d’en retrouver d’en refabriquer.

Les significations socio-culturelles du territoire :

Nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que c’est le territoire à l’échelle personnelle qui aide tout individu à prendre connaissance de lui-même et conscience de son existence durant les premières semaines et les premiers mois de la vie. Ce sont plus particulièrement les travaux de Piaget qui ont démontré comment l’enfant se construit psychiquement et intellectuellement en construisant son territoire.

L’habitation constitue le premier territoire, et, quand l’enfant grandit, c’est le quartier qui constitue son système autour de son habitat, avant qu’il ne s’agrandisse de nouveau aux espaces d’enseignement, de travail et de loisirs.

L’habitation reste toutefois une référence spatiale fondamentale pour l’individu puisque c’est l’espace de projétation de ses choix de normes et de rôles sociaux.

Chaque être social personnalise le micro-territoire de son habitation, c’est à dire qu’il se l’approprie à la fois matériellement et symboliquement, ou physiquement et intellectuellement. Cette appropriation permet de donner une fonctionnalité et une esthétique à l’espace domestique. De cette manière, le micro-territoire assure une fonction de miroir puisqu’il est aménagé et occupé pour que l’individu se donne à voir aux autres. Qu’il en soit propriétaire ou utilisateur, l’individu conçoit, transforme, adapte son espace à son image.

Le micro-territoire est également un espace de sécurité et d’intimité. Il est protégé et soumis à des règles explicites ou implicites d’entrée et de sortie, comme il permet de se positionner en dehors du regard des autres ou, d’une manière générale, en dehors des normes sociales. Il faut aussi signaler qu’une part importante de la transmission de la façon d’être, de penser et d’agir propre à une société et à une culture se fera par l’espace. Quelque que soit le lieu considéré, habitat, école, mosquée … on attendra de l’individu une attitude bien déterminée selon la culture et les caractéristiques sociales en cause. C’est par le biais de cette fonction de socialisation par l’espace que nous intégrons, assimilons et intériorisons un certain nombre de normes et de comportements.

Le territoire de l’enfance préfigure dans une large mesure celui de l’homme adulte. Celui-ci prolonge, élargit, stabilise, alourdit d’expériences multiples l’espace de la maison maternelle ou paternelle. Le premier passage de l’adolescence à l’univers des adultes est matérialisé par la double expérience du mariage et du premier emploi. Il signifie un passage à d’autres échelles territoriales marquées par des contenus, des pratiques et des lieux de vie nouveaux.

Plus tard, d’autres ruptures simultanées ou successives, signalent le passage de l’âge adulte à celui du vieillissement. Particulièrement le retrait du travail, l’affaiblissement des aptitudes physiques, la diminution de la sociabilité et des qualités d’adaptation.

Le territoire du troisième âge se restreint suite à l’altération des relations physiques et morales avec les classes d’âges plus jeunes. L’espace se désocialise.

 On a l’impression que le territoire de la vieillesse se vit comme un repli dont les étapes reconstituent à l’envers les conquêtes enfantines de la région, à la ville puis au quartier, de celui-ci à la maison, de là à la chambre puis à la chaise ou au lit. Le passé vécu se substitue au présent d’une vie qui finit ; le territoire vécu des dernières années devient repli et souvenir.

A lire

·     Bailly A. et Al. :

·Les concepts de la géographie humaine, Paris, Armand Colin, 1998.

·     Brunet R. et Al. :

·Les mots de la géographie (dictionnaire critique), Paris Reclus, 1993.

·     Raffestin C. :

·Pour une géographie du pouvoir, Paris, 1980.

·   Rappoport A. :

·Pour une anthropologie de la maison – Londres 1969

·Paris, Dunod, 1972.

·   Lorenz K.:

·Essais sur le comportement animal et humain, Paris, Seuil, 1970.


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Espace – Société – Culture

 

On a souvent tendance à réduire la discipline architecturale à une question de technique et d’esthétique. Or l’architecture possède des liens très étroits avec la société et est inséparable d’une prise en compte des pratiques et des stratifications de cette dernière.

L’affirmation précédente met en cause cette « fausse » conviction, largement répandue dans les écoles d’architecture et d’urbanisme, que l’organisation adéquate de l’enveloppe spatiale des sociétés va rendre les gens heureux, que la solution des problèmes de notre environnement construit relève de la science et de la technique.

Sans mettre en cause la qualité et l’utilité de l’œuvre des architectes et des urbanistes, la sociologie et l’anthropologie s’efforcent de comprendre et expliquer la réalité sociale et spatiale. Elles distinguent nettement l’analyse de l’existant, du réel, de celle du souhaitable et en tant que tels les sociologues et les anthropologues ne proposent pas de solutions aux problèmes de notre environnement construit, considérant que la transformation de notre cadre de vie et son avenir ne sont pas l’affaire d’une seule discipline ou d’une seule profession. Mais c’est l’affaire de tous les acteurs d’une société.

En examinant de près les formes architecturales et leur évolution à travers l’histoire, nous saisissons rapidement qu’elles ont été une mise en forme de l’espace révélatrice des contraintes et des enjeux socio-culturels de l’époque où elles ont été conçues.

Les leçons de l’histoire :

L’œuvre de Brunelleschi, un des plus célèbres représentants de l’architecture italienne, peut se lire comme la recherche d’un cadre architectural et urbain adapté à cette entreprise de rationalisation-modernisation du monde des idées, du commerce et de l’économie qui vit le jour durant la Renaissance. Son exploration des techniques de perspectives instaure un espace de relations mesurables entre les objets bâtis comme sont mesurables les quantités manipulées par le commerce. La raison humaine se devait, à l’époque, de triompher dans les arts comme elle triomphe déjà dans les finances et affaires de la cité.

La réflexion politique et sociale s’approfondit dans les théories d’Alberti : les règles données dans son « De re aedificatoria »  concernent aussi bien l’architecture que la société dont elle doit satisfaire les besoins. Il s’agit pour lui d’établir des rapports d’harmonie entre les formes architecturales et les usages en ayant recours au vocabulaire antique sans pour autant tomber dans une imitation servile.

Avec les siècles des lumières en France, vont voir le jour de nouvelles préoccupations influencées par la pensée des philosophes et des premiers économistes de cette époque annonciatrice de grands bouleversements socio-politiques. L’architecture doit être plus pensée en fonction de l’utilité publique quitte à se débarrasser du carcan du vocabulaire classique de la Renaissance. L’œuvre de Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) peut se lire comme une tentative de rénovation, fondatrice d’une architecture utile avec la mise au point d’un nouveau vocabulaire formel à base de volumes simples et autonomes, de contrastes violents à vocation symbolique entre ombre et lumière, surfaces nues et ornementation.

Au cours de la seconde moitié du XVIIIé siècle, naît un grand mouvement architectural qui appelle à tourner le dos à la recherche de la monumentalité de l’Âge classique pour s’occuper d’équipements et d’habitations. Ce changement dans les centres d’intérêts des architectes renvoie aux rapports beaucoup plus complexes qui commencent à se tisser entre gouvernement et population. La question sociale s’imposant de plus en plus à l’ensemble des strates de la société.

Ces quelques exemples nous montrent combien la transformation de l’architecture est contemporaine des bouleversements sociaux et politiques. Ce constat sera confirmé plus tard avec l’industrialisation et la constitution d’une classe ouvrière, avec le Mouvement moderne ou l’architecture socialiste des pays de l’est, avec le retour du patrimoine, etc.

Pour mieux appréhender cette relation entre espace société et culture, la sociologie et l’anthropologie ont cherché à bâtir un échafaudage théorique et un appareil conceptuel que nous allons présenter à travers l’œuvre de deux de ses représentants les plus éminents : Emile Durkheim et Marcel Mauss.

Sociologie et anthropologie de l’espace :

Durkheim :

L’étude de l’espace dans la sociologie durkheimienne s’est développée implicitement selon deux axes relativements indépendants l’un de l’autre.

Le premier consiste à analyser et à mettre en relief le rôle de la ville dans l’apparition de nouvelles formes de relations sociales.

Le second qui consiste à faire la sociologie de l’habitat dans ses aspects physiques et matériels. Dans la terminologie de Durkheim, l’habitat est un des aspects de la morphologie sociale.

Nous développerons plus ce dernier aspect étant donné que le premier axe[14] relève plus de la sociologie urbaine (voir notre polycopié « sociologie urbaine », ENAU, master spécialisé en urbanisme).

Durkheim commence par définir (in « Année sociologique 1897-98 ») le concept de morphologie sociale comme « la masse des individus qui composent la société, la manière dont ils sont disposés sur le sol, la nature et la configuration des choses de toutes sortes qui affectent les relations collectives ». Il marque donc que la forme spatiale n’est pas indépendante du fonctionnement social et même le soutient ; tandis que celui-ci la modèle pour ses propres besoins.

Mais, pour Durkheim, l’espace social est plus qu’un miroir de l’organisation sociale, c’est une catégorie[15], comme le temps dont la base est « le rythme de la vie sociale » ; alors que « c’est l’espace occupé par la société qui a fourni la matière de la catégorie d’espace ».

Marcel Mauss :

Il propose une définition très proche de celle de Durkheim, dont il a été l’élève. La morphologie sociale, c’est, « le substrat matériel des sociétés, c’est à dire la forme qu’elles affectent en s’établissant au sol, le volume et la densité de la population, la manière dont elle est distribuée ainsi que l’ensemble des choses qui servent de siège à la vie collective ». C’est ce que nous appelons actuellement l’habitat.

Mauss illustre sa théorie dans une brillante étude sur les variations saisonnières de la société eskimo. Il note que leur mode de vie et d’habitat varie selon les saisons :

En hiver, l’habitat est collectif, c’est à dire qu’il concerne des familles élargies regroupées autour d’une salle de réunion ; l’esprit et la conscience de la collectivité se développent et se renforcent grâce aux fêtes religieuses, réunions et rencontres.

En été, l’habitat est individuel, il concerne donc une famille restreinte et il est dispersé. Il n’y a ni fêtes, ni manifestation publique d’appartenance à une collectivité.

En poursuivant son étude, Mauss constate que la différence observée entre hiver et été au niveau de la morphologie, se prolonge dans d’autres dimensions. Ainsi dans la religion : il y a une religion d’hiver et d’été ; pour cette dernière il n’existe qu’un culte domestique. Par contre en hiver la vie religieuse est intense : fêtes, cérémonies, enseignements, confessions, apparitions des shamans (sortes de sorciers), etc.

Dans le droit, on retrouve le même clivage, ainsi que dans la sexualité. Mauss parle en hiver du communisme sexuel des eskimos. Nous voyons donc, que toutes les normes sociales jusqu’à l’intimité d’une unité familiale se transforment. En d’autres termes l’habitat eskimo s’explique certes en partie par le climat, mais aussi par une culture spécifique qui régit aussi bien les rapports sociaux que l’organisation de l’espace. Si le climat était le seul élément explicatif, tous les habitants du Grand Nord auraient le même habitat, ce qui est loin d’être le cas.

En été (les Eskimos) habitent dans des tentes et, ces tentes sont dispersées ; en hiver, ils habitent dans des maisons resserrées les unes près des autres. (...)

Le groupe qui habite la tente, d'un bout à l'autre de l'aire eskimo, c'est la famille, au sens le plus étroit du mot, c'est-à-dire un homme avec sa femme ou, s'il y a lieu, ses femmes, leurs enfants non mariés (naturels ou adoptés) ; exceptionnellement, on y trouve aussi un ascendant ou une veuve qui n'est pas remariée, ses enfants ou enfin un hôte, ou des hôtes. Le rapport est si étroit entre la famille et la tente que la structure de l'une se modèle sur la structure de l'autre. C'est une régie générale dans tout le monde eskimo qu'il y a une lampe par famille ; aussi y a-t-il d'ordinaire une lampe et une seule par tente. De même, il n'y a qu'un banc (ou un lit de feuilles et branchages surélevé au fond de la tente) recouvert de peaux sur lequel on couche ; et ce lit ne comporte pas de cloison pour isoler la famille de ses hôtes éventuels. Ainsi la famille vit parfaitement une. (...)

Les habitations d'hiver eskimos ne sont pas des tentes, mais des maisons, et même de longues maisons. Nous a1lons commencer par en décrire la forme extérieure ; nous dirons ensuite quel en est le contenu.

La longue maison eskimo est faite de trois éléments essentiels qui peuvent servir à la caractériser ; un couloir qui commence au dehors et qui vient déboucher à l'intérieur par une entrée à demi souterraine ; un banc avec des places pour les lampes ; des cloisons qui déterminent sur ce banc un certain nombre de cellules. (...)

Il existe une autre construction d'hiver qui mérite d'attirer particulièrement l'attention, parce qu'elle achève de mettre en relief les caractères particuliers de la vie que mènent les Eskimos pendant cette saison: c'est le Kashim, mot européen abrégé d'un mot eskimo qui signifie mon lieu d'assemblée.

Le kashim est une maison d'hiver, mais agrandie. La parenté entre ces deux constructions est si étroite que les formes diverses que revêt le kashim suivant les régions sont parallèles à celle que revêt la maison. Les différences essentielles sont au nombre de deux. D'abord, le kashim a un foyer central, alors que la maison n'en a pas (sauf dans l'extrême sud de l'Alaska où l'influence de la maison indienne se fait sentir). Ce foyer se retrouve non seulement là où il a une raison d'être pratique par suite de l'emploi du bois comme combustible, mais aussi dans les kashims provisoires en neige de la Terre de Baffin. Ensuite, le kashim est presque toujours sans compartiment et souvent sans banc, souvent avec sièges. Même quand il est bâti en neige et que, par suite, il n'est pas possible de construire un grand dôme unique parce que cette matière première ne s'y prêterait pas, la façon dont les dômes sont accolés et les parois évasées donne finalement au kashim la forme d'une sorte de grande sa1le à piliers.

Ces différences dans l'aménagement intérieur correspondent à des différences fonctionnelles. S'il ne s'y trouve ni division, ni compartiment, s'il a un foyer central, c'est que c'est la maison commune de la station tout entière. Là, où nous sommes bien informés, il s'y tient des cérémonies qui réunissent toute la communauté. A l'Alaska c'est plus spécialement la maison des hommes ; c'est la qu'adultes, mariés ou non mariés, couchent à part des femmes et des enfants. Dans les tribus du sud de l'Alaska, il sert de maison de sueur ; mais cette destination est, croyons-nous, de date relativement récente et d'origine indienne, voire peut-être russe.

Ailleurs, surtout dans les villages des rivières maritimes, il arrive qu'en avant des maisons d'hiver abandonnées, le village range ses tentes ou ses maisons d'hiver en ordre et sans qu'elles soient très distantes les unes des autres. Mais, outre que la densité de la population ne laisse pas d'être moindre alors qu'en hiver, i1 y a à ce fait particulier une raison également particulière: c'est que le groupe, été comme hiver, pratique un régime relativement identique d'ichtyophagie ; il est même curieux de remarquer que, dans ce cas pourtant défavorable, la dualité morphologique se maintienne bien que le groupe reste en place et que les raisons de sa dispersion estivale aient disparu.

M. Mauss, « Essai sur les variations

saisonnières des sociétés eskimos »

 

Claude Lévi-Strauss :

Dans une étude devenue célèbre sur les villages Bororo, Claude Lévi-Strauss fait une description minutieuse et pertinente de l’organisation spatiale de ces derniers et attire notre attention sur le fait qu’il y a des huttes, propriété individuelle des femmes, établies sur un cercle périphérique, que le centre est occupé par la maison collective des hommes, que le village est divisé par deux axes perpendiculaires dont l’un parallèle au fleuve divise le groupe en deux moitiés.

Il note que cette partition de l’espace joue en même temps le rôle d’une partition sociale et culturelle puisque c’est à partir d’elle que s’organisent la transmission du nom, les échanges matrimoniaux, les règles de résidence, etc.

Une preuve à contrario est encore apportée par Lévi-Strauss quand il note qu’il a suffi que les missionnaires salésiens obtiennent le transfert spatial des Bororo de leurs villages circulaires à un village de type européen pour que ceux-ci, renonçant à leur conception du monde, se convertissent au christianisme. C’est dire à quel point les configurations spatiales sont liées aux configurations identitaires, sociales, et culturelles dont elles assurent en partie le maintien et la reproduction.

La distribution circulaire des huttes autour de la maison des hommes est d'une telle importance en ce qui concerne la vie sociale et la pratique du culte, que les missionnaires salésiens de la région du Rio das Graças ont vite appris que le plus sûr moyen de convertir les Bororo, consiste à leur faire abandonner leur village pour un autre où les maisons sont disposées en rangées parallèles. Désorientes par rapport aux points cardinaux, privés du plan qui fournit un argument à leur savoir, les indigènes perdent rapidement le sens des traditions, comme si leurs systèmes social et religieux (nous allons voir qu'ils sont indissociables) étaient trop compliqués pour se passer du schéma rendu patent par le plan du village et dont leurs gestes quotidiens rafraîchissent perpétuellement les contours. Je m'exprimerais d'une façon imparfaite si je disais qu'il n'y a pas pour les Bororo de mort naturelle : un homme n'est pas pour eux un individu, mais une personne. Il fait partie d'un univers sociologique : le village qui existe de toute éternité, côte à côte avec l'univers physique, lui-même composé d'autres êtres animés : corps célestes et phénomènes météorologiques. Cela, en dépit du caractère temporaire des villages concrets, lesquels (en raison de l'épuisement des terrains de culture) restent rarement plus de trente ans au même endroit. Ce qui fait le village n'est donc ni son terroir ni ses huttes, mais une certaine structure qui a été décrite plus haut et que tout village reproduit. On comprend ainsi pourquoi, en contrariant la disposition traditionnelle des villages, les missionnaires détruisent tout.

Cl. Lévi-Strauss, Tristes Tropiques

A lire

·       Durkheim E. :

·Les formes élémentaires de la vie religieuse (1900)

·Paris, PUF, 1960.

·      Mauss M. :

·Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimo. (1904-1905)

·in Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1966.

·      Levi-Strauss C. :

·Anthropologie structurale - Paris, Plon 1958.

·Tristes Tropiques – Paris, Plon 1955.

·La pensée sauvage – Paris, Plon 1962.

·      Paul-Lévy F., Ségaud M. :

·Anthropologie de l’espace, CCI, Centre Georges Pompidou, Paris, 1983.

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[1] Ici le terme espace est pris dans son sens le plus général, il ne doit donc pas être confondu avec celui qui lui est assigné en architecture et en urbanisme.

[2] La mort est considérée comme un voyage qui ressemble à la course du soleil au cours d’une journée, du lever au coucher sur les rives du Nil.

[3] Prêtre chargé d’observer certains signes afin de prédire l’avenir.

[4] L’espace ne possède pas d’endroits plus ou moins denses que d’autres

[5] L’espace est équivalent dans toutes les directions

 

[6] On sait aujourd’hui combien cette conception a été influencée par le courant innéiste et qu’elle correspond à un certain état de la science classique en l’occurrence la géométrie euclidienne

[7] Comprendre l’espace, c’est croire que les objets continuent à exister ailleurs, même quand on ne les voit plus. L’enfant n’a pas d’emblée cette idée, et à un  certain âge, il ne manifestera aucune conduite de recherche quand, devant lui, on cache un jouet en le recouvrant d’un drap, comme si invisible était pour lui synonyme d’inexistant. Le petit jeu de la petite cuillère que le jeune enfant jettera inlassablement par terre, en réclamant à chaque fois qu’on la lui rende, a, ente autres, pour fonction de maîtriser ces histoires de disparition et de réapparition, pour parvenir à établir le schéma de la permanence de l’objet.

[8] L’enfant devient capable de se représenter un objet, une action ou une personne en son absence au moyen d’un symbole qu’il manipule. Par exemple, le petit garçon en utilisant un bâton ou son doigt pour mimer un pistolet, montre qu’il est capable de reproduire des gestes, des attitudes, des comportements (le policier ou le bandit) en l’absence d’un modèle.

[9] L’espace projectif est celui qui correspond au moment ou l’objet où la figure cessent d’être envisagés simplement pour eux-mêmes, mais sont considérés relativement à un point de vue : soit le point de vue du sujet comme tel, soit le point de vue d’autres objets sur lesquels il se trouve projeté.

[10] Les coordonnées de l’espace euclidien consistent en une relation d’ordre appliquée aux trois dimensions à la fois : chaque objet est coordonné aux autres selon les rapports gauche-droite, dessus-dessous, devant-derrière. Il faut y ajouter la représentation de l’horizontale et de la verticale.

[11] L’espace vide des scientifiques se réduit donc à une abstraction pure. L’espace, comme le temps, n’existe que par ce qui le remplit, et la psychologie de l’espace prend en compte l’expérience concrète des individus.

[12] La méthode de Moles considère l’individu ou l’être humain comme l’atome de la science sociale, et les systèmes ou institutions sociales comme une combinaison de ces atomes.

[13] C’est Edward.T.Hall qui, dans « la dimension cachée » (1966), fut le premier à appliquer cette notion à l’homme. Selon lui, la territorialité humaine est « un phénomène de comportement associé à l’organisation de l’espace en sphères d’influence ou de territoires distincts considérés au moins partiellement exclusifs pour leurs occupants ou ceux qui le définissent ».

[14] Durkheim considère la ville comme l’espace où se développe la densité morale et matérielle. La ville est donc le lieu où s’opère le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique ; en d’autres termes, plus une société s’urbanise, plus l’individu s’affranchit d’un certain poids collectif, plus l’individu émerge comme une personne.

[15] Durkheim considère qu’il existe quatre catégories de l’esprit sous-jacentes à l’organisation sociale des sociétés sans écriture : la force énergétique, le lieu spatial, le moment temporel, et l’agencement de l’ensemble, qui en assure les correspondances et la pérennité.


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